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Homosexuels en Russie et en Tchétchénie : Derrière l’indignation occidentale, une vérité bien plus complexe

Homosexuels en Russie et en Tchétchénie : Derrière l’indignation occidentale, une vérité bien plus complexe

par | 9 juin 2017 | Société

Roger Vissarion, essayiste

♦ La visite récente de Vladimir Poutine à Versailles a été l’occasion du traditionnel carrousel médiatique sur les droits de l’homme. Angle d’attaque cette fois-ci : la situation des homosexuels en Russie et des militants des droits LGBT. Avec, en illustration pour horrifier le chaland, la mention de camps de concentration pour homosexuels en Tchétchénie.

Un correspondant de Polémia s’est chargé du travail minimal d’enquête que tout journaliste responsable aurait dû faire. Jolie anatomie d’un mensonge et point de situation sur la question.
Polémia


La question est posée, depuis plusieurs semaines, de façon récurrente, dans les médias dominants aux responsables politiques de droite d’un prétendu « génocide des homosexuels en Tchétchénie ».

Cette campagne est allée jusqu’à une motion au Parlement européen et à un sujet dans les discussions entre le président Macron et le président Poutine à Versailles.

Il convient de rappeler quelques faits sur la situation des homosexuels en Russie et en Tchétchénie en particulier, pour remettre cette question dans son contexte historique et régional.

1° La situation des homosexuels en Russie

Les rapports sexuels consentis entre personnes de sexe masculin ont été sortis du droit pénal russe en 1993 (1). En effet, l’homosexualité masculine était réprimée dans le Code pénal soviétique depuis 1934 par l’article 154a, puis 121 du Code pénal (5 ans de prison, 8 ans de prison en cas de viol ou de relations sexuelles de ce type avec un mineur).

Ce alors qu’entre 1917 et 1933 la Russie bolchévique avait, au contraire, la politique la plus tolérante d’Europe en la matière. Par exemple : le fondateur de la World League for Sexual Reform, le professeur Magnus Hirschfeld, visite l’URSS à l’invitation du gouvernement soviétique en 1926 (2). Son organisation avait une filiale officiellement enregistrée en URSS et brandissait ce pays comme un exemple de tolérance sexuelle.

D’ailleurs, Staline prend cette mesure autant par retour à l’ordre moral (c’est dans la même période que l’avortement sera interdit en URSS) que du fait de rapports nombreux de la Guépéou (la police politique communiste) qui dénonce les clubs homosexuels comme des nids d’espions et lieux de rencontre d’une coterie qui infiltre l’Etat, le parti et l’armée et y répand des idées antisoviétiques. C’est pour cela que la législation soviétique ne vise que l’homosexualité masculine (3).

L’arrêté du ministère de la Santé russe n° 170 du 27 mai 1997 a mis fin à la classification de l’homosexualité comme maladie psychiatrique.

La diffusion gratuite de manuels d’éducation sexuelle présentant l’homosexualité de façon positive par des ONG scandinaves dans des écoles de la région d’Arkhangelsk a soulevé, en 2011, une vague de protestations, relayée par l’évêque orthodoxe d’Arkhangelsk. Ceci a entraîné le vote au Parlement régional d’une loi sur la protection des mineurs contenant, entre autres, l’interdiction, sous peine d’une amende de 15 à 100 euros, de la propagande homosexuelle en direction des mineurs ; cette région est suivie par 9 autres régions (dont Saint-Pétersbourg).

En parallèle, l’assemblée législative régionale de Novossibirsk a soumis, le 28 mars 2012, un projet de loi (en Russie les parlements régionaux peuvent proposer des lois à la Douma) similaire au niveau fédéral.

Le rapporteur du projet de loi est la présidente de la Commission de la famille, de la maternité et de l’enfance de la Douma, la députée socialiste Elena Mizoulina (aujourd’hui sous sanction de l’UE). Cette loi contient plusieurs volets :

–     interdiction des programmes TV et radio traitant positivement des sexualités non traditionnelles à une heure de grande écoute et impose un marquage interdit aux moins de 18 ans, interdiction de projection des films traitant de la même façon de l’homosexualité aux moins de 18 ans, idem pour les contenus Internet ;

–     interdiction faite aux établissements recevant des mineurs (clubs, orphelinats, écoles…) de diffuser des contenus présentant les sexualités non traditionnelles de façon positive ;

–     interdiction de diffuser ce même type de contenu autour des établissements recevant des mineurs.

