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Emmanuel Macron face à l’immigration : l’esbroufe pour masquer le vide [Partie 3]

Emmanuel Macron face à l’immigration : l’esbroufe pour masquer le vide [Partie 3]

Par Robert Martin ♦ Un de nos lecteurs nous a récemment contactés. Fonctionnaire retraité ayant assuré un rôle important au sein du dispositif judiciaire entourant la demande d’asile en France, il est théoriquement soumis à un devoir de réserve, nous avons donc respecté son anonymat en modifiant son nom. Néanmoins, face aux actions d’Emmanuel Macron et notamment à sa loi Asile et Immigration, il a décidé de nous communiquer plusieurs textes. Nous avons décidé de publier en 5 parties un grand texte solidement documenté sur le projet de loi d’Emmanuel Macron et, plus globalement, sur les mesures qu’il faudrait adopter pour gérer efficacement la crise migratoire.
Après une première partie dédiée à l’analyse globale du texte Asile et Immigration, et un commentaire détaillé du rapport du Conseil d’Etat sur ce projet de loi, Robert Martin analysera ici le manque de sérieux du projet de loi.
Polémia


Le projet de loi, dans son état actuel, n’aborde aucun des problèmes fondamentaux qui bloquent l’action gouvernementale en matière de contrôle de mouvements migratoires :

Un décalage majeure entre la Constitution et la réalité

Décalage majeur entre le droit d’asile tel qu’il est prévu dans la constitution française…
Le droit d’asile découle du préambule de la Constitution qui affirme que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Il a été consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 1993 : « Considérant que le respect du droit d’asile, principe de valeur constitutionnelle, implique d’une manière générale que l’étranger qui se réclame de ce droit soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande ».

… et ce qu’il est progressivement devenu :
Une personne qui sollicite l’asile en France peut obtenir l’une ou l’autre des deux formes de protection suivantes.

A. Le statut de réfugié
Il est reconnu :
• en application de la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés qui définit le réfugié comme « toute personne (…) qui (…) craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays… » ; à noter une évolution sur la notion d’appartenance à un groupe social « à risques » qui inclut maintenant les préférences sexuelles (LGBT) dans les pays où ces pratiques sexuelles peuvent donner lieu à des poursuites pénales (dans 76 pays essentiellement musulmans) ;
• en application du préambule de la Constitution, « à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté » ;
• à toute personne sur laquelle le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) exerce son mandat aux termes des articles 6 et 7 de son statut (« mandat strict »).

B. La protection subsidiaire
Elle est octroyée à la personne qui ne remplit pas les critères ci-dessus mais qui établit « qu’elle est exposée dans son pays à la peine de mort, à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, ou, s’agissant d’un civil, à une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence généralisée résultant d’une situation de conflit armé interne ou international ».
La qualité de réfugié et le bénéfice de la protection subsidiaire sont reconnus sans considération de l’auteur des persécutions ou des mauvais traitements qui peut donc être un acteur non étatique, dès lors que les autorités ne sont pas en mesure d’apporter une protection.
Là encore, on constate une extension très nette de cette protection subsidiaire qui visait à l’origine des situations du type de l’Algérie dans les années 90 ou de l’Irak et de l’Afghanistan d’aujourd’hui (paragraphe 1) à des relations de mauvais voisinage envenimées par des traditions anciennes (loi du sang appelée kanun en Albanie) et une certaine inefficacité des forces de l’ordre et de la justice (paragraphe 2). On arrive donc à ce cas paradoxal où les ressortissants albanais ont constitué le groupe le plus important des requérants ayant déposé en 2017 un recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) alors que l’Albanie est classée parmi les 16 pays considérés comme sûrs par Décision du 9 octobre 2015, du conseil d’administration de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).
Ne serait-il pas nécessaire de modifier la Constitution préalablement à l’adoption de ce projet de loi ?

