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La crise des migrants et ses conséquences sur l’Europe, vue de Belgrade

La crise des migrants et ses conséquences sur l’Europe, vue de Belgrade

par | 16 avril 2016 | Géopolitique

La crise des migrants et ses conséquences sur l’Europe, vue de Belgrade

Dragana Trifkovic, journaliste au magazine serbe Geopolitika, et au magazine allemand Zuerst, fondateur et directeur du Centre des études géostratégiques à Belgrade, Serbie, conseillé pour le Parti Démocratique Serbe (DSS)…

Le début de la crise migratoire

L’année 2015 a été marquée par la crise migratoire, c’est-à-dire par un déplacement des populations d’une importance jamais vue dans l’histoire récente, ou plus précisément depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Avant d’analyser les causes et les conséquences de cette crise, il est nécessaire de se rappeler que la vague des réfugiés du Proche-Orient était précédée par des migrations des Albanais du territoire serbe, c’est-à-dire de Kosovo-et-Métochie, vers l’Union européenne, à savoir l’Allemagne. Fin décembre 2014 et début 2015, des lignes de bus spéciales ont été établies, mais ce n’était pas suffisant pour transporter tous les Albanais de Pristina vers Subotica, c’est-à-dire vers la frontière hongroise.

En trois mois, selon certaines informations, 30.000 Albanais ont émigré depuis le territoire de la région du sud de la Serbie vers les pays de l’UE.


Des médias serbes, ainsi que des médias étrangers ont écrit sur cet événement, curieux de savoir ce qui a motivé les Albanais à partir soudainement vers l’UE. Selon les dires des migrants qui ont répondu aux questions des journalistes curieux, en attendant le bus à la gare de Pristina, la cause en était la pauvreté et le futur incertain au Kosovo-et-Métochie. Ils ont également dit aux journalistes qu’ils avaient entendu que l’Allemagne, la France et la Suisse offraient de bonnes conditions de vie aux demandeurs d’asile.

La région du sud de la Serbie, Kosovo-et-Métochie, se trouve sous l’autorité des forces internationales, à savoir l’OTAN (la KFOR), et, avec le soutien des Etats-Unis et l’UE, des institutions paraétatiques ont été établies dans lesquelles des structures terroristes de l’UCK (l’Armée de libération du Kosovo) ont été incorporées. En ce qui concerne la situation des droits de l’homme au Kosovo-et-Métochie après l’arrivée des forces internationales, elle est comparable à celle des droits de l’homme en Arabie Saoudite dans le sens des tortures, des représailles et des meurtres (surtout des Serbes). La situation économique est désespérément mauvaise puisque toutes les entreprises publiques, qui jadis étaient la base de l’économie, ont été détruites. Cependant, une telle situation perdure au Kosovo-et-Métochie depuis une décennie sans qu’il y ait eu auparavant des migrations organisées de la population. C’est la raison pour laquelle cet événement est resté plus ou moins sans explication, et il a été mis au second plan à cause des migrations beaucoup plus importantes des populations du Proche-Orient.

Les causes de la crise migratoire

En principe on peut dire que la migration des Albanais du Kosovo-et-Métochie, ainsi que celle des populations du Proche-Orient, ont été

Dragana Trifkovic

Dragana Trifkovic

provoquées par les interventions des Etats-Unis et de l’UE, c’est-à-dire par leur immixtion dans la politique des Etats étrangers. Le Printemps arabe est le nom donné à plusieurs manifestations au Proche-Orient qui avaient commencé en 2010 et qui ont provoqué le changement de plusieurs gouvernements, mais aussi des guerres. Ces manifestations avaient été incitées avec la méthodologie des révolutions de couleur, définies dans le livre de Gene Sharp, spécialiste du renversement « non violent » des régimes « non démocratiques ». C’est la raison pour laquelle le Proche-Orient est aujourd’hui déstabilisé profondément et à long terme, et beaucoup de pays comme la Syrie, la Libye et l’Irak ont souffert, et souffrent encore des destructions.

