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Le conflit ivoirien vu par un « afro-sarcastique »

Le conflit ivoirien vu par un « afro-sarcastique »

Côte-d’Ivoire : l’ambassade de France à Abidjan est la cible de tirs de mortiers et de roquettes. La confusion est totale : accusations et démentis de part et d’autre se croisent. La ville est livrée aux pillards. L’eau manque. La plupart des magasins sont pillés. Des massacres sont dénoncés. Les enquéteurs de l’ONU sur les droits de l’homme sont « horrifiés » Des charniers sont découverts. Le regroupement des expatriés français se poursuit sur une base militaire française. Des diplomates étrangers sont évacués…
La guerre civile bat son plein. Guerre civile ou guerre ethnique ?
Il n’y a pas en Côte d’Ivoire les « bons » et les « méchants », il y a un conflit tribal, ethnique, religieux, aggravé par les migrations qui mélangent des populations d’origine différente dans les villes mais aussi dans les forêts. Voilà deux ans, Polémia avait rendu compte d’un livre de Venance Konan, Les Catapilas, ces ingrats, un roman drolatique qui donne le point de vue des forestiers animistes sur les musulmans venant de la savane. Venance Konan est un journaliste et écrivain ivoirien qui se définit comme « afro-sarcastique », proche d’Allassane Ouattara. La légèreté du propos de l’écrivain n’excuse évidemment pas les meurtres de masse. Polémia redonne ici en lecture la critique du livre publiée en avril 2009.

« Les Catapilas, ces ingrats »
de Par Venance Konan

En 2005, la population mondiale s’est accrue de 170 millions d’habitants. Et il y eut 200 millions de migrants. Parmi ceux-ci, bien sûr, des migrants partant de pays du sud pour aller dans ceux du nord mais aussi, et surtout, beaucoup de migrants allant des campagnes vers les villes et d’une région d’Afrique à l’autre.

La longue crise ivoirienne, à la fois conflit international et guerre civile, fut une conséquence des migrations interafricaines : les ethnies du sud, majoritaires, acceptent mal l’arrivée de populations venues de la savane, populations plus industrieuses et souvent musulmanes. C’est pour s’opposer à leur emprise croissante que fut créé le concept d’ivoirité.

L’excellent éditeur Jean Picollec (*) vient de publier un roman sur le sujet. Venance Konan, un grand journaliste ivoirien (un temps exilé au Sénégal), y raconte sur le mode plaisant la vie de Robert : un homme de 50 ans élu « président des jeunes » de son village. Plein d’entregent, cet excellent agent électoral boit force bières et apprécie « les jeunes filles à la peau claire, aux seins durs et aux fesses pas encore trop ramollies ».

Mais le problème de Robert et de ses amis, ce sont les « Catapilas ». Des immigrés peuls qui défrichent la forêt avec tant d’énergie qu’ils ont reçu ce surnom parce qu’ils sont forts comme des… Caterpillars !

Cette nouvelle forme de colonisation n’est pas du goût des natifs :

– « Leur religion ne nous intéressait pas, parce que, comme disait Robert, une religion qui interdisait de boire de l’alcool ne pouvait pas être une religion sérieuse. Nous, nous préférions adorer nos ancêtres et les génies de nos forêts » ;
– « Et on dit chez nous que quand tu vas quelque part, tu épouses les coutumes de celui qui te reçoit.»

Progressivement le conflit atteint son paroxysme. Quand la guerre éclate au nord, les amis de Robert se fâchent :

– « On leur a donné toutes nos forêts, les plus belles de nos filles (…) alors qu’ils ne veulent pas qu’on baise les leurs, et c’est maintenant notre pays qu’ils veulent prendre. Tu leur donnes le doigt à ces gens-là, et c’est tout ton corps qu’ils veulent prendre » ;
– « Ce sont des ingrats et des voleurs, dit Rigobert. Il paraît qu’ils veulent qu’on leur donne la nationalité de notre pays maintenant » ;
– « Mais je ne comprends pas, dit Robert. Depuis quand un morceau de bois est devenu un caïman parce qu’il a séjourné dans l’eau.»

Bref, même en Afrique les migrations ne sont pas un long fleuve tranquille…

Mais que le lecteur se rassure, le livre de Venance Konan traite avec légèreté et humour le difficile conflit ivoirien. Et c’est un voyage dans la mentalité africaine plus éclairant que bien des traités de sociologie… Et fort distrayant !

Jean-Yves Ménébrez
30/03/09

(*) Jean Picollec a publié début septembre 2001 la biographie de …Ben Laden.

Venance Konan, Les Catapilas, ces ingrats, Jean Picollec, mars 2008, 15 euros

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