La Cour de justice européenne, une institution gênante

Dans le contexte actuel, le défaut de sanction pénale n’est plus admissible pour un étranger séjournant en France sans titre de séjour régulier. Il faudrait revenir à la formulation qui prévalait jusqu’à l’abrogation par la loi du 31 décembre 2012 de l’article L621- 1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) qui prévoyait que :
« L’étranger qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1 et L. 311-1 ou qui s’est maintenu en France au-delà de la durée autorisée par son visa sera puni d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 3 750 Euros.
La juridiction pourra, en outre, interdire à l’étranger condamné, pendant une durée qui ne peut excéder trois ans, de pénétrer ou de séjourner en France. L’interdiction du territoire emporte de plein droit reconduit du condamné à la frontière, le cas échéant à l’expiration de la peine d’emprisonnement. »

C’est à la suite d’une décision de la Cour de justice de l’union européenne, situé à Luxembourg, du 28 avril 2011 qu’il n’est plus possible, depuis cette date d’emprisonner un étranger au seul motif qu’il est en situation irrégulière. Il peut toujours être placé dans un centre de rétention en attendant son expulsion, mais plus en prison, même s’il n’a pas obéi à un ordre de quitter le territoire.
La décision de la Cour de justice de l’union européenne, à Luxembourg, a cueilli à froid le gouvernement français qui emprisonnait les sans-papiers depuis 1938. Mais elle fut d’application immédiate, et les étrangers qui purgeaient une peine pour séjour irrégulier furent donc considérés comme détenus arbitrairement.
Après l’arrêt jeudi de la Cour européenne de Justice enjoignant l’Italie de ne plus incarcérer un étranger en situation irrégulière, la France estima d’abord n’être pas concernée et continuera de le faire « en cas de refus » d’éloignement, indiqua le ministère de l’Intérieur alors dirigé par Claude Guéant.
Cruellement Le Monde a précisé dans un article du 3 mai 2011 que « Le ministre français n’a pas bien saisi la portée de la décision : la Cour de Luxembourg veille à l’application du droit de l’Union européenne, et s’impose évidemment à tous ses membres, dont la France. » Et de citer tous les articles de l’arrêt du 28 avril allant dans le même sens :
– § 53 : le droit de l’Union prend le pas sur la législation des Etats membres.
– § 54. Les Etats membres doivent donc aménager en conséquence leur législation.
– § 55. Sinon, ce n’est pas la peine de voter une directive.
– Enfin, la Cour de justice souligne très clairement que le droit de l’Union interdit d’incarcérer un étranger en situation illégale « pour le seul motif qu’il demeure, en violation d’un ordre de quitter le territoire de cet Etat dans un délai déterminé, sur ledit territoire sans motif justifié ».
Après avoir trainé les pieds, la France profita d’une alternance politique pour faire voter la loi du 31 décembre 2012 supprimant cette règle pourtant de bon sens.
Il parait souhaitable d’étudier les moyens de se désengager-au moins temporairement- des décisions qu’impose cette juridiction (idem pour la CEDH)

Schengen, un grave problème de sécurité publique

Sur la possibilité de maintenir des contrôles à nos frontières nationales :
Conformément à une disposition des accords de Schengen, plusieurs pays ont temporairement rétabli les contrôles à leurs frontières nationales. L’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, la Norvège et la Suède l’ont fait en raison de la crise migratoire, tandis que la France y a recours pour faire face à la menace terroriste.
Le 13 novembre 2015, la France rétablissait les contrôles d’identité à ses frontières. Initialement prise pour sécuriser la conférence Paris Climat 2015 (30 novembre – 11 décembre 2015), la mesure a été renforcée au lendemain des attentats de Paris pour tenter d’endiguer la menace terroriste, puis prolongée à plusieurs reprises.
Elle s’est ajoutée aux nombreuses mesures similaires prises à la même période par des pays membres de l’espace Schengen pour tenter de freiner l’arrivée de migrants, pour la plupart des demandeurs d’asile syriens.
Face à la crise des migrants, d’autres pays ont temporairement réintroduit les contrôles à leurs frontières aujourd’hui.
Or, selon le blog de Paul CASSIA , professeur agrégé des facultés de droit à l’université Panthéon-Sorbonne, c’est « au prix d’une interprétation biaisée du Code frontières Schengen » que le Conseil d’Etat aurait déjà validé la décision du gouvernement français de maintenir les contrôles aux frontières intérieures jusqu’au 30 avril 2018. Et pour cet éminent juriste, il est peu probable que le gouvernement français puisse proroger encore cette mesure qui déroge au principe de libre circulation des personnes posé par le « Code frontières Schengen » du 9 mars 2016.
Pourtant, les seuls contrôles à la frontière italienne ont permis 45.000 non admissions, en 2017.
Le Gouvernement ne doit pas prendre le risque d’attendre une possible censure du conseil d’Etat pour obtenir une modification du « Code frontières Schengen » du 9 mars 2016.