Le prix trop important que payent les peuples du Proche-Orient n’est pas causé par un manque de démocratie ou par un régime dictatorial, mais par les ressources qui existent sur leurs territoires. Pour rappel, la Libye et la Syrie étaient des pays possédant un excellent système social et économique avant la guerre. Les pays occidentaux, avec les Etats-Unis en tête, sont partis à la recherche des ressources déjà à la fin du XXe siècle, après la disparition de l’URSS. La déclaration de l’ancienne secrétaire d’Etat, Madeleine Albright, est assez connue : « Il est injuste que la Russie dispose d’un tel espace et de telles richesses naturelles, pendant que d’autres pays en manquent ». A part les Etats-Unis et l’UE qui suit la politique américaine, ceux qui jouent un rôle spécial dans les conflits du Proche-Orient ce sont les alliés américains dans la région, la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar, surtout en Syrie. Ces pays se sont ouvertement confrontés aux structures étatiques syriennes, en voulant tailler la Syrie selon leurs propres besoins.

Le plus grand nombre de réfugiés de Syrie depuis le début des conflits dans ce pays se trouve dans le pays voisin, la Turquie, mais il y en a aussi au Liban. Selon certaines informations, la Turquie a accueilli près de deux millions et demi de réfugiés syriens. La crise migratoire a culminé quand des vagues de migrants se sont dirigées vers l’Europe, c’est-à-dire vers les pays de l’Europe de l’Ouest, qui n’était pas du tout préparée pour un tel développement de la situation. Ici non plus il n’y a pas de réponse à la question de savoir si la migration vers l’Europe a commencé spontanément ou si elle a été organisée. Comme dans le cas des Albanais de Kosovo-et-Métochie, qui vivent dans de mauvaises conditions déjà depuis plus d’une décennie, les guerres en Afghanistan et en Irak durent déjà depuis quelques années.

L’UE sans politique unitaire

Depuis le mois de mars 2015, les Balkans sont devenus une zone de transit pour les réfugiés de Syrie, l’Irak et l’Afghanistan. Des centaines de milliers de réfugiés sont passés par les frontières de la Grèce, la Macédoine et la Serbie, et puis ont continué leur chemin vers la Hongrie et les autres pays de l’UE. En Serbie, le comportement de la population envers les réfugiés était bienveillant, les citoyens ayant fait des efforts pour leur venir en aide de différentes manières, en nourriture, vêtements, médicaments, etc. Dans un passé proche, la Serbie est passée par de grandes souffrances, les guerres et l’agression de l’OTAN, et la population a de l’empathie pour les personnes passant par des souffrances semblables. Dans ce sens, la société serbe a eu un comportement plus que responsable concernant la crise migratoire, ce qui ne peut pas être affirmé pour les Etats membres de l’UE.

La crise migratoire a démontré le fait que les pays membres de l’UE n’ont pas une politique unitaire, que l’UE est plus que sujette à la déstabilisation, qu’elle est incapable de trouver des solutions constructives et que l’administration de Bruxelles a un comportement extrêmement irresponsable. En seulement quelques mois, les principes sur lesquels est basée l’UE ont été remis en question, et il s’agit de l’unité, de la liberté de circulation et des droits de l’homme.

Prenons l’exemple de la Hongrie et de son premier ministre Viktor Orban, comme un exemple extrême. Même s’il a conquis les sympathies de beaucoup de nationalistes, en présentant ses actions contre les migrants comme le souhait de protéger les intérêts nationaux de son pays, une telle explication est bien plus que superficielle. Pour rappel, la réaction de la Hongrie envers les migrants a été très brutale ; elle était parmi les premiers pays à ériger une clôture de barbelés ; elle a utilisé la force et le gaz lacrymogène afin d’empêcher les migrants d’entrer dans le pays. Rappelons-nous également que la Hongrie est un membre de l’OTAN, et même si elle n’a pas directement envoyé ses soldats pour bombarder la Libye, elle a participé dans le budget qui y a servi. Par ailleurs, l’UE, dont la Hongrie fait partie, a introduit des sanctions envers la Syrie, tout en fournissant des armes aux rebelles syriens. La question qui se pose alors est de savoir comment un pays peut participer dans la déstabilisation des Etats du Proche-Orient, et, quand il faut faire face à de tels actes, ce pays déclare qu’il protège ses intérêts nationaux et envoie son armée sur des familles avec enfants ?

