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Le ridicule ne tue pas, Emmanuel Macron peut le certifier

Le ridicule ne tue pas, Emmanuel Macron peut le certifier

par | 8 juin 2018 | Géopolitique

Par Jacques Sapir, économiste français ♦ Jacques Sapir a été enseignant à l’Université Paris-Nanterre puis il est devenu directeur d’études à l’EHESS en 1996. Si toutes ses positions ne sont évidemment pas les nôtres – en témoigne ce débat, courtois, avec Jean-Yves Le Gallou – son propos sur le coup d’Etat institutionnel en Italie est intéressant.


Le ridicule ne tue pas. Du moins, c’est habituellement ce que l’on dit…
Emmanuel Macron, notre président de la République, s’était réjoui du veto mis par le président italien, M. Mattarella, sur le nom d’un eurosceptique notoire, M. Paolo Savona, qui devait figurer dans le gouvernement proposé par M. Giuseppe Conte. Cela apparaissait comme un coup d’arrêt donné aux deux partis, le M5S et la Lega, qui étaient sortis gagnants de l’élection du 4 mars 2018. Il avait même salué le « courage » et le « sens des responsabilités » de Mattarella (1). Et tout ce beau monde des européistes béats, ceux que l’on surnomme en Italie les « euroïnomanes », de se réjouir du geste de Mattarella.

Las, le jeudi 31 mai en début de soirée, l’homme désigné par Mattarella pour former un autre gouvernement renonçait, et Mattarella n’avait d’autre choix que d’accepter à nouveau Giuseppe Conte, qui proposait un gouvernement, où figurait Paolo Savona…

Il a l’air malin, Emmanuel Macron, et il doit se mordre les doigts de ses déclarations intempestives. Oh, si cela peut le consoler, il ne sera pas le seul. On a, parmi ceux qui se sont révélés odieux dans leur attitude ouvertement antidémocratique, le commissaire européen au Budget, Günther Oettinger, qui avait déclaré « Les marchés vont apprendre aux Italiens à bien voter » dans une interview à la radio publique allemande Deutsche Welle (2). On a aussi eu Markus Ferber, député au Bundestag de la CSU, le parti allié à Mme Merkel, qui déclarait quant à lui que la « Troïka » (de sinistre mémoire en Grèce) devrait sans doute envahir l’Italie et prendre le contrôle du Trésor italien (3). Bref, entre les apôtres d’une tyrannie des marchés et les nostalgiques de l’opération Alaric (la prise de contrôle par les armées du IIIe Reich de l’Italie en septembre 1943), Emmanuel Macron est en bonne compagnie.

Ce que signifie le retournement du jeudi soir

Il faut cependant revenir à ce que signifie le retournement de situation de jeudi soir. Il était évident, dès le départ, que Carlo Cottarelli, ancien haut responsable du FMI et l’homme désigné par Mattarella pour succéder à Conte, n’avait aucune chance d’être investi par le Parlement. Dans ces conditions, un retour devant les urnes était certain. Sauf que de nouvelles élections auraient donné encore plus de sièges au M5S et à la Lega, peut-être même les deux-tiers. Certains, à Bruxelles comme à Rome, ont donc dû faire leurs comptes. Mattarella a dû se rendre à l’évidence, et accepter le gouvernement Conte. En un sens, le président, comme jadis Mac Mahon, s’est soumis.

On dira, et ce n’est pas faux, que ce n’est pas exactement le même gouvernement et que Conte a transigé. Si Paolo Savona figure bien en son sein, c’est cette fois en tant que ministre des Affaires européennes, et non plus comme ministre des Finances. Ce dernier poste est dévolu à Giovanni Tria, un homme connu pour ses positions économiques plutôt orthodoxes. Mais il faut noter qu’il a soutenu l’idée d’un fort déficit budgétaire, dans son idée directement financé par la BCE, pour relancer l’économie italienne, et qu’il est, dans le contexte actuel, opposé à plus d’austérité. Ce sont des positions qui vont directement à l’encontre des recommandations de Bruxelles et Francfort. Dans un autre sens, la nomination de Enzo Moavero Milanesi, un ancien responsable de l’UE et un ancien ministre de Mario Monti comme ministre des Affaires étrangères, est de nature à rassurer certains à Bruxelles comme à Francfort. Mais tel est peut-être justement le but de cette nomination.

Car, dans le même temps que se déroulaient ces péripéties au Quirinal, on apprenait que deux institutions financières parapubliques italiennes s’étaient mises à racheter systématiquement des bons du Trésor italien. C’est, peut-être, une réponse devant les spéculations sur les marchés financiers, mais peut-être aussi le début de la construction d’instruments pour parer au choc financier d’une sortie de l’euro, voire mettre en place une monnaie parallèle à l’euro.

Les ambiguïtés italiennes

Il est donc clair que la défaite du président Mattarella reste entourée d’un certain nombre d’ambiguïtés quant à la volonté de Conte, mais surtout de Luca di Maio et Matteo Salvini, d’engager un bras de fer décisif avec Bruxelles et Francfort. Car, et il n’en faut pas douter, nous allons connaître une longue période de tensions entre Rome et Bruxelles, mais aussi Francfort. Cependant, sauf à avoir dans ses tiroirs un plan d’ores et déjà prêt pour une sortie de l’euro, cette ambiguïté est nécessaire. Surtout si, dans les semaines qui viennent, se précise la possibilité d’utiliser les bons du Trésor comme un instrument de paiement, ceci débouchant sur l’établissement d’une monnaie parallèle en Italie avec l’euro. C’est une route sur laquelle les difficultés seront nombreuses, il n’en faut pas douter (4).

Il convient donc de prendre ce gouvernement comme il est. Il sera jugé sur ses actes.

Mais sa formation représente, déjà, une première victoire de la démocratie sur les pratiques antidémocratiques du président Mattarella. Ces pratiques ont été dénoncées en France, mais aussi dans la presse internationale (5). Elles font ressortir d’autant plus le ridicule du soutien emphatique d’Emmanuel Macron au président italien.

Pour la suite, on peut regretter que l’on n’aille pas à de nouvelles élections, qui auraient pu être organisées à la fin du mois d’août ou au début de septembre. Elles auraient clarifié la situation, et sans doute donné à la coalition M5SLega une légitimité incontestable, tout comme le nombre requis de députés, pour changer la Constitution, ce qui aurait considérablement réduit les possibilités d’action de ceux que l’on nomme les « euroïnomanes ».

Jacques Sapir
08/06/2018

Notes

[1] http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2018/05/28/97001-20180528FILWWW00171-macron-salue-le-courage-du-president-mattarella.php
[2] https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/05/29/la-gaffe-du-commissaire-allemand-gunther-oettinger-qui-enflamme-l-italie_5306622_3214.html
[3] http://www.dailymail.co.uk/news/article-5790389/German-MEP-says-Brussels-control-Italys-finances.html
[4] Sur la question des monnaies parallèles voir ma contribution à l’ouvrage collectif de Beker V. et Moro B., Sapir J., « Parallel currencies, Varoufakis’ plan B and the ongoing debate on euro » in Beker V. et Moro Beniamino, The European Crisis, WEA Book n°7, College Publications, Londres, 2016.
[5] https://www.telegraph.co.uk/business/2018/05/28/europes-soft-coup-detat-italy-watershed-moment/

 

Source : Les Crises

Crédit photo : Jérémy Barande, via Wikimedia Commons

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