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« Nous sommes dans une dictature médiatico-judiciaire »

« Nous sommes dans une dictature médiatico-judiciaire »

par | 10 mars 2017 | Politique

Jean-Yves Le Gallou, homme politique, créateur et président de la fondation Polémia

♦ Jean-Yves Le Gallou n’est pas de ceux qui hurlent avec la meute. Il le prouve une fois encore en dénonçant la « forfaiture » des juges qui parasitent la campagne présidentielle. Au-delà de cela, il aborde la véritable question qui est celle de la censure permanente, par la justice, des décisions du pouvoir politique, au point que les juges s’approprient les pouvoirs exécutif et législatif.

Et il en appelle à une limitation de la faculté de censure du Conseil constitutionnel. Retrouvez ici l’entretien accordé par Jean-Yves Le Gallou à l’hebdomadaire Minute.
Polémia.


« Minute » : Quel regard portez-vous sur le développement d’affaires judiciaires concernant Marine Le Pen et François Fillon en pleine campagne pour l’élection du président de la République ?

Jean-Yves Le Gallou : Pour apprécier la situation, il faut faire un effort d’imagination et se télétransporter. Imaginons qu’il y ait une élection présidentielle en Russie et que, tous les deux jours, l’un des deux principaux candidats d’opposition, ou les deux, soit perquisitionné, convoqué chez les juges, mis en examen ou que ses proches se trouvent dans cette situation. Evidemment, l’ensemble des médias mondiaux, les médias français au premier chef, crierait à l’atteinte à la démocratie. Sauf que ce que je viens de décrire ne se passe pas – et ne s’est pas passé – dans la Russie de Vladimir Poutine mais se déroule actuellement dans la France de François Hollande…

Le décret de Manuel Valls mettant sous le contrôle du gouvernement la cour de cassation démontre qu'il ne voit en la loi qu'un outil politique.

Le décret de Manuel Valls mettant sous le contrôle du gouvernement la Cour de cassation démontre qu’il ne voit en la loi qu’un outil politique.

La séparation des pouvoirs exige que le pouvoir judiciaire reste dans son lit et qu’en tout cas, en période électorale, il fasse preuve d’un minium de retenue. Or ce n’est pas du tout à cela qu’on assiste mais, au contraire, à un véritable séquençage des opérations judiciaires en fonction du calendrier électoral et de l’intérêt de la presse pour une « feuilletonnisation » des supposées « affaires » Fillon et Le Pen.

En polluant délibérément la campagne électorale, les juges commettent une forfaiture.

Les scandales ne touchent que François Fillon et Marine Le Pen. Parce qu’il n’y aurait rien, en ces temps de grand déballage, sur Emmanuel Macron ?

Pendant ce temps-là, en effet, quid d’Emmanuel Macron ? Quid de son rôle dans la vente à des intérêts étrangers d’Alstom et de Technip ? Quid de son rôle dans la vente de SFR à Patrick Drahi par l’intermédiaire de Bernard Mourad, qui est maintenant « conseiller spécial » auprès de Macron dans sa campagne présidentielle, ce qui est là, pour formuler les choses de façon aimable, aux limites du conflit d’intérêts ?

Quid encore de ses frais de bouche considérables lorsqu’il était ministre ? Quid encore du décalage entre les revenus qu’il a perçus de 2010 à 2012 – autour de 3 millions d’euros ! – alors qu’il officiait chez Rothschild, et le patrimoine qu’il déclare aujourd’hui, étonnamment faible ? Qu’a-t-il fait de cet argent ? L’a-t-il flambé ? L’a-t-il planqué ? De vraies questions sont posées sur Internet, notamment sur crises.fr, mais quasiment aucune dans les médias « mainstream »…

Marine Le Pen a fait jouer son immunité parlementaire, pour ne pas déférer aux convocations des juges, pas François Fillon, qui s’y rendra et risque donc d’être mis en examen. L’immunité parlementaire est-elle une bonne règle ?

Une règle de base de la démocratie parlementaire, au demeurant pas toujours bien comprise des électeurs qui la tiennent pour un privilège qu’il faudrait abolir, est celle des immunités.

Les immunités parlementaires ont été conçues pour protéger les élus de l’arbitraire des pouvoirs, que ce soit celui du pouvoir exécutif ou celui du pouvoir judiciaire. L’immunité n’est pas un privilège, c’est une sorte de garde-fou qui protège leur liberté et leur capacité à représenter leurs électeurs.

Pendant très longtemps on ne levait pas les immunités, hormis dans des cas tout à fait exceptionnels, et, ceci est très important, uniquement dans des dossiers détachés de l’action politique de l’intéressé. Or il est évident que l’emploi d’attachés parlementaires n’est pas détaché de l’action politique.