Complexification du problème

Un autre problème c’est la propagation de l’islamophobie, à laquelle beaucoup d’hommes politiques en Europe recourent. Il est vrai que le déplacement des populations du Proche-Orient change l’architecture de la société en Europe, mais nous devons revenir encore une fois sur les causes, pas sur les conséquences. Les tensions en Europe augmentent, surtout parce que l’Europe n’a même pas résolu le problème de l’héritage de son colonialisme, et il s’agit des zones interdites dans beaucoup de grandes villes en Europe, dans lesquelles vivent des migrants depuis bien des années, sans aucune possibilité d’intégration dans la société.

A cela il faut ajouter le fait que l’UE ne s’est toujours pas remise de la crise économique qui dure depuis 2008, que les Etats membres sont surendettés, certains mêmes proches de l’insolvabilité. De nouveaux problèmes, surtout avec de telles proportions comme la crise migratoire, stimulent la déstabilisation de l’UE à plusieurs niveaux, surtout après les attaques terroristes à Paris, et d’autres formes de violence (Cologne et Vienne), dans lesquelles participent les migrants du Proche-Orient. La suite des migrations en 2016 est attendue quand les conditions climatiques le permettront. Des centaines de milliers de réfugiés vont de nouveau partir vers l’Europe de l’Ouest parce que quelqu’un leur a dit que là-bas ils trouveront la paix et la sécurité. L’UE n’est pas prête pour le développement des événements, comme elle n’est pas non plus capable de faire des pas positifs avec sa politique actuelle. La politique stratégique de l’UE pour résoudre la crise migratoire n’existe pas. Eriger des clôtures, annuler les règles sur la libre circulation ou la répartition du nombre des migrants (même là-dessus les pays de l’UE n’arrivent pas à trouver un accord) ne peuvent pas faire partie d’une solution. Au bout du compte, avec un tel comportement l’UE, non seulement détruit les principes sur lesquels elle est basée, mais aussi elle ne respecte pas les accords internationaux qu’elle a signés, la Convention des Nations unies sur les réfugiés, la Convention européenne des droits de l’homme, la Convention sur le statut des réfugiés, selon lesquelles les pays ont l’obligation d’accueillir tous ceux qui fuient un danger de mort. A côté de cela, dans les pays membres de l’UE il existe des dispositions constitutionnelles qui concernent les demandeurs d’asile. L’Allemagne, par exemple, a une politique de la porte ouverte pour les réfugiés, mais cela se heurte de plus en plus à la résistance des citoyens allemands. Il est certain que continuer à pousser les problèmes causés par la crise migratoire sous le tapis et s’envoyer mutuellement la balle entre les pays membres de l’UE causeront de plus importantes radicalisations de la situation dans l’UE, les tensions vont croître, des troubles sociaux viendront, la xénophobie et l’intolérance se développeront, ce à quoi la bureaucratie de Bruxelles n’est pas prête non plus. Dans une telle ambiance, les troubles pourront facilement se transformer en quelque chose de plus grand. Où est la solution ?

