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Gilets jaunes : Ah que c’est la France de Johnny !

Gilets jaunes : Ah que c’est la France de Johnny !

par | 26 novembre 2018 | Société

Et si la rue de décembre 2017 était celle de novembre 2018 ? Par bien des aspects, la France des gilets jaunes ressemble à la France de Johnny : populaire, méprisée, elle aime la clope et la bagnole, en un mot la liberté. 


Les voyants clignotaient déjà depuis un moment, mais la France d’en haut s’en moquait, ou, plus vicieusement, détournait le sens du message. La France d’en bas, la France périphérique, la France des petits blancs, peu à peu rentrait en rébellion. On fit ainsi semblant de croire que la foule immense qui en, décembre 2017, se massait à Paris pour l’enterrement de Johnny n’était que l’expression d’une nostalgie sentimentale pour un chanteur populaire, adoré de ses fans. Au premier degré, oui, sans aucun doute, mais l’explication était tout de même un peu courte. La dimension identitaire fut occultée. Et pourtant elle crevait les yeux. La foule, à une écrasante majorité, était blanche et populaire. Certes, elle n’exprimait aucune revendication de quelque ordre que ce soit, mais sa présence massive disait quelque chose de terriblement puissant qui dépassait l’enjeu de l’hommage à l’idole perdue.

L’idole des jaunes

Cette foule innombrable disait la détresse d’une population rendue invisible dont seul un chanteur de rock maintenait une conscience identitaire dans l’espace publique officiel que représentent les médias de masse. On est « Johnny » comme on est d’un pays ; on s’identifie à lui, comme à une histoire, une légende, un mythe, un récit collectif. Le peuple d’en bas, ce jour-là, au vu et au su de tous, c’est-à-dire sous l’œil des télévisons, a imposé la force de la représentation de lui-même à tout le pays. Cette France existe encore et, quand elle se mobilise, elle est la puissance dominante. Les gens se sont vus ensemble, se sont comptés, ont partagé les mêmes émotions et ont communié dans un sentiment de commune appartenance. La  mise en scène du collectif n’est jamais neutre, elle avive la conscience de soi.

Objectivement, la mobilisation des gilets jaunes s’exprime comme une réplique de la foule de décembre 2017. Les mêmes gens, les mêmes visages, les même attitudes ; parions que bien des acteurs de cet automne 2018, étaient dans la rue juste un an plus tôt pour exprimer une tristesse que sous tendait aussi beaucoup de frustration. L’homme qui, probablement malgré lui, incarnait leur sensibilité brute et refoulée, les avait quittés, laissant un grand vide qu’une colère rentrée pouvait désormais investir: « Quoi, qu’est-ce qu’elle a ma gueule, si tu veux te la payer, viens je rends la monnaie » ! C’est bien là le grand mystère du phénomène Johnny, avoir tellement incarné la sensibilité des classes populaires françaises sur plusieurs décennies, alors que la mythologie qui le fascinait, lui, et qu’il voulait transmettre est celle de l’Amérique.

La France qui souffre, qui fume et qui pollue

Dans la ferveur populaire pour le chanteur, il y a aussi l’expression d’une souffrance, d’un manque, comme un déficit d’identité à combler, et qui renvoie à la nostalgie d’une France encore proche de ses racines villageoises et homogènes, celle des Trente glorieuses, à la mémoire si vive et lointaine à la fois. Les baby-boomers forment toujours la masse de ses fans et Johnny a été le porteur d’une fierté populaire, comme Edith Piaf l’avait été une génération avant. On oublie aujourd’hui, bien volontiers, l’épisode, certes commercialement scénarisé, de sa confrontation avec le chanteur Antoine, quand les cheveux longs, les chemises à fleurs et le « peace and love » sont venus ringardiser la virilité simpliste du blouson noir et des « mauvais garçons » en bande («… s’ils donnent des coups, ne sont pas méchants, je vous l’avoue… »). « Cheveux longs et idées courtes » fut la réponse cinglante du rocker: « Faut-il pour être un homme ne plus chanter l’amour ? Faut-il mendier son pain et ne plus être fier ? ».

Bien du temps a passé depuis et Johnny a endossé bien des costumes pour bien des rôles et les bobos l’ont même trouvé tendance. Mais la masse de ses fans, les images le montrent avec évidence, est restée fidèle à ses mythologies viriles. La France de Johnny aime les blousons, le cuir, les copains, la moto, et aussi la bagnole !

