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Lettre à Monsieur le Maire de Maureillas-Las-Illas

Lettre à Monsieur le Maire de Maureillas-Las-Illas

par | 24 avril 2013 | Politique

Le vote de la loi Taubira ne clôt pas le débat. Les enjeux historiques (le rapport à la modernité), philosophiques (le rapport à la vie), économiques (tout doit-il entrer dans la sphère marchande) dépassent de loin l’argument bêta du mariage pour tous. Polémia a reçu de l’une de ses correspondantes, Vanessa Biard-Schaeffer, communication de la lettre très profonde qu’elle a adressée au maire de Maureillas-Las-Illas (66), des communes limitrophes ainsi que de Perpignan. Nous en publions de larges extraits. Polémia

Monsieur le Maire,

Je me permets de vous écrire au sujet d’un projet qui défraie la chronique. On l’a intitulé par un tour de passe-passe linguistique « le mariage pour tous ». Cette formule fait de ses opposants, au mieux, des ennemis de l’égalité, au pire, des homophobes.

Pourquoi m’adresser à vous hormis que vous serez amené, si le projet est adopté, à célébrer ces unions ?

Etre maire est le mandat le plus difficile qu’il soit donné d’avoir : en prise directe sur les réalités, il voit les conséquences des politiques engendrées à des niveaux supérieurs sans avoir les moyens de les résorber tout en devant les amortir.

[L’Assemblée nationale a voté le projet de loi] […]

Il faut parfois dépasser les divisions face à des enjeux qui, justement par leur nature, dépassent les clivages, pour peu qu’on ne se laisse pas emprisonner par ses propres familles de pensée. Je vais donc me permettre de donner un bref aperçu des influences idéologiques qui reposent sur toute la société (de gauche comme de droite).

La République a toujours dit être en faveur du « Progrès », en pensant que le progrès matériel amènerait le progrès moral (1). Il est ainsi difficile pour un homme ou une femme de mettre en question certaines politiques dès qu’elles sont justifiées par un sens du « Progrès » sans que pour autant ce concept soit bien et réellement défini (2).

1968 : l’alliance du libéralisme économique et du libéralisme sociétal

En 1968, un énième tournant a été pris où il y a eu alliance entre le libertarisme économique et le libéralisme sociétal… dans le dos des Français qui, grosso-modo, conservaient en commun des traditions et valeurs héritées de notre culture. C’est un changement qui s’était produit avant aux États-Unis et qui a été importé en Europe. Ceci s’est imposé à tous les pans de la société, par exemple au niveau de l’architecture ou des arts (3), la standardisation et l’obsolescence programmée étant les moyens d’améliorer les marges de bénéfices substantiels. Or, cet édifice repose sur une croyance dans le Progrès… et sur le marketing de la séduction imposant de nouveaux modes de vie légitimant de nouveaux désirs et besoins, sans se poser la question de la qualité par rapport à la quantité.

En réalité, le libéralisme, dans sa formulation philosophique (4), ne traitait pas de la famille. Par contre, elle basait les relations marchandes sur le contrat. Cette idée est donc, graduellement, passée de l’économie à tous les types de relations. Tout devient un type de contrat entre individus. On peut ainsi comprendre comment on en vient à régenter toute la vie des citoyens sous la forme de contrats – contrats qui prennent fin, qui prennent forme, où tout se négocie entre individus (5), de manière implicite ou non, officielle ou non. Le divorce devient un pur consentement mutuel et l’union ne nécessite plus de mariage.

Tout n’est pas que contrat et affaire personnelle

Le mariage entre personnes du même sexe est un des aboutissements de la croyance selon laquelle tout n’est que contrat et d’affaire personnelle. Si on peut n’y voir aucun mal il faut cependant prendre conscience que c’est d’ailleurs par cette même idée que certains justifient la prostitution (6), voire, d’après M. Pierre Bergé, la gestation pour autrui tarifée. À quand la vente d’organes puisque tout contrat est libre de toute contingence « morale » ou « sociale » ? Or, en France, jusqu’ici, ni l’honneur ni les corps n’étaient monnayables ou soumis à négociation.

Le libéralisme-libertaire intégral permet ainsi la marchandisation des corps, et le seul moyen de le faire accepter au niveau social, et donc moral, est de présenter cela comme de la « liberté individuelle ». Cette liberté est une fausse liberté car elle ne dit jamais de quoi exactement elle libère. Elle muselle grâce au marketing qui la présente comme une chose désirable ou comme un moyen de subsistance face à la nécessité. On habille la transgression par les oripeaux de la liberté pour faire passer la pilule… On met en dessous du tapis la question du rapport de forces préalable à un contrat, et on tait la violence faite quand on soumet tous les rapports à une équivalence monétaire.

