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« Europe : il faut tout changer » de Laurent Wauquiez (deuxième article)

« Europe : il faut tout changer » de Laurent Wauquiez (deuxième article)

par | 16 mai 2014 | Médiathèque

« Ce livre ne deviendra pas un ouvrage de référence, mais il met en évidence le trouble qui gagne les partis favorables à l’Union européenne. »

Polémia, il y a peu, a déjà publié sous la plume de André Posokhow une note de lecture concernant le dernier ouvrage de Laurent Wauquiez. Nous venons de recevoir de Bruno Guillard, notre contributeur régulier, une nouvelle critique sur ce même livre qu’il aborde sous un jour différent et qui complète celle de son confrère. Nous la présentons ici.
Polémia

À l’approche de l’élection des députés du Parlement européen qui va être marquée par une abstention record traduisant un rejet massif de l’Union européenne, Laurent Wauquiez, qui commence à comprendre, semble-t-il, à quel point cette organisation s’est fourvoyée, a publié un livre intitulé « Europe : il faut tout changer ». Ce livre ne deviendra pas un ouvrage de référence, mais il met en évidence le trouble qui gagne les partis favorables à l’Union européenne.

Europe : une organisation impotente

De la description que nous fait Laurent Wauquiez des institutions européennes, il ressort que l’Europe élargie que nous connaissons aujourd’hui ne peut pas fonctionner :

« Plus l’Europe est diverse, plus il devient impossible de dégager des positions communes. Le système institutionnel, à force de ménager tout le monde, a conduit à diluer les droits de vote au détriment des grands pays qui se trouvent de plus en plus paralysés par la voix des petits. (…) Qui plus est, les approches divergent toujours plus. Entre une Angleterre tentée par le grand large, une Allemagne aux ambitions hégémoniques mais frileuse sur la solidarité européenne, des pays nordiques très utopistes dans leur approche, des pays de l’Est qui restent rivés à leur relation avec les États-Unis et à leur crainte de la Russie, il est difficile de trouver un ADN commun. »

Ce constat est intéressant parce qu’il met en évidence les obstacles considérables (insurmontables ?) que constituent les différences culturelles, les intérêts économiques, la diversité des politiques sociales, les liens et les haines hérités du passé, les points de vue divergents en matière de géopolitique… Pour lever ces obstacles il ne suffira pas de sauter comme un cabri et de crier « l’Europe, l’Europe, l’Europe » ; les rémanences liées à l’histoire persistent très longtemps et la genèse d’un peuple est affaire de très long terme. Nous ne sommes ni à la veille, ni à l’avant-veille de la naissance d’un peuple européen. Il est possible de se rassurer en se disant que c’est au bord du tombeau que l’Europe se fera, mais, d’une part, il n’est pas certain que cette prophétie nietszchéenne se réalisera et, d’autre part, on peut penser que, plutôt que d’attendre un très hypothétique miracle, il serait sans doute plus sage de mettre en œuvre une politique européenne réaliste. Quand 3% des Européens se considèrent comme « seulement européens », il n’est pas possible de construire un État intégré autrement que par la coercition ; c’est d’ailleurs très exactement ce qu’a écrit David Engels dans son livre intitulé Le Déclin, dans lequel il explique que sans le surgissement d’un nouveau principat, il ne sera pas possible de fédérer les États européens.

Pour une Europe des nations

Laurent Wauquiez décrit une Union européenne qui ignore tout de la solidarité ; ainsi le gouvernement italien laisse entrer les immigrants par Lampedusa parce qu’il sait qu’ils ne s’installent pas en Italie mais en France. Le gouvernement allemand et les Allemands ne veulent pas payer les dettes des Grecs mais ils imposent à la Grèce un régime drastique pour que les banques allemandes, qui ont prêté sans compter, puissent être remboursées des prêts inconsidérés et irresponsables qu’elles ont faits aux Grecs. En fait, il n’y a pas de solidarité entre Européens parce qu’il n’y a pas de peuple européen. En France ou en Allemagne la solidarité entre les différentes régions est une réalité parce qu’il existe encore un peuple français et un peuple allemand que l’Union européenne n’a pas réussi à dissoudre.

« Il n’y a pas un peuple européen et croire qu’une démocratie européenne peut naître dans le seul creuset du Parlement européen est une erreur. Il faut européaniser les débats nationaux. »

Et il ajoute :

« L’Europe ne se construira pas sur le dos des nations. Si elle persiste dans cette erreur, elle se condamne (…) Et je le dis clairement, les fédéralistes naïfs sont aujourd’hui les pires ennemis de l’avenir européen. La France doit assumer de dire “non”. »

Laurent Wauquiez fait donc le constat d’une impossibilité du fédéralisme, tout en considérant qu’il est indispensable de coopérer étroitement mais au sein d’un groupe restreint de six États (Allemagne, France, Italie, Pays-Bas, Belgique, Espagne ; il exclut de ce groupe le Luxembourg qu’il considère à juste titre comme un paradis fiscal). Ce groupe restreint, qui produit 65% des richesses européennes, aurait pour vocation première la recherche et le développement industriel.