La loi prévoit des amendes de 100 à 150 euros pour les personnes physiques, de 1200 à 1500 euros pour les fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions et de 25000 à 28000 euros pour les personnes morales ou une fermeture administrative de l’établissement pouvant aller jusqu’à 90 jours. Les amendes sont multipliées par 10 si l’infraction a été commise par l’utilisation d’un média. Pour les étrangers commettant cette infraction, il est prévu, en plus, une peine d’arrestation administrative jusqu’à 15 jours et l’expulsion du territoire russe.

La dernière rédaction de la loi a resserré son champ uniquement aux informations et contenus « destinés à la formation, chez les mineurs, de relations sexuelles non traditionnelles », ce qui exclut, comme l’a dit Mme Mizoulina, l’information strictement scientifique, l’apparence des personnes, les démonstrations publiques d’affection, si elles ne sont pas accompagnées d’un discours militant, les articles et sujets de journaux TV s’ils ne sont pas accompagnés de discours militants (4).

Cette loi a été votée définitivement le 11 juin 2013 par l’unanimité des députés (y compris socialistes et communistes), sauf une abstention. Elle a été signée par le président Poutine le 29 juin 2013.

Une autre loi, le 2 juillet 2013, est venue interdire l’adoption de citoyens russes par des couples homosexuels, ou par des célibataires, ressortissants de pays où le mariage des homosexuels est autorisé.

Toutefois, la Russie a une législation encore très libérale en matière de droits reproductifs et de recours aux mères porteuses.

Même si la Russie est une société très conservatrice en matière de mœurs, notamment sur la perception de l’homosexualité, les sondages faits au sein de cette communauté, notamment par l’institut de sondage très proche de l’opposition Levada Center, sur commande du centre Helsinki (connu pour ses liens très proches avec l’opposition libérale) et « LGBT Net Russia », montrent qu’on est très loin de l’Arabie Saoudite :

–     le nombre d’homosexuels reconnaissant avoir été victimes de violences physiques a été divisé par deux en 7 ans (27% en 2007, 13% en 2014) (5) ;

–     le nombre d’homosexuels reconnaissant des violences psychologiques (insultes, menaces…) a baissé de 10% en 7 ans (37% en 2007, 27% en 2014) ;

–     le nombre d’homosexuels reconnaissant avoir été victimes de violences sexuelles a lui aussi une tendance à la baisse (de 4% en 2011 à 3% en 2014).

Les violences contre les homosexuels sont très souvent poursuivies, même si les procureurs, prolongeant une tradition soviétique, se refusent en général à demander les circonstances aggravantes (prévues par le Code pénal russe) au regard de la haine vis-à-vis de l’orientation sexuelle de la victime (on observe la même chose pour les crimes racistes et antisémites). Leur réflexe est de dire qu’une victime est une victime et qu’on doit les traiter également.

La Russie n’a pas de législation spécifique anti-discrimination, ce qui lui vaut très souvent les récriminations du Conseil de l’Europe et du Parlement européen.

2° Situation en Tchétchénie

La République de Tchétchénie est une région russe du Caucase du Nord qui a connu une sécession en 1992 qui a entraîné une guerre civile (entre le Nord fidèle à Moscou et le Sud sécessionniste) et un conflit armé avec le pouvoir fédéral pendant 10 ans.

Cette guerre a été caractérisée par le recours précoce et massif au terrorisme (le premier acte terroriste de cette guerre est le détournement du vol Mineralnye vody-Ekaterinbourg en novembre 1991) et par l’implication dans le conflit, de façon très précoce, de combattants islamistes arabes venus d’Afghanistan prolonger leur djihad antisoviétique.

