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L’Idéologie de la superclasse mondiale (4e partie et fin)

L’Idéologie de la superclasse mondiale (4e partie et fin)

par | 28 juillet 2011 | Géopolitique

En octobre 2009, le Club de l’Horloge a consacré sa XXVe Université annuelle à « Crise économique : la responsabilité de la superclasse mondiale ». Henry de Lesquen y a consacré une conférence à l’idéologie de la superclasse mondiale (SCM). Polémia met ce texte à la disposition de ses lecteurs en quatre « livraisons : un réseau mondial de personnes déracinées et dénationalisées ; une prétention au « despotisme éclairé » ; une philosophie sous-jacente : le cosmopolitisme ; la superclasse mondiale responsable de la crise. Polémia poursuit ici la publication du texte d’Henry de Lesquen, en présentant la quatrième et dernière partie.

La superclasse mondiale responsable de la crise

Les économistes raisonnables (il y en a quelques-uns) condamnent depuis longtemps les privilèges accordées aux banques privées, qui ont la faculté de créer de la monnaie, puisque, selon l’adage, « les emprunts font les dépôts » (loans make deposits). Cela pourrait s’admettre dans un système de liberté monétaire, comme le proposait Hayek, mais c’est abusif et dangereux quand l’État donne cours légal à une monnaie unique qui est créé non seulement par la banque centrale, mais par les banques privées. C’est en effet ce privilège de battre monnaie donné aux banques qui est à l’origine de la formation des « bulles », c’est-à-dire de l’expansion démesurée des prix des actifs et des volumes de transaction, qu’il s’agisse de la bourse et de l’immobilier, et ce sont ces « bulles », qui, en éclatant, donne naissance à une crise économique. Le cycle économique, avec son cortège de crises qui succèdent aux périodes d’euphorie (« boom »), est inhérent au capitalisme, du moins tel qu’il fonctionne en pratique.

On sait que les progrès considérables des techniques financières, qui tiennent à la fois à l’électronique et aux mathématiques, ont été le facteur déterminant de l’expansion du crédit, en même temps qu’ils donnaient à la spéculation une ampleur inouïe et qu’elle transformait le monde en casino, comme l’a dit le professeur Maurice Allais, prix Nobel de sciences économiques. La déflagration finale était inévitable, bien qu’« on ne pût savoir ni le jour ni l’heure ».

Maurice Allais : prophète maudit

Maurice Allais, que Pierre-Antoine Delhommais qualifia dans Le Monde de « prophète maudit », écrivait dès 1998, après la première crise qui était apparue en Asie en 1997 :

« De profondes similitudes apparaissent entre la crise mondiale d’aujourd’hui et la Grande Dépression de 1929-1934 : la création et la destruction de moyens de paiement par le système du crédit, le financement d’investissements à long terme avec des fonds empruntés à court terme, le développement d’un endettement gigantesque, une spéculation massive sur les actions et les monnaies, un système financier et monétaire fondamentalement instable. (…) Qu’il s’agisse de la spéculation sur les monnaies ou de la spéculation sur les actions, ou de la spéculation sur les produits dérivés, le monde est devenu un vaste casino où les tables de jeu sont réparties sur toutes les longitudes et toutes les latitudes. (…) L’économie mondiale tout entière repose aujourd’hui sur de gigantesques pyramides de dettes, prenant appui les unes sur les autres dans un équilibre fragile. [Ceci a été écrit avant le développement de la titrisation et des subprimes !] (…) Jamais sans doute une telle instabilité potentielle n’était apparue avec une telle menace d’un effondrement général. »

La logique de la bulle portée à sa pointe extrême : le modèle unidimensionnel de la société marchande

Il serait absurde d’attribuer à la super-classe mondiale un trait du capitalisme, à savoir le cycle économique dit de Juglar, avec sa succession de phases d’expansion et de crises, qui remonte aux origines : la première crise du genre répertoriée dans les chroniques est celle des oignons de tulipe, aux Pays-Bas, en 1637, dont parle Alexandre Dumas dans La Tulipe noire. On peut quand même remarquer que la SCM, créée par le capitalisme, en a poussé la logique au delà des limites du raisonnable, en refusant l’équilibre des fonctions sociales que préconise la tradition indo-européenne (le modèle des trois fonctions : fonction souveraine, fonction guerrière, fonction productive) et en imposant le modèle unidimensionnel et unifonctionnel de la société marchande, où le dollar (ou l’euro) est l’étalon de toutes les valeurs. La crise de 2008, par son ampleur, n’aurait pas été possible sans la financiarisation extrême et la dénationalisation presque absolue que dénonçait Maurice Allais et qui sont justement les caractères les plus marqués de la superclasse mondiale.

