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Rencontre avec l’Evidentiste : revivons-nous la chute de Rome ?

Rencontre avec l’Evidentiste : revivons-nous la chute de Rome ?

par | 4 février 2016 | Politique, Société

Michel Geoffroy, essayiste.

♦ Je ne l’avais pas revu, l’Evidentiste – c’est comme cela qu’il aime se présenter – depuis la mort de Louis Pauwels. Cela faisait donc un bail !

Il m’avait donné rendez-vous dans son habituel restaurant chinois, Place de la République. Il m’attendait en sirotant un bourbon, car il était toujours en avance sur ses rendez-vous : « Une habitude prise dans la Résistance », se plaisait-il à dire. Il n’avait pas vraiment changé. Quelques rides, peut-être, mais c’était bien lui.

Il entama la conversation comme si nous nous étions vus la veille : l’Evidentiste devait habiter dans un trou du temps, assurément.


La chute de Rome, histoire proche

« Alors, quel effet cela fait-il ? » me demanda-t-il.

Je ne comprenais pas. « Je veux dire quel effet cela fait-il de revivre la chute de Rome, bien sûr ! » répondit l’Evidentiste.

J’essayai de reprendre pied : « Vous croyez vraiment que nous sommes dans la même situation ? ».

« Plus que vous ne le croyez », répondit-il avec un entrain mal dissimulé. « Il y a en effet beaucoup de points communs d’après ce que nous savons de cette histoire proche ».

Je rectifiai : « Vous voulez dire de cette histoire antique » ? « Mais pas du tout ! La chute de Rome est très proche de nous, au contraire : 1500 ans environ, ce qui à l’échelle du peuplement de l’Europe, c’est-à-dire au moins 30.000 ans, n’est rien », rétorqua l’Evidentiste. « La chute de Rome c’était hier, comme aujourd’hui sera hier demain, vous comprenez ? ».

Un peu abasourdi, je me plongeai dans la lecture du menu, pour gagner du temps.

Les grandes invasions

« Vous faites sans doute référence aux grandes invasions pour établir ce parallèle ? » répondis-je sur un mode interrogatif. « Encore que les barbares de l’époque étaient avant tout des Européens du Nord ou de l’Est », ajoutai-je sur un ton que je voulais docte.

« Oui mais pas seulement. La similitude historique est systémique en effet et non pas factuelle », me répondit l’Evidentiste, avant de continuer : « Et il ne faut pas oublier que c’est Rome qui a ouvert la porte aux Barbares».

« Exactement comme les gouvernements européens encouragent l’immigration de peuplement ? » dis-je.

« Oui, vous voyez : vous y venez », sourit mon interlocuteur. « Et en plus pour des raisons économiquement et sociologiquement comparables : le modèle économique de Rome, fondé sur la prédation, s’essoufflait faute de nouvelles conquêtes. Les finances publiques étaient déficitaires et il devenait de plus en plus difficile de subventionner les pauvres dans les villes et de payer régulièrement la troupe. Car les Romains avaient abandonné la conscription républicaine au profit de l’armée de métier : ils préféraient la douceur de leurs villas aux rudes camps militaires ! Mais l’oligarchie terrienne refusait aussi de lever les impôts qui auraient permis de rétablir les finances et de recruter l’armée nécessaire à la défense de frontières de plus en plus étendues. C’est alors que des patriciens pensèrent qu’il serait plus simple de faire garder le limes par les Barbares eux-mêmes, puisque ces derniers ne demandaient, au début, qu’à jouir de la vie romaine ».

Je l’interrompis : « Comme le patronat a pensé qu’il serait plus rentable de faire venir une main-d’œuvre immigrée bon marché ? ».

