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« Manchester, cesser de nous mentir »

« Manchester, cesser de nous mentir »

par | 28 mai 2017 | Politique

« Manchester, cesser de nous mentir »

Par Natacha Polony, journaliste et essayiste ♦ Il y a d’abord cette horrible sensation, comme une oppression sur la poitrine, et les larmes qui montent d’imaginer ces parents essayant de joindre leur enfant et ces portables qui sonnent dans le vide sur une scène de carnage. Il y a la rage de sentir notre impuissance et de savoir que des tarés, quelque part, se réjouiront de cette monstruosité. Mais une fois les émotions passées, après les cérémonies et les minutes de silence, il restera le devoir que nous avons tous, collectivement, de nous demander ce que nous pouvons faire.


Nul ne peut prétendre empêcher tout attentat. Les services de renseignement français ont beaucoup appris et l’état d’urgence leur a donné les moyens d’aller vite. Mais le drame de Manchester nous oblige à regarder la réalité en face.

Le premier point, que feront apparaître les investigations dans l’entourage de Salman Abedi, est que la Libye constitue désormais un danger mortel pour l’Europe. Les militaires français alertent depuis plusieurs mois sur le passage en Libye, via une Turquie complaisante, d’un nombre considérable de cadres de l’État islamique fuyant les offensives alliées contre Mossoul et Raqqa. Abedi est lui-même passé par la Turquie pour rejoindre l’Europe. «On a également observé depuis quelques mois une montée en gamme des explosifs dans la région, et tout particulièrement de ceux utilisés contre les troupes françaises au Sahel, précisait Didier François sur Europe 1. De toute évidence, on assiste là à un transfert de savoir-faire, venu d’Irak et de Syrie.» Ce nouvel abcès permet à de futurs commandos de se mêler au flot de malheureux que des passeurs jettent sur la Méditerranée.

Deuxième point: l’histoire de nos propres djihadistes nous démontre qu’une bonne part d’entre eux sont, comme Salman Abedi, nés sur le sol européen, et qu’ils ont nourri leur haine de ce que nous sommes sur les bancs de nos écoles. Mais à aucun moment ils n’ont rencontré de réponse adaptée. Que dire de ce jeune homme qui tente par deux fois de partir en Syrie et que trois juges décident de relâcher parce qu’il a promis que, bien sûr, il avait renoncé à ses projets et qu’il allait chercher du travail? Ce jeune homme a égorgé un prêtre de 86 ans. Il semble que certains magistrats n’aient toujours pas intégré cette menace contre laquelle se battent policiers et militaires. Ce qui nous manque n’est pas une nouvelle loi antiterroriste mais un réarmement intellectuel et moral de toutes les institutions de cette République, de chaque citoyen, même, quelles que soient ses origines ou sa religion, pour que nous fassions corps contre cette haine.

Dernier point, enfin, que l’on ne martèlera jamais assez, et que chaque nouvel attentat au Royaume-Uni, au Danemark ou en Allemagne nous rappelle: le multiculturalisme ne nous sauvera pas de leur haine. Le djihadiste qui se fait exploser au milieu d’adolescentes sortant d’un concert ne proteste pas contre une quelconque discrimination. Pas plus que celui qui tue de sang-froid à bout portant des enfants parce qu’ils sont juifs. Il faut s’appeler Tariq Ramadan pour écrire une semaine après le massacre de l’école Ozar Hatorah que Mohamed Merah était «victime d’un système qui l’avait déjà condamné». Le djihadiste de Manchester vivait dans une société qui tolère le voile intégral et juge incompréhensible la laïcité à la française. On peut chercher à comprendre les multiples facteurs qui nourrissent les frustrations de jeunes gens en quête d’une revanche. Doit-on pour autant, comme Emmanuel Macron en 2015, disserter sur le «terreau» qui favorise le basculement et qui pourrait relever de «notre responsabilité» ?

Sans nier qu’il existe des discriminations – envers les Arabes ou les Noirs, mais pas envers «les musulmans» -, doit-on persuader les jeunes gens de ce pays que leurs éventuels échecs ne s’expliquent que par le fait qu’ils seraient maltraités par la République? S’il est un terreau qui favorise le passage à l’acte, c’est bien celui-là.

Il nous faut, bien entendu, prendre conscience de nos failles et de nos fractures.
– Cesser de croire que l’on peut impunément déstabiliser des pays et des régions entières au nom d’intérêts troubles.
– Cesser de penser qu’il est anodin de laisser des alliés au portefeuille bien garni infiltrer nos banlieues, tout comme des pans entiers de l’Afrique, avec un islam intégriste et totalitaire.
– Cesser de prendre pour des enfants perdus et mal aimés des soldats imprégnés d’idéologie.
– Cesser de réduire notre modèle de civilisation à sa dimension la plus sordide pour s’étonner ensuite qu’il n’exalte pas nos jeunes et les voie se chercher ailleurs des raisons de vivre ou de mourir.
– Cesser enfin de nous répéter qu’il faut nous «habituer» au terrorisme, ce qui sonne comme le pire des fatalismes.
– En somme, cesser de nous mentir.

Il nous faut l’avoir sans cesse à l’esprit, pour nourrir nos réflexions et nos choix, nous rappeler l’impératif de protéger nos enfants et de les voir grandir dans un monde où ils n’auront pas à craindre que celui qui a partagé les bancs de l’école avec eux ne les assassine un jour.

Natacha Polony
26/05/2017

Source : Le Figaro, 27/05/2017. Correspondance Polémia – 27/05/2017. Image : Attentat de Manchester, 22 morts, 56 blessés.

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