On peut gloser à l’infini sur les supposés « emplois fictifs » au Parlement européen, on ne peut pas dire que garde du corps de Marine Le Pen, c’est un emploi fictif ! Quand Marine Le Pen va au Parlement européen à Strasbourg ou à Bruxelles, elle a autant besoin de son garde du corps que lorsqu’elle est en France ou n’importe où ailleurs ! La poursuivre pour cela, c’est du délire.

Au-delà du délire, il y a manifestement une autre catégorie, celle de l’abjection peut-être, que vient d’atteindre le Parlement européen en levant l’immunité de Marine Le Pen à propos d’un tweet par lequel elle avait diffusé, évidemment pour le condamner, la photo d’un acte de barbarie islamiste. Ce devrait tout de même être le droit d’un responsable politique d’informer sur la barbarie islamiste ! Eh bien non ! Une majorité de députés au Parlement européen a estimé qu’elle devait en répondre devant la justice !

Que pensez-vous de ce qu’on appelle la « jurisprudence Balladur », qui contraint tout ministre mis en examen à démissionner et s’étend maintenant à un candidat à la présidence de la République qui pourrait être mis en examen ?

Cette « jurisprudence », c’est celle du lâchage en bande organisée.

Elle est parfaitement grotesque, d’autant que si on appliquait à tout le monde, de façon stricte, le Code pénal qui fait plus de trois mille pages, ce sont vingt millions de personnes que l’on pourrait mettre en prison. On ne le fait pas parce qu’il y a le critère de l’opportunité des poursuites, qui fait qu’on poursuit ou qu’on ne poursuit pas. Par exemple, Emmanuel Macron n’a peut-être pas été toujours en parfaite régularité vis-à-vis du fisc mais on ne l’a pas poursuivi, ce que je peux comprendre par ailleurs.

Je note à cet égard que le Code pénal s’est considérablement étendu au cours de ces quarante dernières années, en même temps que la délinquance et le désordre ne cessaient de progresser. Ce qui tend à prouver que là n’était peut-être pas le problème…

Concernant le financement des partis et des campagnes politiques, on a multiplié les textes de façon tellement complexe qu’on peut toujours trouver des motifs pour mettre en examen telle ou telle personne. Et après ? Depuis quand une mise en examen signifie-t-elle qu’on est coupable ? érard Longuet a été mis en examen durant une vingtaine d’années et, au final, il n’a jamais été condamné ! Ça a juste brisé en partie sa carrière politique…

Cette « jurisprudence Balladur » est donc d’une stupidité sans nom puisqu’elle revient à laisser au juge le pouvoir de décider qui peut être ministre – et maintenant qui peut être candidat – en fonction du zèle qu’il aura mis ou des moyens que la police aura déployés pour s’intéresser à tel homme politique plutôt qu’à tel autre.

Je suis persuadé que si on appliquait à Emmanuel Macron les mêmes méthodes que celles employées à l’égard de Marine Le Pen ou de François Fillon, il serait très exactement dans la même situation. Et au final, on annulerait l’élection présidentielle faute de candidat ?

Vous estimez que le droit est devenu tellement complexe que nul n’est en mesure de le respecter à la lettre et qu’il suffit de vouloir trouver la faille pour la dénicher ?

Il y a un mélange de pointillisme et de favoritisme.

D’un côté, si vous payez le café au bistrot de votre poche à trois colleurs d’affiches au lieu de le faire régler par votre mandataire financier et sans prendre le ticket de caisse, votre compte de campagne peut être rejeté !

De l’autre, vous pouvez être candidat à l’élection présidentielle, faire la une de tous les newsmagazines chaque semaine – ou, quand ce n’est pas vous, votre femme ! –, bénéficier donc d’une gigantesque publicité sans que vous ayez aucune obligation d’en imputer le coût à votre compte de campagne, qui dépasserait de toute façon très vite le plafond des dépenses autorisées !

De même voit-on, à l’approche de chaque campagne pour les élections municipales, les mairies sortantes subventionner des associations qui mènent ensuite des actions militantes – et éventuellement des procès – contre les adversaires de la mairie sortante.

De même encore interdit-on aux partis d’être financés par des entreprises, mais, dans le même temps, les médias s’appuient sur les travaux d’associations financées par ces mêmes entreprises pour démolir le programme des candidats qui ne leur plaisent pas. L’exemple le plus criant est celui de l’Institut Montaigne, toujours cité comme source de référence pour ses travaux sur l’immigration, sur l’islam, sur l’économie, etc., et qui est financé par les plus grandes entreprises !

François Fillon a parlé d’une entreprise d’« assassinat politique » à son encontre, ce qu’Alain Juppé lui a d’ailleurs reproché. Qu’en pensez-vous ?