Après le cessez-le-feu de Khassaviourt (1996), le gouvernement sécessionniste de Tchétchénie, soutenu par les puissances occidentales, promulgue le 8 juillet 1996 un Code pénal, inspiré par la sharia (6) qui prévoit dans son article 148 la condamnation des homosexuels à 100 coups de bâton, puis, en cas de récidive, à 100 coups de bâton et 5 ans de prison, et enfin, en cas de seconde récidive, la peine de mort par décapitation.

Lors de la seconde guerre de Tchétchénie (1999-2003), le gouvernement local va être confié au mufti (chef religieux musulman) de Tchétchénie Ahmad Kadyrov. Celui-ci va mener une double politique :

–     arracher une autonomie élargie à Moscou (les nominations des hauts fonctionnaires fédéraux dans la République sont soumises à l’approbation du président tchétchène), un financement important de l’économie locale et un gouvernement fort et incontesté ;

–     mener une politique favorable à un islam rigoriste traditionnel soufi et, en contrepartie, mener une guerre implacable aux terroristes et à leurs auxiliaires idéologiques : les salafistes et autres wahhabites.

Cette politique va être continuée par son fils Ramzan Kadyrov, qui est l’actuel président tchétchène.

Dans le cadre du second pilier de la politique, Ramzan Kadyrov a déployé plusieurs actions politiques :

–     promotion du port du voile traditionnel par les musulmanes, accompagné de pressions sur celles qui refusent ;

–     arrestation systématique et remise à leurs familles après une « discussion préventive » des porteurs de costumes salafistes de voile intégral ou de tchador ;

–     vente d’alcool autorisée uniquement entre 8 heures et 10 heures du matin dans toute la Tchétchénie et limitation drastique du nombre de débits de boisson par l’interdiction de la vente dans les cafés et les restaurants (7) (d’ailleurs tous les magasins ont annoncé la fermeture de leur rayon alcool en décembre 2016 (8) ;

–     enterrement secret des terroristes (interdiction de rendre le corps aux familles par une loi russe de 2002 (9) ;

–     révocation systématique des préfets et des chefs de la police des arrondissements d’où sont originaires les terroristes ;

–     expulsion du territoire de la Tchétchénie des familles de terroristes.

Ce cocktail politique a eu des résultats spectaculaires, étant donné que la Tchétchénie est passée en 14 ans de plus de 300 à 1 attentat par an.

Le 1er avril 2017, le journal Novaia Gazeta (dont il faut rappeler qu’il est en partie financé par le gouvernement des Pays-Bas) rapporte des informations, notamment collectées sur la hotline Caucase de « LGBT net Russia » (lui-même financé par la fondation américaine Freedom House et la fondation allemande EVZ) durant le mois de mars 2017, selon lesquelles plus d’une cinquantaine d’homosexuels réels ou supposés auraient été détenus illégalement en Tchétchénie et plus de 3 auraient été assassinés. L’article parle aussi de tortures ayant pour objet de dénoncer d’autres homosexuels.

L’affaire va s’emballer dans les médias à financement américain. Radio Free Europe va multiplier le chiffre des victimes et la période (Novaia Gazeta parle de faits portant sur février-mars 2017 et Radio Free Europe de décembre 2016-mars 2017).

L’ombudsman russe Tatiana Moskalkova a mené une première enquête sur ces faits et a rendu son rapport le 16 mai, parlant de quelques cas avérés. Parallèlement, le 5 mai, lors d’une rencontre avec Mme Moskalkova, le président Poutine a ordonné l’ouverture d’une enquête par le procureur général. Cette enquête a été confiée à la direction des enquêtes spéciales du Comité d’enquêtes de Russie. D’après la presse russe, les faits seraient de moindre ampleur, mais réels.