Et on comprend pourquoi un million de personnes ont bien manifesté à Paris (j’en atteste, et les compteurs se sont arrêtés bien avant l’arrivée des 3 cortèges). On comprend aussi que le combat contre l’Église catholique est totalement anachronique.

À cause de cette idée que le progrès peut tout, un homme de gauche ou de droite s’opposant à cette réforme sera traité d’antiprogressiste, de nostalgique et d’archaïque… sans compter le jeunisme bêtifiant ou les pseudo-élites qui traitent de ploucs (7) les citoyens dès que ces derniers s’opposent au changement (i.e. progrès).

Vous serez aussi tenté, peut-être, de minimiser ce qui se passe dans cette réforme, au prétexte que cela ne concerne qu’une minorité (ou, pour les plus méchantes langues, qu’il ne s’agit que d’une manière de détourner l’attention d’autres réformes très lourdes qui sont prises en même temps).

Voilà pour le décor politico-philosophique de notre temps. Venons-en à la réforme envisagée.

L’homme n’est pas uniquement le produit du hasard, de la contingence

Derrière ce nouveau type d’union viendront rapidement la procréation assistée et la gestation pour autrui. Or, là, nous arrivons à un problème encore plus redoutable :

  • Dès lors qu’un individu ne sait pas qui est son géniteur, comment peut-il comprendre qui il est et quel sens peut-il donner à son origine ?
  • Quid des conséquences sur la santé et les problèmes génétiques ?
  • Par ailleurs, quid de la marchandisation des ventres ?
  • Quid de l’éducation sans père ou sans mère (certes, on peut naître orphelin mais pourquoi ériger le cas particulier en norme sociale) ?

Évidemment, nous ne sommes pas de ceux qui pensent que le patrimoine génétique d’un individu fait tout (c’est une idée que nous laissons aux eugénistes) mais, quand on a un peu de bon sens, on peut se rendre compte qu’il y a une continuité entre les ascendants et les descendants qui se transmet par la filiation biologique, quitte à sauter une génération. La génétique produit de la diversité dans les caractères, mais avec un même continuum familial. Nous ne sommes pas uniquement le produit du hasard, de la contingence.

Il faudrait aussi s’interroger sur la probabilité de créer des unions entre personnes ayant un même géniteur mais qui l’ignorent. Le tabou des mariages entre consanguins n’existerait plus alors.

Évidemment, on s’imagine bien qu’il y aura un véritable et formidable marché pour la recherche génétique et qu’on imposera aux futurs parents une cartographie de leurs gènes avant procréation afin justement d’éviter la consanguinité entre autres choses (et combien de temps faudra-t-il pour qu’il y ait une autorisation administrative avant procréation sur cette base-là ?).

Bref, ce n’est pas tant l’union homosexuelle qui pose problème car elle existe déjà avec le PACS : c’est la législation sur la procréation qui s’ensuit et la modification en profondeur de la relation parents et enfants.

[…]

Les élites pensent que le peuple est rétrograde…

C’est une législation inspirée de plus haut, au niveau européen, dont on peut légitimement se demander de qui elle émane et de quels cercles de pensée. Il eût suffi de faire un référendum pour dire à l’Europe que nous étions contre, mais, comme le décrit si bien Christopher Lasch (8), nos élites pensent que le peuple est rétrograde, et que donc seules les institutions peuvent passer des réformes. Le peuple est idiot et nous sommes des « ploucs ».

On aurait tort de croire que la souffrance morale chez beaucoup de citoyens provient uniquement des circonstances matérielles. Une partie des souffrances est liée à un manque de transcendance, de symbolisme et de meneurs. La religion, l’Etat, les partis et syndicats répondaient à des périodes distinctes, ou parallèlement, au besoin de transcendance, de vivre en commun ou de dépassement de soi (en fonction des caractères) ; le sport, sous sa forme amateur, la chasse, etc., continuent de répondre à ces besoins pour ceux qui y ont accès.

La famille a déjà été contractualisée entre les couples, il restait la filiation comme continuum (d’où un investissement très important sur les enfants pour compenser la fragilité et la durée restreinte des unions, l’enfant devenant le seul lien permanent). C’est la filiation même qui sera transformée (après que les parents auront été destitués graduellement de leur capacité à éduquer les enfants et le besoin d’experts pour pallier le bon sens commun…).

