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La liberté d’expression à l’ère de la communication numérique : faut-il domestiquer internet ?

La liberté d’expression à l’ère de la communication numérique : faut-il domestiquer internet ?

par | 25 février 2015 | Politique

La liberté d’expression à l’ère de la communication numérique : faut-il domestiquer internet ?

Rétablir la liberté d’expression, XXXe Université annuelle du Club de l’Horloge les 15 et 16 novembre 2014. Texte n°9 : La liberté d’expression à l’ère de la communication numérique : faut-il domestiquer internet ?, par Yves Duhamel, consultant.

« Manifestement la maîtrise d’internet par différents biais en vue de contrôler ou de restreindre la liberté d’expression apparaît comme une chimère. La maîtrise d’Internet par les différents pouvoirs n’apparaît donc ni souhaitable, ni même réalisable. S’accommoder d’un véritable outil au service de la liberté d’expression reste la seule alternative ».

Cette réflexion sur la pratique de la liberté d’expression à l’heure de l’Internet est conduite du strict point de vue d’un technicien du « Net ». Encadrement, amendements, contrôle, restrictions, censure… Ce champ lexical est étroitement lié au terme « liberté d’expression ».

L’histoire de la liberté d’expression et de la presse, qui vont de pair, est paradoxalement jalonnée de lois visant précisément à les restreindre, voire à les étouffer. Il s’agit pourtant de l’une des premières libertés politiques et, plus généralement, des libertés fondamentales garanties par la Déclaration des droits de l’homme dès 1789 en réaction à la censure royale. Ce droit à la liberté d’expression fut reformulé par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, établie après la seconde guerre mondiale et les crimes commis par l’Allemagne nazie : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». Il faut noter que l’Union soviétique, la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie dont les peuples subissaient le joug d’une autre idéologie totalitaire, le communisme, s’abstinrent lors du vote de la Déclaration, le 10 décembre 1948, par l’Assemblée générale des Nations unies réunie au Palais de Chaillot.

Certains pans de l’Histoire peuvent parfois se résumer à une succession de luttes entre pouvoirs et contre-pouvoirs.

La naissance de l’imprimerie à la fin du XVe siècle s’est accompagnée d’un contrôle de celle-ci par les pouvoirs religieux et politique. Mais ces pouvoirs, s’ils contrôlaient d’un côté, surent aussi utiliser l’innovation à leur avantage. Ainsi Louis XI considérait l’imprimerie comme une arme politique dont il a favorisé l’essor.

La naissance et le développement de la presse écrite dans le courant des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles ont été suivis par un renforcement croissant de sa surveillance par les autorités.

Dans la seconde moitié du XXe siècle survient un changement de méthodes. Au lieu de censurer les idées, il s’agit d’en favoriser certaines par rapport à d’autres, en façonnant une « opinion publique », si bien décortiquée par l’universitaire Bernard Faÿ. Il suffit alors pour le pouvoir de tenir et de contrôler les canaux par lesquels l’information est diffusée, qu’il s’agisse de la presse, de la télévision, ou des radios.

Mais l’Histoire est aussi faite de surprises et d’événements inattendus. Inattendue dans l’esprit du législateur français des années 1970 et 1980 l’émergence d’une technologie grand public, la toute-puissance d’un réseau d’informations transnational et révolutionnaire, difficilement contrôlable, et en même temps à la portée de tous, ou presque. C’est ainsi que l’on pourrait résumer l’ère de la communication numérique, dans laquelle nous sommes entrés en ce début de XXIe siècle.

Faut-il domestiquer Internet ?

Domestiquer Internet, l’apprivoiser, le soumettre, le maîtriser… Il s’agit de questions qui ne relèvent pas seulement d’un vocabulaire mais qui en appellent plusieurs autres.

La première d’entre elles est la suivante : quelles limites poser à la liberté d’expression ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit, tant Internet est devenu l’un des principaux vecteurs par lesquels se manifeste désormais aujourd’hui cette liberté d’expression : la presse n’est plus en effet un vecteur de liberté parce qu’elle dépend des revenus publicitaires et qu’elle est l’apanage de quelques oligarques, et la télévision n’a jamais été préoccupée par la liberté. Quant aux radios libres, l’épopée des années 1980 a pris fin avec la création des autorités de régulation mises en place par le pouvoir socialiste.