Acceptation de la responsabilité et la résolution du problème

Avant tout, les bureaucrates de Bruxelles doivent accepter la responsabilité pour la politique de suivi à l’aveugle des intérêts américains. Une telle politique n’est pas souveraine et ne correspond pas aux intérêts de l’Europe, mais exclusivement aux intérêts des Etats-Unis. Ceci sous-entend des actions radicales et la prise de distance par rapport aux Etats-Unis, mais c’est uniquement comme cela que les politiques européens pourront arrêter les conséquences possibles. Une autre possibilité c’est que le mécontentement croissant chez les élites politiques conduira au changement des politiques dans l’UE, si avant cela il n’y a pas d’intensification de la situation. Dans des conditions pareilles, les nouvelles élites politiques devraient être prêtes à se battre pour résoudre tous les problèmes qui se sont accumulés depuis un certain temps. En ce qui concerne les relations entre l’UE et les Etats-Unis, elles devront de toute façon être redéfinies, car il est devenu clair que l’Europe paye toutes les factures à la place des Etats-Unis, partiellement par sa propre faute. L’UE doit définir une politique stratégique relative à la résolution des problèmes liés à la crise migratoire. Le problème avec les migrants peut être résolu aux bénéfices de l’Europe uniquement si on crée les conditions pour que les réfugiés rentrent chez eux, c’est-à-dire si la situation au Proche-Orient se stabilise. Nous devons également avoir en vue que la résolution de ce problème est à caractère urgent à cause des dangers d’une culmination de la crise en Europe. Cette situation renvoie inévitablement l’Europe vers la Russie, qui a pris les premiers pas en aidant la Syrie dans la lutte contre les terroristes. Si la situation en Syrie se stabilise, et il y a des indications que cela arrivera très prochainement, l’UE devrait alors diriger ses ressources qu’elle gardait pour armer « l’opposition modérée », vers l’aide de l’Etat syrien, c’est-à-dire qu’elle devrait fournir les moyens pour aider les réfugiés par un fonds pour la reconstruction de la Syrie. La même chose vaut aussi pour la Libye, l’Irak et l’Afghanistan, mais le plus grand obstacle à la stabilisation du Proche-Orient peut être les Etats-Unis et leurs alliés, l’Arabie Saoudite, la Turquie, le Qatar, les Emirats arabes unis, etc. Il est évident que la paix mondiale est remise en question par le refus des Etats-Unis d’accepter sa perte de position de la plus grande puissance politique, économique et militaire.

Enfin, dans le cadre de la redéfinition des relations avec les Etats-Unis, l’Europe doit poser la question sur la responsabilité des Etats-Unis à cause de la catastrophe humanitaire au Proche-Orient, causée par la politique de l’interventionnisme.

En ce qui concerne la Serbie, elle sera toujours une zone de transit, en tenant compte que les migrants ne sont pas intéressés par un asile en Serbie. La Serbie est un pays très pauvre et n’a pas les capacités pour garantir une vie normale même pour ses propres citoyens. Par ailleurs, la Serbie n’a même pas encore résolu le problème des réfugiés serbes venant de Croatie, Bosnie et Herzégovine, Kosovo-et-Métochie, qui encore aujourd’hui vivent dans des centres collectifs, dans des conditions de vie déplorables. L’UE insiste pour que la Serbie, en tant que candidat à l’accession, accepte une partie des obligations et s’occupe d’un certain nombre de réfugiés. Une telle demande est extrêmement insolente, compte tenu du fait que l’UE n’a aucunement aidé la Serbie en ce qui concerne les réfugiés serbes des républiques de l’ex-Yougoslavie ou de Kosovo-et-Métochie. A part cela, l’UE doit être consciente du fait que la Serbie n’a nullement participé dans la déstabilisation des pays du Proche-Orient et qu’elle n’a aucune responsabilité pour le malheur de ces gens, à la différence des pays membres de l’UE, c’est-à-dire l’OTAN. Le danger existe que le gouvernement serbe, avec Aleksandar Vucic à sa tête, accepte de telles propositions indécentes de la part de l’UE, au préjudice de la Serbie, afin de pouvoir, comme si souvent jusqu’alors, courtiser les fonctionnaires de Bruxelles. La Serbie a l’obligation de faciliter le transit rapide des réfugiés et de leur fournir les premiers soins, ainsi que d’avoir un comportement humain envers eux sur son territoire. Les autres actions et la responsabilité des décisions politiques reviennent exclusivement à l’UE.

Dragana Trifkovic
11/04/2016

Traduction : Svetlana Maksovic

Correspondance Polémia – 16/04/2016

Image : Belgrade

 

 

 

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