 La responsabilité des classes dirigeantes

« Oui, dans les deux cas c’est bien l’égoïsme et l’aveuglement des classes dirigeantes qui a initialisé la chute » ajouta l’Evidentiste. « Car une fois le processus engagé, il n’a plus été possible de l’arrêter. Dans un premier temps les Barbares sont devenus indispensables à l’Empire. Mais comme ils étaient de plus en plus nombreux, car ils faisaient venir leurs familles, ils ont aussi fait moins d’efforts pour devenir romains. Puis comme ils disposaient de la force militaire ils ont fini par se tailler des royaumes pour leur propre compte. C’est ainsi que ceux qui voulaient au début bénéficier de la Pax Romana ont fini par détruire Rome et que la civilisation s’est effondrée à l’ouest de l’Europe ».

L’Evidentiste continua sa démonstration : « Vous vous trouvez dans une situation tout à fait romaine aujourd’hui en Europe ». Il parlait toujours en effet des Européens à la troisième personne, comme s’il était lui-même chinois, indien ou martien…

« Des pans entiers de votre économie ne peuvent plus se passer de la main-d’œuvre immigrée, puisque vous avez découragé le travail productif manuel. Et vous ne savez plus arrêter les migrations. C’est la fuite en avant comme à Rome ».

J’objectai faiblement que l’immigration de peuplement avait chez nous remplacé l’immigration de travail. « Oui, comme à Rome ! Pour un guerrier arrivait une famille tout entière, puis des cousins, des apparentés, puis des gens des tribus voisines », répondit mon interlocuteur.

Le regroupement familial

« Il faudrait aussi vous demander pourquoi l’Empire romain d’Orient a survécu jusqu’à la conquête turque, alors que celui d’Occident s’est effondré », ajouta l’Evidentiste. « Je crois que vous allez me l’expliquer », répondis-je.

L’Evidentiste ne se fit pas prier : « Pour plusieurs raisons : géographiques, d’abord, qui ont fait que ses frontières étaient plus

Romulus Augustus, le dernier des emereurs romains d'Occident.

Romulus Augustus, le dernier des empereurs romains d’Occident.

faciles à défendre ; ensuite, les empereurs d’Orient n’ont accepté les guerriers barbares qu’à titre individuel et non pas comme peuples ; ils ont toujours veillé à disposer de troupes impériales aguerries, sans leur concours ».

Je l’interrompis : « Vous voulez dire qu’ils n’ont jamais accepté de regroupement familial » ? « Exactement, et c’est sans doute ce qui les a protégés, alors que les Romains d’Occident n’ont pas eu cette prudence », me rétorqua l’Evidentiste, avant de poursuivre :

« Enfin, le pouvoir impérial, de nature presque théocratique, était mieux respecté en Orient qu’en Occident, où l’empereur devait compter avec l’Eglise et l’oligarchie terrienne et avait bien du mal à faire prévaloir l’intérêt commun. De toute façon, les armées romaines, composées en Occident de mercenaires mal payés, tentés en permanence par les coups d’Etat et les usurpations, n’étaient plus que l’ombre des légions citoyennes d’antan ».

Les racines religieuses de la chute

« Ce qui démontre, selon vous, que les invasions n’ont été rendues possibles que par l’effondrement interne et préalable de la société romaine ? » lui demandai-je.

« Voilà une objection tautologique, bien dans l’air du temps ! » s’esclaffa l’Evidentiste ; « car il est toujours facile, après coup, de trouver des explications de longue durée à des accidents historiques : les historiens ont de tout temps été payés par les vainqueurs pour tenter de rationaliser leur victoire… En réalité les deux phénomènes sont évidemment liés car les migrations incontrôlées sont le signe de la mort prochaine de la société d’accueil. Les migrations ont détruit la société romaine d’abord parce qu’elles ont dévasté les campagnes. Mais les Romains n’ont pas su réagir d’une façon appropriée car ils avaient perdu leurs antiques vertus, c’est-à-dire la foi de leurs pères ».

