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Réflexions sur les révolutions dans le monde arabe

Réflexions sur les révolutions dans le monde arabe

par | 2 mars 2011 | Géopolitique

L’histoire nous apprend que les révolutions arrivent de façon imprévisible. Ce fut le cas pour la révolution française mais aussi pour la révolution russe. Personne ne put prédire les événements. Plus récemment, les pays communistes de l’Est de l’Europe ont vu leurs régimes communistes s’effondrer sans résistance réelle. L’aveuglement des dirigeants semble avoir été total : on dit que lorsque les manifestations grondaient dans Berlin Est, une réunion se tenait au gouvernement pour voir comment renforcer la frontière ouest en cas d’attaque de l’OTAN !

 Des milliers de petits événements modifient la conscience des citoyens

Les révolutions arabes, elles aussi, ont surpris les observateurs, même très qualifiés. Heidegger seul semble avoir trouvé la cause de telles révolutions « spontanées » dans ce qu’il appelle l’histoire de l’Être. En réalité, des milliers de petits événements modifient la conscience des citoyens jusqu’à ce qu’ils passent à l’action. L’histoire échappe ainsi aux prévisions des particuliers, fussent-ils au pouvoir : c’est « l’histoire de l’Être » !

Notons que les révolutions que nous avons observées dans l’histoire commencent toujours de façon spontanée, dans un certain désordre, avec beaucoup d’intentions généreuses et sans leader. Puis les lois de l’organisation sociale font que peu à peu, du chaos émergent les forces réelles capables de réorganiser la société. Ces forces sont animées par des idéologies plus ou moins cohérentes. Peu à peu, les plus organisés, les plus idéologues (c’est-à-dire ceux qui sont les plus organisés dans leur cerveau) et les plus extrémistes prennent le pouvoir.

Prendre de la distance avec les événements

En 1789, il n’y a pas de vrai leader pour prendre la Bastille. Quelque temps après, Lafayette jouera un rôle important mais le leadership ne se solidifiera qu’avec Robespierre qui instaurera une véritable dictature au nom de la liberté et de l’égalité ! En 1917, on distingue une première révolution « démocratique » avec Kerenski mais celui-ci est éliminé et Lénine prend le pouvoir qu’il organise de façon dictatoriale. Les slogans du début, la paix, la terre aux paysans, le pouvoir aux soviets (aux conseils de citoyens : quoi de plus démocratique à priori) sont oubliés. La paix n’est plus possible car il faut lutter contre les armées blanches, la terre aux paysans était un slogan de transition mais incompatible avec le collectivisme et le pouvoir devient en fait dictatorial.

Pourquoi ces références à l’histoire ? Pour prendre de la distance avec les évènements d’aujourd’hui. A présent, les révolutions dans le monde arabe se font autour d’une rhétorique plus ou moins « démocratique ». Mais ce fut le cas de la plupart des révolutions depuis la fin du 18e siècle. Cela ne garantit pas que les révolutions actuelles resteront « démocratiques ». De Lafayette à Robespierre, de Kerenski à Lénine, de la République de Weimar au troisième Reich, les exemples de durcissements sont nombreux après une phase démocratique plus ou moins désordonnée.

L’aire de la démocratie n’est pas universelle

Dans le cas de l’Europe de l’Est, il est vrai que les pays d’Europe centrale, après le communisme, ont bâti des démocraties stables. Curieusement, la zone de succès de ces démocraties coïncide avec les pays d’obédience catholique ou protestante. Ces pays ont bénéficié d’un héritage culturel chrétien (où Dieu se fait homme), gréco-romain (la culture classique centrée sur la dignité de l’homme et l’idée même de république a fourni sa nourriture culturelle aux élites). Enfin, cette aire a aussi été celle de l’influence de la renaissance et des lumières, influence très faible en Russie par comparaison.

Les pays orthodoxes semblent d’ailleurs suivre d’autres voies : la Bulgarie semble avoir une classe politique mafieuse, la Serbie n’est pas vraiment stabilisée au contraire de la Roumanie. Plus à l’est, on a des régimes autoritaires à façade démocratique, Russie, Biélorussie et Ukraine notamment. La Russie a d’ailleurs connu deux phases : celle du président Eltsine, plus démocratique et plus désordonnée, et la phase actuelle où l’Etat reprend son autorité sur une base nationaliste.

Dans le monde arabe, la société civile n’est pas issue d’un long processus de développement économique à partir d’une culture issue du christianisme et de l’Antiquité. Quelles sont les idéologies dont pourraient se réclamer les futurs dirigeants révolutionnaires ?

  • la démocratie à l’occidentale. C’est ce que tout le monde souhaite. Les masses de ces pays sont-elles si favorables que cela à l’Occident ? La démocratie est une procédure mais elle repose en réalité sur un terrain socio-culturel. Ce terrain existe-t-il ?
  • Le socialisme arabe : il ne semble plus guère à la mode depuis la chute de Saddam Hussein. L’attitude du colonel Khadafi ne rend pas cette idéologie très attrayante à présent. Et le socialisme bureaucratique ne crée nulle part la prospérité.
  • Le nationalisme arabe : c’est aussi une idéologie empruntée à l’Occident et c’était l’épine dorsale idéologique de beaucoup des dictatures contestées. C’était l’alternative culturelle la plus sérieuse à l’islamisme depuis Nasser. Cette alternative disparaît.
  • L’islamisme. Ce n’est un mystère pour personne que l’islamisme connaît de grands succès dans une partie des jeunes générations. Il offre une alternative au matérialisme dans des pays où le niveau de vie a peu de chances de s’améliorer de façon réelle pour des raisons à la fois économiques et démographiques.

De même que le libéralisme de Lafayette a été remplacé par un jacobinisme autoritaire mais facteur d’ordre lors de la révolution française, de même que le libéralisme de Kerensky a été balayé par le pouvoir autoritaire des bolcheviks, il n’est pas impossible que dans une deuxième phase, l’islamisme prenne son essor pour sortir du chaos les pays qui y ont été plongés par les révolutions. L’islamisme est une force morale réelle, non seulement par sa force spirituelle propre et son enracinement populaire, mais aussi en raison de son action charitable face à des pouvoirs politiques qui paraissent coupés du peuple et corrompus.

L’hypothèse islamiste

Il faut donc envisager l’hypothèse islamiste, même si elle n’est pas certaine. Pour cela, il faut éviter la vision étroitement économiste et matérialiste de beaucoup de dirigeants occidentaux. La laïcité a peu de chance d’être un facteur de cohésion sociale face à l’islamisme dans un contexte moral purement matérialiste. L’Occident et notamment la France, doivent donc montrer que leur modèle est certes démocratique et libéral mais qu’il repose aussi sur des valeurs morales traditionnelles (christianisme et Antiquité) et des valeurs civiques de type nationales mêmes si toutes ces racines ont été remises en cause depuis Mai 68.

Il ne faut pas sous-estimer non plus le mécontentement croissant intérieur aux pays occidentaux où les citoyens sentent le pouvoir s’éloigner d’eux. La façade reste démocratique mais qui est encore réellement persuadé qu’il va changer les choses grâce à son bulletin de vote tous les cinq ans ? Certes, nos concitoyens votent encore (mais moins chez les jeunes) mais dans un certain désenchantement, à l’exception notable de la Suisse. Celle-ci ne serait-elle pas d’ailleurs le vrai modèle pour le nouveau siècle qui a commencé ?

Yvan Blot
01/03/2011

Ivan Blot

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