Le constat que fait Laurent Wauquiez, à savoir qu’il n’est pas possible de créer une démocratie en l’absence d’un peuple, est pertinent ; l’Union européenne, qui prétend créer une démocratie sans peuple conformément aux idées de Jürgen Habermas, ne peut qu’échouer. On peut d’ailleurs se demander si les dirigeants de l’UE n’ont pas pris conscience de cette impossibilité et si ce n’est pas la raison qui les a poussés à penser en termes de gouvernance (la gouvernance n’étant en fait qu’une forme de despotisme). Seul un régime autoritaire et contraignant peut imposer la cohabitation à des peuples trop différents et il n’y a pas d’exemple dans l’histoire de fusion de vieux États indépendants en l’absence de contrainte (c’est la Guerre de Sécession qui a permis l’intégration fédérale des États d’Amérique du Nord et c’est la Guerre civile de 1848 qui a permis celle des cantons suisses).

Union européenne : une organisation sans projets concrets

L’Union européenne ne porte plus aucun projet industriel, contrairement à ce qui fut le cas du temps de la CECA ; les dernières grandes réussites industrielles européennes, Airbus et Arianespace, sont des projets issus de la coopération interétatique et non pas ceux de l’Union européenne. Ces deux exemples montrent d’ailleurs que la coopération interétatique peut être réellement efficace en matière de politique industrielle, ce qui n’est pas le cas de l’organisation de Bruxelles. L’Union européenne telle que la décrit Laurent Wauquiez n’a plus que deux finalités : la production de normes (parfois ahurissantes, comme celle qui concerne le rayon de cintrage des concombres !), qui occupe une technocratie aussi bourdonnante que stérile, et le contrôle « intégriste » du respect des principes libéraux (l’Europe selon l’UE n’est qu’un marché sans frontières définitives). L’Union européenne n’est plus qu’une gardienne de l’orthodoxie libérale, aussi bien en matière économique qu’en matière sociétale (L. Wauquiez n’aborde pas ce dernier sujet).

Euro : défense de toucher à la vache sacrée

Laurent Wauquiez n’a pas osé poser un regard critique sur ce qui constitue la vache sacrée de l’oligarchie. Il aurait pu expliquer que cette monnaie a été une erreur depuis son origine (c’est ce que pense la majorité des « Prix Nobel » d’économie) mais que désormais il n’est plus possible de revenir en arrière compte tenu des incertitudes liées à une éventuelle sortie de ce carcan monétaire. Il aurait pu évoquer les problèmes considérables qui sont générés par cette monnaie. Il aurait même pu évoquer l’éventualité du passage à une monnaie commune. Que nenni ! Pour Laurent Wauquiez la monnaie unique ne mérite pas la moindre critique. Il utilise même le bobard concernant l’augmentation du prix de l’essence comme argument massue ! (Si un nouveau franc était dévalué de 20%, le prix de l’essence n’augmenterait pas de 20% parce que ce prix est constitué, pour 75%, de taxes). Néanmoins, il reconnaît que les « divergences restent fortes et ne permettent pas de constituer un véritable affectio societatis européen ». C’est le moins que l’on puisse dire, compte tenu du fait que la monnaie unique est en train de générer une haine des institutions européennes qui se transforme progressivement en rejet de toute forme d’organisation européenne, ce qui est pour le moins préoccupant.

Un projet incomplet

On ne comprend pas très bien comment seraient articulés le marché commun des vingt-huit, la zone euro des dix-huit et le noyau dur des six. Par contre, les objectifs qu’il fixe à une éventuelle union restreinte sont intéressants :

« Ce noyau dur pourrait s’accompagner d’un budget européen qui aurait comme vocation de financer de grands projets en matière de recherche, d’environnement et de développement industriel. »

Ces investissements seraient financés par des eurobonds créés à cet effet. Par ailleurs, il envisage la mise en place d’une taxe carbone aux frontières de façon à rétablir (un peu) l’équilibre entre l’espace européen et certains pays, telle la Chine, qui ne s’imposent que peu de contraintes en matière de politique environnementale. Il aurait pu parler du problème lié à la sous-évaluation de la monnaie chinoise et des dumpings sociaux, salariaux et fiscaux auxquels sont confrontés les pays européens et qui justifieraient la mise en place de taxes compensatrices, mais il ne l’a pas fait.

Sa proposition concernant la sortie de l’Accord de Schengen est également tout à fait positive, de même que celle qui concerne la restauration de la préférence européenne. Par contre, on regrettera qu’il n’ait pas abordé le sujet du projet de Traité transatlantique (qui à lui seul justifie que l’on vote contre l’Union européenne le 25 mai prochain), ni celui des rapports entre l’Europe et les États-Unis. Son livre n’aborde pas la question essentielle de nos rapports avec l’OTAN, ni celle d’un nécessaire système de défense européen indépendant. Il évoque au passage un partenariat avec la Russie mais sans préciser sa nature et en mettant ce partenariat au même niveau que celui qui doit exister avec la Turquie et les pays du sud de la Méditerranée.

 Bruno Guillard
13/05/2014

Laurent Wauquiez, Europe : Il faut tout changer, éditions Odile Jacob, avril 2014, 180 pages.

Bruno Guillard
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