Je lui demandai : « A cause de quoi : du christianisme ? ». « C’est possible » répondit mon interlocuteur, « même si ensuite, lorsque le christianisme est devenu religion d’Etat à Rome, les auteurs chrétiens se sont évertués, en bons historiens, à démontrer le contraire ! Le christianisme, plaçant le salut dans l’au-delà, ne pouvait que ruiner dans un premier temps la religion civique des Romains. Même si par la suite il est devenu le ciment d’un empire en perdition. Ce qui n’était pas non plus sans risques car on disait aussi que certains empereurs romains se préoccupaient plus de querelles théologiques – incessantes à l’époque, y compris chez les Barbares eux-mêmes – que de la défense de l’Empire ! ».

J’ajoutai : « Comme aujourd’hui la religion des droits de l’homme fait perdre tout sens commun à nos gouvernants et les empêche de réagir ?». « Sans aucun doute » me répondit l’Evidentiste. « Car vous savez, comme on dit, que le poisson pourrit toujours par la tête ».

Plus dure sera notre chute

Le repas s’achevait, morose. Dehors il commençait à pleuvoir.

J’objectai quand même : « Il y a cependant une grande différence : les Barbares d’alors étaient avant tout des peuples du Nord ou de l’Est de l’Europe et en outre ils ont adhéré à la nouvelle religion de l’empire : ils sont devenus chrétiens. Alors que les immigrants d’aujourd’hui sont avant tout originaires d’Afrique ou du Moyen-Orient et sont en majorité musulmans ».

L’Evidentiste savourait sa dernière tasse de thé au jasmin : « Bien sûr, la différence est de taille et cela explique que la catastrophe qui s’annonce sera pire pour l’Europe que la fin de l’Empire romain d’Occident. Il ne faut pas oublier que même des envahisseurs d’origine européenne ont pu mettre à bas la société romaine du simple fait de leur altérité et de leur nombre. Or aujourd’hui l’altérité est encore plus prononcée : la conclusion s’impose d’elle-même… ».

L’Evidentiste continuait sa démonstration : « N’oubliez pas que l’Europe occidentale a mis près de 1000 ans pour se remettre de la chute de Rome ; disons jusqu’au début du XVIe siècle où elle a écarté, avec la bataille de Lépante, l’expansionnisme turc et où l’avènement de l’Etat-nation et des empires européens a mis fin au chaos politique endémique. Où aussi les progrès techniques ont permis de retrouver une certaine prospérité, favorable à la démographie. Mais les conditions actuelles seront bien pires : l’Europe occidentale a perdu la foi et les immigrants installent la leur ».

Vous devriez y réfléchir

Je lui demandai, un peu découragé : « Alors vous êtes donc convaincu que l’histoire de la chute de Rome recommence et que nous n’avons plus d’espoir ? »

L’Evidentiste me sourit : « La chute de la Rome occidentale recommence en effet, nuance. Car il est frappant de constater que la Russie et certains pays de l’ex-bloc soviétique résistent mieux aux migrations que les pays occidentaux : leur vitalité est meilleure que la vôtre, mais il est vrai que vous êtes bien malades ! ».

Et il ajouta en me quittant : « Manifestement les lointains héritiers de Byzance, qui au surplus ont été protégés par le communisme de la contamination occidentale, ont gardé des atouts que vous n’avez plus. La troisième Rome se tient encore à l’Est ! Vous devriez y réfléchir, avant qu’il ne soit trop tard, puisque selon la prédiction du moine Philothé (*), il ne devrait pas en y avoir de quatrième ».

Il pleuvait sur Paris, ou sur Rome, je ne savais plus très bien. Je regardai s’éloigner l’Evidentiste dans l’averse, tout en pensant à ses derniers propos : « Nous devrions y réfléchir, en effet ».

Michel Geoffroy
3/02/2016

(*) Moine au monastère de Pskov au début du XVIe siècle.

Correspondance – Poémia : 4/02/2016

Image : Odoacre, chef des Hérules, force Romulus Augustule, dernier empereur romain d’Occident, d’abdiquer le 4 septembre 476.

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