Depuis l’attentat de Bondi Beach, en Australie, une constante lexicale s’impose dans la presse dite occidentale. Qu’il s’agisse de l’enquête du Telegraph signée par Memphis Barker et Andrea Hamblin, How anti-Semitism came to haunt Albanese and Australia, ou des articles et chroniques publiés en France, notamment sous la plume de Renaud Girard dans Le Figaro avec Le retour de l’antisémitisme le plus bestial jusqu’en Australie, un même mot revient, obsédant, exclusif, saturant l’analyse : antisémitisme. Le terme est exact, juridiquement opérant, moralement mobilisateur. Il permet de qualifier l’acte, de susciter l’émotion, de légitimer une réponse sécuritaire. Pourtant, à mesure qu’il s’impose, il agit aussi comme un écran.
Un glissement lexical
Le terme « antisémitisme » désigne la haine tout en neutralisant la question de son origine, de sa structure et de sa matrice idéologique. Le phénomène est d’autant plus frappant que, dans ces mêmes articles, un détail est abondamment souligné : l’homme qui s’est interposé au péril de sa vie pour désarmer l’un des terroristes était musulman. Cette précision est jugée nécessaire, presque pédagogique, afin d’éviter tout amalgame.
Dans le même mouvement, la dimension religieuse des auteurs de l’attentat, pourtant décrits comme inspirés par l’État islamique, est reléguée à l’arrière-plan, dissoute dans un vocabulaire abstrait. La religion est nommée lorsqu’elle rassure, elle disparaît lorsqu’elle oblige à penser.
Ce glissement lexical n’est pas un simple biais médiatique. Il est le produit d’une configuration idéologique plus large, propre à ce que l’on appelle communément l’Occident. Or c’est ici qu’une distinction essentielle s’impose, trop souvent effacée dans le débat public, mais centrale dans la tradition intellectuelle de la Nouvelle Droite, notamment chez Alain de Benoist : celle entre l’Occident et l’Europe.
Occident et Europe, une nuance importante
L’Occident n’est pas une civilisation au sens charnel du terme. Il est le résultat historique d’une projection mondiale de l’homme européen, issue de la modernité, de la colonisation, du libéralisme économique et de l’universalisme abstrait. Il porte avec lui des handicaps structurels, culpabilité historique intériorisée, haine de soi devenue réflexe moral, refus croissant de toute affirmation identitaire. L’Occident est un espace idéologique avant d’être un monde vécu, un ensemble de valeurs proclamées plutôt qu’un héritage incarné.
L’Europe, à l’inverse, est une réalité charnelle, historique, tragique. Elle est faite de peuples, de mémoires, de paysages, de conflits anciens et de réconciliations lentes. Elle n’est pas réductible à un système de normes ou à un discours moral universel. Elle colle à la peau. Cette distinction, au cœur de la pensée d’Alain de Benoist et longuement développée dans les pages de Nouvelle École puis d’Éléments, constitue l’un des axes doctrinaux les plus solides pour comprendre l’impuissance actuelle du discours dominant.
C’est précisément cette confusion entre Occident et Europe qui interdit aujourd’hui toute analyse lucide de la haine anti-juive contemporaine. En parlant au nom de l’Occident, la presse adopte spontanément un langage moral, abstrait, déshistoricisé. Elle amalgame des phénomènes distincts, confond l’antisémitisme européen traditionnel, d’origine chrétienne et aujourd’hui largement marginalisé, avec une haine anti-juive contemporaine portée par des secteurs radicalisés de l’islam, structurée théologiquement, diffusée transnationalement et de plus en plus souvent traduite en actes meurtriers.
Adrien Bez rappelle dans Le Figaro que les services de renseignement australiens qualifiaient déjà l’antisémitisme de menace prioritaire bien avant l’attentat. Renaud Girard souligne explicitement la stratégie de Daech visant à dresser les communautés musulmanes contre les Juifs au sein des sociétés occidentales ouvertes. Ces éléments sont présents, établis, documentés. Pourtant, ils ne produisent pas leurs conséquences intellectuelles. Ils sont rapportés, mais neutralisés par le cadre interprétatif occidental.
Islam et islamisme : le refus de nommer le réel ?
Pour maintenir ce cadre, une autre distinction est systématiquement mobilisée : celle entre l’islam et l’islamisme. L’islamisme est présenté comme une idéologie politique autonome, détachée de la religion musulmane vécue par les croyants ordinaires. Cette séparation, devenue un automatisme discursif, relève moins d’une analyse rigoureuse que d’une nécessité morale propre à l’Occident culpabilisé. Elle permet d’éviter toute interrogation théologique, toute mise en cause des textes, des récits fondateurs, des représentations du monde.
Or, comme l’ont montré de nombreux travaux, de Gilles Kepel à Bernard Rougier, l’islamisme n’est pas une excroissance sans racine. Il est une interprétation interne de l’islam, minoritaire certes, mais pleinement enracinée dans une tradition religieuse, juridique et eschatologique. La différence tient moins à la nature de la foi qu’à son degré de radicalisation et à sa politisation.
Il faut ici rappeler une évidence que le langage abstrait tend à dissoudre. Sous les balles de Bondi Beach, comme ailleurs, ce ne sont pas des concepts intellectuels qui tombent, mais des hommes, des femmes, des enfants bien réels. Des visages, des corps, des existences inscrites dans une histoire, une culture, une continuité humaine immédiatement reconnaissable. Ce sont des familles, des rites, une mémoire européenne transplantée, qui sont visés et frappés. À l’inverse, les visages des bourreaux, leur imaginaire, leur rapport au monde, leur conception du sacré et de l’ennemi nous dissemblent profondément. Feindre de ne pas voir cette dissymétrie anthropologique au nom d’un universalisme abstrait revient à trahir les victimes une seconde fois, en leur refusant le droit élémentaire à la vérité sur ce qui les a tuées.
En refusant de nommer cette continuité idéologique et religieuse, l’Occident se condamne à l’impuissance. Carl Schmitt rappelait que le politique commence avec la capacité à désigner l’ennemi, non pour l’exalter, mais pour le comprendre. En dissolvant l’ennemi dans une catégorie morale générale, l’Occident renonce à cette lucidité minimale. Il se réfugie dans ce que Guillaume Faye aurait appelé une pensée de l’évitement, où le langage sert à anesthésier le réel plutôt qu’à l’éclairer.
L’Europe, elle, n’a pas ce luxe. Lorsqu’elle a su penser en termes de peuples, de cultures et de civilisations, elle a su affronter les conflits qui la traversaient. Lorsqu’elle adopte le langage occidental de la culpabilité infinie et de l’abstraction morale, elle se désarme elle-même.
À force de parler d’antisémitisme sans sujet, sans origine et sans structure, l’Occident croit conjurer la violence par le verbe. Il oublie que les mots sont aussi des armes, et que refuser de nommer, c’est déjà capituler. L’Europe ne survivra pas à cette capitulation sémantique si elle persiste à se confondre avec l’Occident qui la nie.
Balbino Katz
16/12/2025


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