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L’arbre climatique qui cache la forêt de l’environnement

L’arbre climatique qui cache la forêt de l’environnement

Par Johan Hardoy ♦ Haut fonctionnaire et directeur des études économiques et de l’évaluation environnementale au ministère de l’Écologie,Guillaume Sainteny enseigne le développement durable à AgroParisTech. Il a écrit une demi-douzaine d’ouvrages, dont un « Que sais-je » sur Les Verts et Plaidoyer pour l’écofiscalité (Éditions Buchet-Chastel). Nous proposons ici un aperçu de son dernier livre, paru en octobre 2015 : Le climat qui cache la forêt – Comment la question climatique occulte les problèmes d’environnement. Cet ouvrage est rédigé dans un style très « techno » mais néanmoins agréable, dans lequel l’auteur remet en question la pertinence de la priorité accordée au climat dans les politiques environnementales. Cette critique ne s’inscrit pas dans une perspective « climato-sceptique », mais part du souci de ne pas négliger d’autres enjeux écologiques majeurs susceptibles d’entraîner des conséquences économiques et sanitaires supérieures à celles qui résultent des effets du changement climatique.

Une thématique « vampirisante »

Les politiques de protection de l’environnement remontent à plusieurs siècles dans notre pays. Il y a beau temps que les autorités ont légiféré sur la protection des forêts, la lutte contre la pollution, le traitement des déchets, la maîtrise des risques, etc.

Le climat n’a été pris en compte que très récemment, à partir des années 1990, sous la pression croissante d’ONG bénéficiant d’une large médiatisation.
Désormais, le changement climatique est mis en avant et souvent présenté comme la cause importante des autres atteintes à l’environnement, alors qu’il en serait plutôt une conséquence en raison des réductions de l’absorption du carbone qu’elles génèrent.

Des problèmes environnementaux cruciaux tels que la pollution de l’air (la principale cause de mort prématurée dans le monde), la disparition des espèces (plus d’un tiers d’entre elles est menacé d’extinction) et la dégradation des sols par l’érosion, l’aridification, la salinisation, le compactage, la pollution chimique ou l’épuisement des substances nutritives (un tiers des sols est concerné au niveau mondial, selon les Nations Unies) sont ainsi relégués à l’arrière-plan.

Il conviendrait à l’évidence de prendre en compte les impacts environnementaux des politiques climatiques sans arbitrer systématiquement en faveur de ces dernières. Les énergies renouvelables peuvent, par exemple, générer des impacts négatifs sur le paysage, sur les oiseaux et les chauves-souris, et sur le plan acoustique.

Une priorisation européenne

L’Union européenne, qui s’est initialement formée autour des questions énergétiques (Communauté européenne du charbon et de l’acier), encourage une politique climatique dynamique sans initier véritablement une action commune vers la question énergétique.

L’Europe ambitionne de montrer l’exemple en fixant des objectifs européens et nationaux susceptibles de susciter un effet d’entraînement auprès des États-Unis et des pays du Sud. Les échecs rencontrés lors de différents sommets internationaux démontrent cependant les limites de cette stratégie.

Alors que la priorité des pays du Nord consiste à étendre les obligations de réduction de CO2 à un maximum d’États, celle des pays du Sud vise plutôt à obtenir des transferts financiers en leur faveur, souvent sans engagements réels. Une des justifications avancées réside dans le principe « pollueur-payeur » appliqué à l’échelle interétatique, du fait de l’antériorité des émissions de gaz à effet de serre (GES) depuis la révolution industrielle, même si de nombreux pays émergents comptent d’ores et déjà parmi les principaux émetteurs (la Chine est devenue le premier depuis 2008).

Dans les pays en voie de développement, les risques environnementaux majeurs ne proviennent pas tant du changement climatique que de l’exploitation non soutenable des ressources naturelles, d’un manque d’accès à l’eau, l’alimentation et l’énergie, ainsi que des pollutions de l’air et de l’eau.

Une priorisation également affichée par la France

À l’instar du Grenelle de l’environnement de 2007, essentiellement ordonné, malgré son intitulé, autour du thème énergie-climat, les différents ministres de l’Écologie ont relégué à l’arrière-plan les questions liées aux paysages, aux sols, à l’éducation, à l’environnement, au bruit, à l’affichage, à l’étalement urbain, à la recherche en environnement, etc.