Selon Jean-Yves Le Gallou, deux conceptions s’opposent par rapport à l’exercice de la liberté d’expression :

  1. celle d’une liberté absolue qui implique de condamner les différentes lois françaises, restrictives, dites Pleven, Gayssot, Taubira, Perben, de la même manière que la loi russe réprimant la propagande homosexuelle devant les mineurs ; il faut remarquer que les lois françaises prévoient des peines nettement plus lourdes que la loi russe et surtout que les premières visent non seulement les dires mais aussi les intentions prêtées à leurs auteurs ce qui relève davantage de l’anathème que de la justice.
  2. les nécessaires limites imposées dans un souci de maintenir un consensus social qui mènent à l’établissement d’interdits.

Ces interdits sont alors relatifs car ils dépendent de circonstances historiques et géographiques.

« Faut-il domestiquer Internet ? » appelle une deuxième question. Peut-on domestiquer Internet ?

La mise au pas des médias traditionnels a pu s’effectuer relativement aisément, et ce d’autant plus qu’ils obéissent à des modèles économiques les rendant plus que vulnérables vis-à-vis des centres de pouvoir politiques et financiers. Les mésaventures arrivées à la revue trimestrielle Médias, dirigée par Robert Ménard et Emmanuelle Duverger, sont emblématiques de cette servitude : en deux ans, le magazine a enregistré une baisse de 80% de ses recettes publicitaires et a cessé d’exister en juillet 2012, prix à payer pour avoir osé être une voix par trop dissidente et libre dans un environnement où seul le politiquement correct a droit de cité.

Il en va tout autrement d’Internet dont la perception par les utilisateurs et le fonctionnement sont les meilleures garanties d’une indépendance difficile à mettre à bas.

Selon la Quadrature du Net, association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet, « la censure du Net progresse dangereusement, à mesure qu’un nombre croissant de gouvernements démocratiques envisagent ou mettent en œuvre des mécanismes bloquant l’accès à certains sites, parfois sans aucun contrôle de l’autorité judiciaire. Mis en place au nom de la régulation des contenus “violents ” ou à caractère pédopornographique, ou du contrôle des jeux en ligne, ces dispositifs sont à la fois inefficaces et disproportionnés. En effet, le blocage de sites Internet est par na nature imprécis, faisant courir le risque de “censure collatérale” ou de sur-blocage de sites parfaitement légitimes. »

Techniquement, il est très difficile de mettre au pas Internet

Certes, il existe des lois, et ces dernières s’appliquent sur Internet comme partout ailleurs. Mais dans la course à la technologie, technologie que les utilisateurs à même de faire rapidement progresser, le pouvoir politique aura toujours un temps de retard. A peine un projet de loi est-il abordé que des internautes ont déjà trouvé la parade et la communiquent aux autres comme une traînée de poudre. Promulguée dans le meilleur des cas quelques semaines plus tard, la loi est déjà périmée.

Les difficultés rencontrées par la HADOPI (Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet) sont plus que symboliques de cette course de vitesse perdue d’avance pour l’administration ; sans les énumérer toutes, citons l’incertitude de l’identification de l’utilisateur ; l’inadaptation des sanctions prononcées contre ce dernier avec une coupure d’Internet qu’il est très aisé de contourner ; des sanctions inadaptées aux personnes morales et aux mineurs, etc. Si, en l’espace de cinq ans, HADOPI s’est adaptée, elle n’en reste pas moins à la traîne.

Même la Chine avec son « Bouclier d’Or », ensemble de lois visant à interdire l’accès à certains contenus en ligne, ne parvient pas à rendre son réseau totalement imperméable à la libre circulation de l’information. Rappelons-nous le parcours de la Flamme olympique à Paris en 2008 perturbé par des manifestations de soutien au Tibet. Bien que censurées en Chine, les images ont été rapidement diffusées par des internautes chinois, provoquant un tollé rapidement suivi d’un interdit frappant les produits français.

Le contrôle technique d’Internet relève donc d’un fantasme.

Enfin, s’il s’agit de mettre à bas des sites dissidents par la pression financière, là encore, c’est raté. Le modèle économique communautaire de la plupart des voix libres ou dissidentes sur Internet les rend étanches à toute forme de pression budgétaire. Par ailleurs, la possibilité d’héberger leurs données dans des pays où la législation française ou européenne ne s’applique pas en fait des cibles inattaquables.

Donc. Que faire ?

Manifestement la maîtrise d’internet par différents biais en vue de contrôler ou de restreindre la liberté d’expression apparaît comme une chimère. La maîtrise d’Internet par les différents pouvoirs n’apparaît donc ni souhaitable, ni même réalisable. S’accommoder d’un véritable outil au service de la liberté d’expression reste la seule alternative.

Yves Duhamel

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