Ces faits sont à mettre en relation avec le contexte régional du Caucase :

–         avec la dissolution de l’URSS et la disparition de l’encadrement idéologique des populations, ainsi que l’affaiblissement de l’Etat, l’ensemble du Caucase du Nord et pas seulement la Tchétchénie, ainsi que l’Asie centrale, ont vu le retour des « crimes d’honneur », des vendettas et des enlèvements de fiancée liés à l’organisation clanique de ces sociétés (autour des Teïp). Parmi ces « crimes d’honneur » figure la révélation de l’homosexualité d’un membre du clan qui doit alors être exécuté par son père, sous la surveillance des anciens ;

–         l’ensemble des sociétés du Caucase sont ultra-conservatrices sur les questions de mœurs et en particulier sur les LGBT. Par exemple, la très pro-européenne Géorgie, qui a adopté un arsenal législatif anti-discrimination exigé par l’UE a vu les Gay Pride 2012 et 2013 (les premières autorisées par un gouvernement géorgien) balayées par plusieurs dizaines de milliers de contre-manifestants emmenés par les hiérarques de l’Eglise orthodoxe géorgienne. Ils ont contraint les manifestants LGBT à fuir sous la protection de la police, dans des bus caillassés par les protestataires. L’expérience n’a plus été rééditée depuis. Dans ce pays, d’après les sondages, plus de 91% de la population estime que l’homosexualité est complètement inacceptable (10).

Conclusions

  1. La Russie a une société conservatrice en matière de mœurs. Ce conservatisme se transcrit dans la loi, sans que la liberté et l’intégrité des personnes soient compromises ;
  2. Les violences à l’encontre des homosexuels en Russie sont en régression continue depuis au moins 7 ans ;
  3. La situation de la Tchétchénie et du Caucase du Nord est particulière, du fait de la résurgence de pratiques claniques qui ont réapparu après leur enfouissement sous la période communiste ;
  4. Si les « combattants de la liberté » de MM. Glucksmann et BHL étaient restés au pouvoir, la situation des homosexuels en Tchétchénie serait beaucoup plus mauvaise avec le Code pénal issu de la sharia en cours à l’époque ;
  5. L’homosexualité n’est pas du tout acceptée dans les sociétés de tout le Caucase, que ces pays soient musulmans ou chrétiens, y compris dans des pays dirigés par des gouvernements pro-occidentaux, comme la Géorgie ;
  6. Le pouvoir russe a déjà réagi, au plus haut niveau de l’Etat, sur ces violences présumées en ouvrant une enquête pénale ;
  7. La couverture de cette affaire par les médias montre l’arrogance de l’élite occidentale qui pense qu’à coups de résolutions, de condamnations, de fondations et de sanctions elle arrivera à faire mieux que le système communiste en 70 ans avec son appareil répressif, idéologique et d’encadrement des masses pour éradiquer les traditions millénaires des peuples islamisés du Caucase du Nord.

Roger Vissarion
7/06/2017

Notes :

  1. Закон РФ «О внесении изменений и дополнений в Уголовный кодекс РСФСР, Уголовно-процессуальный кодекс РСФСР и Исправительно-трудовой кодекс РСФСР» от 29.04.1993 № 4901-1
  2. http://me.in-berlin.de/~magnus/institut/en/personen/pers_01.html
  3. Игорь Семёнович Кон “Можно ли восстановить статью 121?”

http://www.pseudology.org/kon/Zametki/MozhnoLi121.htm

  1. http://www.bbc.com/russian/russia/2013/06/130611_duma_gay_propaganda.shtml?print=1
  2. Доклад «Дискриминация по признакам сексуальной ориентации и гендерной идентичности в России». — Московская Хельсинкская группа и Российская ЛГБТ-сеть. — 2009. — 92 с.

Нарушение прав человека и дискриминация в отношении ЛГБТ в 2014 году: данные количественного опроса. — Российская ЛГБТ-сеть. — 2014. — 7 с.

  1. http://dobrochan.ru/src/pdf/1303/Уголовный-кодекс-Чеченской-Республики-Ичкерия.pdf
  2. https://rg.ru/2009/02/17/reg-kuban/alcohol-anons.html
  3. http://www.ntv.ru/novosti/1727540/
  4. http://www.newsru.com/russia/20nov2002/duma2.html
  5. http://www.eurasianet.org/node/62902

Correspondance Polémia – 9/06/2017

Image  Des militants d’Amnesty International manifestent devant l’ambassade russe à Paris, le 2/06/2017

 

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