Ce primat climatique en matière d’environnement paraît très discutable car notre pays n’est responsable que de moins de 1 % des émissions de CO2 mondiales, celles-ci ayant déjà baissé de 12 % entre 1990 et 2012 (cette période a connu une phase de désindustrialisation marquée). En outre, l’importance ancienne dans le mix de l’hydroélectricité et du nucléaire engendre une faible teneur en CO2 de l’électricité produite en France. Au total, une politique de réduction plus ambitieuse n’entraînerait qu’un effet infinitésimal au niveau planétaire.

La priorité accordée aux énergies renouvelables (EnR) est également contestable en raison d’un bilan carbone médiocre et d’un coût important résultant d’une absence de filières de production dans le solaire et l’éolien. Le soutien public au développement des EnR est répercuté sur les factures d’électricité par des fournisseurs qui ont l’obligation de procéder à des rachats à un coût de production nettement supérieur à celui du marché.

Cette stratégie affichée de lutte contre le changement climatique est pourtant contredite dans les faits par de nombreuses politiques publiques, que ce soit dans leurs orientations générales ou dans certaines de leurs dispositions concrètes. Cette contradiction est facilitée par un empilement et une succession de mesures législatives concernant les périmètres, les critères d’éligibilité, les taux et les plafonds.

Dans le secteur primaire, l’attention des pouvoirs publics se porte essentiellement sur le CO2, alors que celui-ci ne représente que 10 % de ses émissions de GES (constituées essentiellement de protoxyde d’azote et de méthane) et moins de 2 % du total des émissions de CO2 françaises.

S’agissant des transports, où la croissance des émissions de CO2 est la plus rapide, la politique de l’offre qui prédomine se révèle contradictoire avec les objectifs climatiques, que ce soit pour les subventions et les dépenses fiscales en faveur des énergies fossiles, l’extension du réseau routier, l’implantation de grandes surfaces commerciales en dehors des villes ou encore la priorité accordée au TGV sur la régénération des lignes secondaires et le report de fret. L’essor du véhicule électrique peinera à diminuer les émissions de GES à court et moyen termes. D’autres pistes devront être explorées telles que le développement des transports collectifs et les péages urbains [Johan Hardoy : une nouvelle taxe riche de contestations justifiées !].

Le résidentiel-tertiaire, qui représente moins de la moitié de la consommation d’énergie, devait concerner 88 % des économies d’énergie à l’horizon 2020 [l’ouvrage date de 2015]. L’enveloppe thermique des locaux fait ainsi l’objet de normes, labels et incitations fiscales diverses. Dans le même temps, les régimes fiscaux de l’investissement locatif et le prêt à taux zéro favorisent l’étalement urbain, donc la consommation d’énergie et les émissions de GES résultant des transports induits.

De son côté, l’opinion publique française semble surtout préoccupée par les pollutions de la mer, de l’eau et de l’air, ce qui est pleinement justifié par le piètre bilan national contrevenant au respect des conventions internationales en matière de qualité de l’air, de l’eau et de la biodiversité. Cette situation est d’autant plus paradoxale que la France possède une expertise scientifique reconnue dans la protection de la biodiversité. Elle pourrait jouer un rôle majeur dans ce domaine, de même que dans la recherche agronomique en zone aride ou dans le traitement et la distribution de l’eau.

De façon générale, il convient de garder à l’esprit la dimension mondiale du problème et l’incapacité de la France à le régler seule. Assigner trop de contraintes à la seule économie française serait évidemment préjudiciable.

Par ailleurs, une focalisation sur les seules émissions et non sur l’empreinte liée à la consommation paraît peu efficient.

Enfin, la politique climatique et ses mesures ne doivent pas être dommageables aux autres aspects de l’environnement. Il serait paradoxal de constater que les préoccupations liées à la préservation du patrimoine, à l’esthétique et au cadre de vie ne soient pas considérées comme relevant de l’écologie, dont l’étymologie construite sur le grec signifie « science de l’habitat ».

Johan Hardoy
19/08/2022

Johan Hardoy

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