La voiture, comme le cheval dans le Far West, objet indispensable à la survie économique, est aussi signe d’indépendance et de fierté. Dans l’affaissement social ambiant qui frappe les classes moyennes et populaires, la voiture reste un des derniers bastions, avec le sport, où peut s’exprimer un désir de force et de liberté. Depuis longtemps d’ailleurs, la gauche sociétale déteste l’automobiliste qui incarne à ses yeux toute la dangerosité du « beauf », comme elle détestait le sport de masse, « opium du peuple ». Elle a bon dos la transition écologique quand la vache à lait fait aussi office de bouc émissaire de l’arrogance de classe. Les neuf engins à moteur de Nicolas Hulot, dont six voitures, ne semblaient pas beaucoup tourmenter sa conscience d’écolo.

80 km/h, la vitesse des technocrates

Macron se prend en pleine figure l’explosion de la bombe à retardement du prix du carburant, mais il ne faut pas oublier que c’est le Premier ministre, Edouard Philippe, qui a allumé la mèche de l’engin avec sa mesure sur les 80 km/h. Mesure gratuite, mesure sans aucun sens que personne ne revendiquait, dont les effets positifs sont absolument nuls au regard de la dimension de brimade qu’elle représente pour ceux qui la subissent. Il a pris cette décision tout seul, sans consulter personne, avec la détermination d’un chef de guerre, mais pour livrer une bataille de soldats de plomb. Le fait du prince dans toute sa trivialité ; comme un désir obtus d’exercer sa puissance sur les petits. Son ministre de l’Intérieur, vieux politicien madré, avait senti la mauvaise affaire, et prit ses distances avec cette mesure forcée ; il fut sèchement rappelé à l’ordre. De sa bonne ville de Lyon, il doit aujourd’hui regarder le désastre avec le soulagement de celui qui vient d’échapper à un accident. Plus un pouvoir est faible sur le fondamental, plus il est inflexible sur les détails qui briment et humilient ; on ne lit peut-être pas Tocqueville à l’ENA ?

Avec les 80 km/h, les clignotants sont passés à l’orange foncé, toute personne à l’écoute de l’air du temps pouvait le ressentir et le voir. La multiplication des radars déjà et la hausse du coût des amendes avaient exaspéré l’humeur populaire ; les actes de vandalisme se multipliaient sur le bord des routes. Mais aucun des signaux ne fut entendu ; le silence et l’indifférence comme toute réponse avec, à l’horizon, une nouvelle hausse des taxes carburants, et celle des péages ; sans oublier, bien sûr, tout le reste qui frappe à coup régulier : un technocrate de ministère s’est-il jamais demandé ce que représentait pour un smicard une hausse de plusieurs euros du paquet de cigarettes en quelques années ? Pourquoi ne pas dire alors, que le tabac désormais est un vice, ou un plaisir, réservé aux riches !

La France des siphonnés

J’avais écrit dans ces mêmes colonnes, il y a un peu moins d’un an, que Macron allait rapidement se casser les dents sur le principe de réalité parce que sa politique frappe d’abord des classes moyennes fragilisées qui constituent le moteur de l’économie. Depuis plus de trente ans, chaque nouveau gouvernement donne un coup de massue fiscal pour installer son action politique, et se fait sanctionner dans la foulée. Macron n’est que le digne successeur de ses prédécesseurs, mais la France moyenne et populaire n’a plus de réserves, d’argent ou de patience. On lui demande de sacrifier son présent immédiat au nom d’un futur invisible pour ses enfants et petits enfants ; un marché de dupes qui ne marche plus.

Au fur et à mesure que l’ «antiracisme » médiatique perd de sa puissance normative face aux chocs du réel, l’écologisme institutionnel fait office d’idéologie de substitution de domination du peuple. Désormais, tout ce que le pouvoir impose par la contrainte se justifie par l’impératif de l’air pur et de la bonne santé et toute contestation de cet impératif moral relève du sacrilège. La ville de Paris a été le laboratoire de cet écologisme répressif. Et l’automobiliste est la première victime de cette nouvelle sacralité. Là où le sacré domine, la raison critique est sommée de reculer. Seules l’écoute et l’empathie pourraient désamorcer la violence du bras de fer engagé, mais l’arrogance et l’immaturité du pouvoir ne laisse rien entrevoir de salutaire.

Denis Bachelot
26/11/2018

Source : Causeur

Crédit photo : Nicolas Faure, DR

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