Il y a évidemment une manœuvre politique derrière l’opération anti-Fillon, qui n’était pas le candidat du Système. Mais le candidat du Système, Alain Juppé, a été démoli par les médias alternatifs et les réseaux sociaux, et les électeurs de la primaire se sont prononcés pour François Fillon parce qu’il leur paraissait représenter un courant plus conservateur sur le plan des valeurs. C’est ce qui a déplu et la campagne de démolition de Fillon a été engagée au lendemain de sa victoire à la primaire et elle a été relayée à l’intérieur des Républicains.Ceux qui lâchent actuellement Fillon sont les hommes politiques les plus dépendants des médias, qui ne doivent leur petite notoriété qu’à la complaisance des médias à leur égard, laquelle est proportionnelle à leur complaisance vis-à-vis du politiquement correct.

Il semble qu’il y ait une rage du Système après le Brexit et après l’élection de Trump. La présidentielle française est marquée par cette volonté du

Conseil d'Etat - Section sociale, mars 2015

Conseil d’Etat – Section sociale, mars 2015

Système de prendre sa revanche à tout prix en essayant de faire élire Macron ou, jusqu’à lundi matin, en essayant de remettre en selle Alain Juppé.

Si le second tour oppose Marine Le Pen à Emmanuel Macron, vous verrez comment la machine médiatico-judiciaire va se déchaîner. Avec, probablement, la révélation de nouvelles affaires accompagnées de leurs lots de perquisitions et de mises en examen, et, pourquoi pas, de mises en détention.

Le débat s’est focalisé un instant sur le pouvoir des juges dans la campagne mais la question de fond n’est-elle pas plutôt celle du pouvoir des juges sur toutes les décisions politiques, dans la mesure où chaque décision ou presque fait l’objet d’un contentieux ?

On peut citer de nombreux exemples. La gestation pour autrui est interdite en France ? Pas grave ! Il se trouvera toujours un juge pour « légaliser » une gestation pour autrui réalisée à l’étranger.

S’il est un domaine sur lequel le rôle du juge est central, c’est celui de l’immigration. Depuis quarante ans, la politique migratoire de la France n’est absolument pas décidée par les élus, ni par les ministres, mais par les juges.

Je vais prendre un exemple très concret et méconnu. On nous dit que le regroupement familial est la faute majeure de Valéry Giscard d’Estaing. C’est tout à fait injuste. S’il est vrai que Giscard, Jacques Chirac étant premier ministre, a instauré le regroupement familial en 1976, il est revenu dessus en 1979, alors que Raymond Barre était à Matignon et Christian Bonnet au ministère de l’Intérieur. Or cette décision a été cassée par le Conseil d’Etat, qui a interprété à sa manière la Convention internationale des droits de l’enfant !

Autre exemple : aujourd’hui, 97% des clandestins ne sont pas expulsés – ils ne sont pas « reconduits à la frontière » –, parce que chaque procédure fait l’objet d’un recours et que les juges trouvent toujours l’élément de procédure qui permet de rendre ce renvoi impossible. C’est du délire judiciaire !

Lorsque le préfet du Pas-de-Calais a voulu démanteler une partie de la « jungle de Calais », des associations, évidemment subventionnées, ont contesté cet arrêté. A ce moment-là, on a assisté à cette scène tout à fait surréaliste d’un juge administratif se baladant dans la jungle entouré d’une forêt de micros et de caméras, et prenant une décision qui interdisait la destruction de certains « lieux de vie » (des cabanes appelées mosquées par exemple) ! Là, c’est ce juge qui a exercé le pouvoir exécutif !

De manière générale, ce sont les juges qui exercent le pouvoir législatif puisque toute la législation sur l’immigration est susceptible d’être censurée par le Conseil constitutionnel, qui lui-même interprète à sa manière les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, qui elle-même a sa lecture politiquement correcte de textes extrêmement généraux.

On est bien loin de Montesquieu et de la séparation des pouvoirs : avec l’appui des médias, l’autorité judiciaire est en train d’accaparer la réalité du pouvoir. Et les idiots utiles prétendent qu’il serait interdit de la critiquer.

Que proposez-vous ?

Il faut bien prendre conscience d’une chose : nous ne sommes plus en démocratie, nous sommes dans une dictature médiatico-judiciaire.

Il faut donc rendre le pouvoir au peuple, en redonnant aux parlementaires la possibilité de faire des lois sans être censurés par le Conseil constitutionnel, qui n’est d’ailleurs que le bras armé du Conseil d’Etat, et en instaurant la possibilité de faire les lois par référendums – y compris par des référendums d’initiative populaire.

