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La tentation du centre : le mauvais calcul de Juppé

La tentation du centre : le mauvais calcul de Juppé

par | 4 juin 2014 | Politique

La tentation du centre : le mauvais calcul de Juppé

« Le centre, en position d’arbitre, est à louer, et l’on peut faire confiance aux vieux routiers de la politique politicienne qui le dirigent pour faire monter les prix. »

Le maire de Bordeaux est de ceux qui entendent maintenir une cloison étanche entre leur droite « républicaine » et « respectable » et le Front national.

Les trois consultations intervenues en France depuis deux ans manifestent la très forte droitisation du corps électoral. C’est parce que Nicolas Sarkozy, président impopulaire lui aussi, même s’il est resté jusqu’au bout loin des records enregistrés par son successeur, a mis le temps d’une campagne la barre à droite toute, ou presque, qu’il a pu limiter les dégâts et finir à un point et demi seulement du vainqueur d’alors, un certain François Hollande. Les municipales de mars dernier se sont traduites par une première défaite de la gauche au profit de l’UMP (la fameuse « vague bleue ») et, dans une moindre mesure, du Front national. Les européennes de la semaine passée, enfin, ont vu la spectaculaire poussée du parti de Marine Le Pen, la stabilité du mouvement présidé par Jean-François Copé (comme le temps passe) et la déroute socialiste. La gauche est désormais minoritaire en France.

Dans ces conditions, il pourrait paraître étonnant qu’Alain Juppé qui, dopé par les sondages, semble plus près de succomber à la tentation de l’Élysée qu’à celle de Venise, multiplie les appels du pied en direction, non de sa droite, mais des centristes, à commencer par son vieil ami Bayrou.

En fait, le choix de l’ancien premier ministre s’explique aussi bien par son équation personnelle que par le calcul politique.

Tout d’abord, le maire de Bordeaux est de ceux qui entendent maintenir une cloison étanche entre leur droite « républicaine » et « respectable » et le Front national, qu’ils excluent de l’arc-en-ciel des partis fréquentables. De plus,
M. Juppé, élevé et grandi sous Chirac comme le veau sous sa mère, est associé depuis longtemps à la mue qui a progressivement métamorphosé un parti de filiation gaulliste, de sensibilité patriotique et de tempérament autoritaire en un magma incohérent dominé par la pensée libérale, le tropisme européen et la soumission à l’hégémonie américaine, en quoi il est bien sur la même ligne que le centre.

Mais son choix obéit avant tout à des considérations tactiques. Alors que l’UMP, réduite à ses seules forces, est à peine plus assurée que le Parti socialiste d’être présente au second tour de la prochaine élection présidentielle, l’appoint des 10 % d’électeurs centristes paraît lui en garantir l’accès. Dans ce cas de figure, deux hypothèses : ou bien l’adversaire est socialiste, et le report des voix frontistes sur le candidat étiqueté à droite est déterminant, ou le candidat de l’UMP affronte Marine Le Pen et il peut compter bon gré mal gré sur le ralliement de l’électorat de gauche.

L’ennui – pour M. Juppé – est que ce beau raisonnement risque de se fracasser sur les écueils de la réalité. Où l’on voit que la politique et l’arithmétique sont deux disciplines bien différentes.

Premièrement, rien ne dit que le maire de Pau, redevenu le numéro un de sa mouvance, le centre du centre, grâce à la défaillance de Jean-Louis Borloo, résistera à l’envie de tenter une quatrième fois sa chance sous ses propres couleurs plutôt que de jouer le Bayrou de secours. Deuxièmement, il n’est pas certain qu’Alain Juppé parvienne à rassembler derrière son panache bleu la totalité des militants et des électeurs de l’UMP, soit que Nicolas Sarkozy vienne lui couper l’herbe sous le pied, soit que le mouvement, soumis à des tensions de plus en plus fortes entre sa fraction souverainiste et sa tendance libéral-démocrate, lui explose à la figure. Enfin, si Manuel Valls était le candidat désigné par le PS, il n’est pas dit que ses avances seraient désagréables aux centristes et que ceux-ci n’opteraient pas pour une résurrection de la Troisième Force sous la bannière et le prétexte de la défense républicaine.

Quoi qu’il en soit, le centre, en position d’arbitre, est à louer, et l’on peut faire confiance aux vieux routiers de la politique politicienne qui le dirigent pour faire monter les prix.

 

Dominique Jamet
 Source : Boulevard Voltaire
31/05/2014

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