La reine d’Angleterre a eu une remarque frappée au coin du bon sens : comment se fait-il que les économistes n’aient pas prévu la crise ? C’est la bonne question, parce que la réponse à cette question conduit à révoquer en doute les prétendus remèdes qui sont mis en œuvre depuis 2008, à l’instigation de ces mêmes économistes qui n’avaient pas prévu la crise. Ces « remèdes » consistent, nous l’avons dit, à traiter le mal par le mal et donc à l’aggraver, en tentant de relancer l’économie par un surcroît de laxisme monétaire et de laxisme budgétaire. Malgré les dérèglements du système économique, la plupart des économistes continuaient à penser jusqu’à la fin 2008 que les choses allaient s’arranger, grâce à la dextérité des dirigeants des banques centrales !

Théories de la demande et oubli de l’offre

En fait, la crise économique de 2008 n’a pas été prévue par les économistes en place parce que ceux-ci s’appuient sur la théorie keynésienne ou sur la théorie monétariste de Milton Friedman qui sont, l’une comme l’autre, des théories de la demande. Pour les keynésiens, comme pour les monétaristes, l’endettement mondial – qui atteint aujourd’hui 35 trillions de dollars, c’est-à-dire 35.000 milliards – n’est pas un problème en soi, puisque la dette de l’un est une créance de l’autre. Le problème n’apparaît que si l’on se tourne « du côté de l’offre » (supply-side), c’est-à-dire que l’on questionne les structures économiques, qui se trouvent profondément affectées par l’emballement du crédit.

Maurice Allais et les analyses de l’école autrichienne

Maurice Allais, sur ce point, l’un des rares économistes à avoir prévu la crise, et à l’avoir prévu pour les bonnes raisons, rejoint les puissantes analyses de l’école autrichienne d’économie politique de Ludwig von Mises et Friedrich von Hayek (deux des maîtres à penser du Club de l’Horloge, soit dit en passant), eux-mêmes héritiers de l’école suédoise de Knut Wicksell. Selon leurs analyses, le cycle des affaires est la conséquence de l’excès de création monétaire qui fait tomber le taux d’intérêt du marché en dessous du taux d’intérêt naturel, c’est-à-dire du taux d’équilibre qui peut se maintenir à long terme. L’argument central de Ludwig von Mises, hérité de Knut Wicksell, et repris par Hayek, est que, pendant la période d’exubérance (« boom ») qui précède la crise, le taux d’intérêt du marché est maintenu en dessous du taux d’intérêt naturel, ce qui ne peut pas durer indéfiniment. Dans son livre de 1912, Théorie de la monnaie et du crédit, Mises écrit :

« Si notre doctrine des crises doit être appliquée à l’histoire la plus récente [Mises écrit cela en 1912], il faut alors observer que les banques ne sont jamais allées aussi loin qu’elles le pouvaient dans le développement du crédit et dans l’expansion de l’émission des instruments fiduciaires. Elles ont toujours battu en retraite longtemps avant d’avoir atteint cette limite, soit à cause d’une inquiétude croissante de leur part et de la part de ceux qui n’avaient pas oublié les crises précédentes, soit parce qu’elles ont dû se conformer aux réglementations fixant un plafond à la circulation des instruments fiduciaires. [N’est-ce pas justement la différence avec la crise actuelle et aussi, sans doute, avec celle de 1929 ?] Et c’est ainsi que les crises éclatent avant qu’elles aient besoin d’éclater. C’est seulement dans ce sens que l’on peut interpréter l’affirmation qui est vraie en apparence, après tout, que la restriction des emprunts est la cause des crises économiques, ou du moins la raison immédiate de leur déclenchement ; c’est-à-dire que, si les banques avaient continué à réduire le taux d’intérêt des emprunts, elles auraient continué à différer l’effondrement du marché. Si l’on met l’accent sur le mot différer, on peut alors accepter l’argument sans trop de difficulté. Sans aucun doute, les banques seraient en mesure de différer l’effondrement ; mais, cependant, comme nous l’avons montré, le moment doit finalement venir où il n’est plus possible d’accroître davantage la circulation des instruments fiduciaires. C’est alors que se produit la catastrophe, et ses conséquences sont d’autant plus graves, et la réaction contre la tendance exubérante du marché est d’autant plus forte, que la période durant laquelle le taux d’intérêt des emprunts a été inférieur au taux d’intérêt naturel a été plus longue, et que l’emploi de détours de production qui ne sont pas justifiés par l’état présent du marché des capitaux aura été plus important.»