Certains voient aujourd’hui dans la famille une simple « charge » d’autant plus lourde que les salaires ne suivent pas, d’où la cohorte de familles monoparentales dans la difficulté et « d’adulescents » jusqu’à un âge prononcé. Nous n’osons parler du sort des personnes âgées (l’euthanasie peut-être ?). Or, face à la détérioration économique (9), la majorité des individus comptent déjà sur la solidarité familiale – quand elle existe encore (10) – pour tenir. Ne parlons pas du sentiment d’irréalité qui s’est imposé petit à petit dans les esprits, lié au décalage entre les discours ambiants et la vie réelle.

Produire des individus parfaitement substituables et interchangeables

Cette société sans sentiment de continuité familiale, sans repères culturels et historiques, produira des individus isolés, parfaitement substituables et interchangeables : un projet de mixité totale des origines et des cultures ; une espèce de tambouille mondialiste.

Or, il n’y a pire esclave que celui qui ne sait pas qui est son maître, et des maîtres nomades sur tous les plans (les vrais nomades s’ancrent dans la famille ou la tribu), heureux partout mais ne voulant le bonheur de personne en particulier. Pour le peuple que nous avons été… il y a mieux à espérer.

Nous avons la chance d’être civilisés, c’est-à-dire d’avoir la capacité de nous projeter dans l’avenir et de rendre tenables les relations entre personnes, en dehors de nos affrontements claniques et intérêts particuliers qui ont toujours existé dans les organisations humaines.

Je vous prie de saisir nos sénateurs et députés sur ce projet, vu les enjeux humains qui n’ont pas été pris en compte et l’absence de débat politique sérieux. Ceux qui sont déjà contre se sentiront peut-être soutenus et ceux qui sont en faveur réviseront peut-être leur propos.

Les organisateurs de la manifestation pour tous viennent de lancer une pétition devant le Conseil économique et social qui a recueilli au 11 février 470.000 signatures par courrier manuscrit. Il en faut 500.000. Paris, Lyon et la Bretagne sont en tête, le Lot-et-Garonne pour le Sud-Ouest… « Ce n’est pas une révolte, Sire, mais une révolution » (La Rochefoucauld à Louis XVI lors de la prise de la Bastille).

[…]

Vanessa Biard-Schaeffer
Membre de la CDC
Secrétaire générale de l’Institut de sémantique générale
Anciennement secrétaire de la Société d’histoire du radicalisme
Février 2013

 

NB : Ce présent courrier est réalisé à titre personnel, et en aucune façon l’émanation d’un groupe ou d’une formation politique. Il m’apparaît d’ailleurs plus facile pour une femme d’en parler, pour la même raison qu’on choisit des femmes pour ce type de réforme :

  • Simone Veil (avortement) – à noter qu’elle est opposée au mariage pour tous et a participé à la manifestation sur Paris
  • Elizabeth Guigou (PACS)
  • Christine Taubira (mariage homosexuel).

Les intertitres sont de Polémia.

Notes

(1) L’extrême gauche pense que l’avancée du capitalisme amènera la révolution prolétarienne à force de paupérisme, d’où une minorité d’extrême gauche qui voit d’un bon œil la dégradation du Système sans vouloir y remédier.
(2) On peut croire que les milieux initiés se dévouent à la tâche de le définir ?
(3) Voy. L’Art caché, d’Aude de Kerros.
(4) Adam Smith (entre autres).
(5) Comme l’a dit Mme Parisot, « La précarité est une loi de la condition humaine ». Elle oublie que, justement, c’est pour cela que les sociétés humaines s’organisent.
(6) Il ne s’agit pas d’éradiquer le plus vieux métier du monde sur des bases hypocrites, mais d’éviter que cela devienne une norme (avec un peu d’humour la femme « libérée » ne sera bientôt plus différente de la prostituée, le salaire en moins ?).
(7) Le plouc est le mot d’origine bretonne.
(8) Dans Le Seul et Vrai Paradis. Une histoire de l’idéologie du progrès et de ses critiques.
(9) En 2006, dans son livre 7 millions de travailleurs pauvres. La face cachée des temps modernes (Fayard), Jacques Cotta dénombrait 12 millions de personnes avec un revenu mensuel inférieur à 842 euros.
(10) 90% des familles monoparentales sont des mères.

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