Et abroger la loi Pleven, afin que le débat puisse se réinstaurer. Aujourd’hui, au nom de cette loi, des hommes politiques comme des intellectuels ne peuvent plus s’exprimer sous peine d’être poursuivis, ce qui arrive très régulièrement comme l’ont montré les cas de Robert Ménard ou d’Eric Zemmour, pour ne citer que les plus connus. Il ne peut y avoir de débat que si les différentes opinions ont le droit de s’exprimer. Et cela, ce n’est pas possible avec la dictature judiciaire.

Les juges appliquent la loi votée par le Parlement…

Sauf que la loi pénale, dans toute la tradition juridique française, est d’interprétation stricte, alors que la loi Pleven est d’application extensive pour ce qui est politiquement incorrect, et de non-application pour ce qui est politiquement correct.

Quand Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déclare, comme elle l’a fait en 2015 : « On a une télévision d’hommes blancs de plus de 50 ans, et ça, il va falloir que cela change », c’est un délit (d’incitation à la discrimination raciale et sexuelle) si on applique la loi Pleven, mais là, elle n’est pas appliquée.

La lecture dominante des textes est toujours la lecture politiquement correcte. Elle est donc une lecture militante. C’est vrai pour la liberté d’émettre une opinion comme c’est vrai pour la liberté d’installation des migrants.

Mais pour ce qui concerne les décisions du Conseil constitutionnel ?

Il faut revenir à la Constitution d’origine de la Ve République.

Comment cela ?

Le général De Gaulle s’était opposé à ce que le Conseil constitutionnel interprète et censure les lois en fonction de principes généraux. Il voulait simplement que le Conseil constitutionnel vérifie la conformité des lois aux articles de la Constitution, qui sont précis, et non pas en interprétant à leur sauce des textes beaucoup plus généraux.

Conseil constitutionnel - Réunion des sages

Conseil constitutionnel – Réunion des sages

Or il y a eu un coup d’Etat constitutionnel en 1971 quand le Conseil constitutionnel a décidé d’étendre sa compétence en appréciant les lois au regard de textes généraux qu’il interprète à sa manière : préambule de 1946 d’abord, puis Déclaration des droits de l’homme de 1789, et enfin conventions internationales sur les droits de l’enfant, les droits des réfugiés, etc., la Convention européenne des droits de l’homme et j’en passe.

Ce coup d’Etat de 1971 a été mené par Gaston Palewski, qui avait été directeur de cabinet du général De Gaulle et était un gaulliste de stricte obédience qui a fait cela par hostilité à l’égard de Georges Pompidou. Petit motif, immenses conséquences…

Par vengeance, Gaston Palewski, qui était alors président du Conseil constitutionnel, a introduit le germe de la destruction de la Constitution du général De Gaulle ! Jules Monnerot appelle cela l’hétérotélie : le résultat est très différent de l’objectif qu’avait son auteur…

Il faudrait donc en revenir à la situation antérieure à ce « coup d’Etat » de 1971 ?

On fait dire ce qu’on veut aux textes et, cela, Donald Trump l’a bien compris.

Le président Trump a nommé à la Cour suprême un juge qualifié d’« originaliste ». Ce n’est pas parce qu’il est original, mais parce qu’il estime que l’on doit se limiter à une lecture extrêmement stricte de la Constitution des Etats-Unis et de ses amendements, et non pas en multiplier les interprétations, qui permettent tout et son contraire.

On l’avait vu avec la question de la ségrégation raciale. Dans les années 1960, la Cour suprême a imposé la déségrégation. Or, en 1857 (arrêt Dred Scott versus Sanford), cette même Cour suprême avait cassé une décision du Congrès des Etats-Unis (le compromis du Missouri) limitant l’esclavage à certaines parties du territoire, car elle estimait que c’était contraire au droit de propriété, protégé par le 5e Amendement de la Constitution ! Vous voyez que l’on peut faire dire aux textes ce que l’on veut. Si je rappelle cela, c’est à destination des imbéciles qui sacralisent les décisions des cours constitutionnelles.

Il faut donc revoir ce qu’on appelle le « bloc de constitutionnalité », de sorte que la validité des lois ne puisse plus être appréciée par le Conseil constitutionnel que sur la base des articles de la Constitution de la Ve République, et non plus en fonction de textes généraux auxquels on fait dire ce que l’on veut en fonction de l’esprit du temps.

Jean-Yves Le Gallou
Propos recueillis par Antoine Vouillazère
8/03/2017

Entretien paru dans le Minute n° 2812 du 8 mars 2017 (p. 4-6)

Correspondance Polémia – 10/03/2017

Image : Conseil d’Etat, au Palais royal

Jean-Yves Le Gallou

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