Plus on tarde à agir, plus la crise est grave

Cette analyse est la clé pour comprendre la crise actuelle. La crise de 2008 est d’une ampleur exceptionnelle parce que les banques sont allées au contraire, cette fois-ci, « aussi loin qu’elles le pouvaient » dans le développement du crédit. Elle n’ont pas été retenues d’aller jusqu’au bout parce que la plupart des économistes se référaient à des théories erronées, issues de la pensée de Keynes ou de Friedman, et que les autorités monétaires, en particulier aux Etats-Unis, avec les funestes Greenspan et Bernanke, ont constamment nourri la folie et la cupidité des banquiers. Greenspan pendant de longues années, puis Bernanke, ont fait « la politique de Wall Street », c’est-à-dire la politique d’argent facile qui permettait aux banques et établissements financiers de gagner le maximum d’argent. La crise de 2008 est grave, parce que quand une crise s’est amorcée, en 1997, en 2000, en 2004…, à chaque fois, Greenspan a accru les facilités monétaires pour relancer l’économie, au lieu de se résigner, comme il aurait fallu, à une courte récession. Nous payons aujourd’hui les conséquences de ce laxisme incroyable et de cette fuite en avant permanente.

Mais cela n’a été possible, et c’est là que la mondialisation a une part de responsabilité, que parce que l’inflation a été contenue par la concurrence internationale. Sans la relative sagesse des indices de prix, les autorités monétaires auraient dû réagir en restreignant le crédit. La mondialisation a fait que ce laxisme n’a pas produit l’inflation des prix des biens de consommation, mais l’inflation des prix des actifs, immeubles et actions. Et maintenant que la crise se développe, on tente de la régler par un surcroît de laxisme et on demande aux contribuables de payer le rachat des « actifs toxiques » des banques, ce qui illustre mieux que jamais la formule : « privatiser les profits, étatiser les pertes ».

Une politique économique voulue par les banquiers

La gravité de la crise de 2008 est le symptôme d’un système et d’une politique économique qui ont été voulus et imposés par les membres les plus éminents de la super-classe mondiale, et d’abord par les banquiers. On peut avoir confiance dans l’avenir de l’économie mondiale à très long terme, compte tenu du potentiel de croissance qui résulte des innovations techniques et du décollage des pays du tiers monde (l’Afrique mise à part). Mais on doit être très inquiet pour les dix prochaines années. Les « remèdes » mis en œuvre par la puissance publique à peu près partout sont inspirés par des théories fausses et néfastes et ne peuvent obtenir de résultats qu’à court terme. L’envolée de la dette publique est lourde de lendemains qui déchanteront.

Faut-il en tirer la conclusion que le capitalisme est mauvais en soi ? Ce serait, comme disent les Américains, « jeter le bébé avec l’eau du bain ». Ceux qui pensaient que la crise de 1929 démontrait la supériorité de l’économie soviétique se sont trompés. Et ceux qui pensaient que le remède à la crise était keynésien se sont également trompés, comme l’a montré l’échec des politiques dépensières suivies par Hoover avant Roosevelt, puis par Roosevelt après Hoover : la crise de 1929 s’est achevée en 1945 !

Réduire les privilèges et les pouvoirs des banques

La solution serait donc de réduire les privilèges et les pouvoirs des banques. Il faudrait faire en sorte que les intérêts des banques ne soient pas contraires à ceux de l’économie dans son ensemble. Il y a deux grandes options possibles. La première est de laisser les banques créer de la monnaie, mais d’accepter la concurrence monétaire, c’est la « banque libre » (thèse de Hayek) ; la seconde est d’interdire aux banques de créer de la monnaie (thèse de Maurice Allais).

On n’y arrivera pas si le monde entier, avec l’Europe et la France, reste l’otage de la superclasse mondiale et de la ploutocratie financière qui en est l’émanation.

Henry de Lesquen
Club de l’Horloge

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