L’effacement des empreintes digitales

Depuis plusieurs années, des ressortissants africains appartenant à des pays de la Corne de l’Afrique ont pris l’habitude de faire disparaitre leurs empreintes digitales par l’utilisation d’acide ou de produits abrasifs ce qui les rend non identifiables et donc non expulsables puisqu’ils sont de plus dépourvus de tout papier d’identité.
La réponse varia dans le temps :
– le directeur de l’OFPRA rédige une instruction interne concluant que le fait de masquer volontairement son identité ne correspond pas aux normes de loyauté attendues des demandeurs d’asile et que dans ces conditions leur demande devait être rejetée ;
– le Conseil d’Etat prend d’abord une position identique lors de l’examen en appel d’une décision de la CNDA ayant refusé de censurer un recours dirigé contre une décision de refus d’instruire de l’OFPRA ;
– saisit d’un recours présenté par une ONG de défense des immigrés contre l’instruction du directeur de l’OFPRA, le Conseil d’Etat adopta alors une position contraire en considérant que la demande d’asile primait sur toute autre considération amorçant ainsi une évolution de la jurisprudence reconnaissant une sorte de droit au mensonge pour les demandeurs d’asile .
Il semble impossible de perdurer une telle pratique qui rend ces étrangers inexpulsables

Le recours aux tests ADN pour le regroupement familial, interdit en France

La loi du 20 novembre 2007 comprenait une disposition qui autorisait le recours à un test ADN pour prouver la filiation des candidats au regroupement familial issus de pays dans lesquels “l’état civil présente des carences ou est inexistant”.
Or, face aux nombreuses protestations, de ministre de l’Immigration, Éric Besson, a finalement décidé, en septembre 2009, de ne pas signer le décret d’application de cette mesure. Il a justifié cette reculade par l’état des moyens de la diplomatie française qui, selon lui, n’aurait pas permis de respecter la confidentialité et la sécurité des données recueillies dans le cadre de ces procédures.

Ceci est d’autant plus étrange que le recours aux tests ADN dans le cadre du regroupement familial est utilisé dans 11 pays d’Europe et pour certains, depuis l’année 2000.
Allemagne : Pour obtenir un droit de séjour, les étrangers sont tenus de justifier de leur âge et de leur identité. S’ils s’y refusent, ou en cas de doutes très sérieux sur les documents fournis, les autorités peuvent recourir à “tous les moyens mis à la disposition de la justice” pour prouver ces informations. Les tests génétiques en font partie, mais ils ne sont utilisés qu’en dernier recours pour les pays qui n’ont pas d’état civil.
Autriche : Les tests ADN dans le cadre du regroupement familial, pratiqués depuis 2006, sont effectués si le candidat ne peut pas fournir les documents nécessaires pour prouver la filiation. Si le candidat s’y refuse, le regroupement est automatiquement rejeté. Ces tests sont à la charge du demandeur.
Belgique : Les tests ADN pour les candidats au regroupement familial sont pratiqués depuis 2003 en cas d’absence de documents officiels prouvant la filiation. Ils sont à la charge du demandeur (400 euros).
Danemark : Les tests ADN pour les candidats au regroupement familial existent depuis 2000. Si l’Etat le demande, le candidat et sa famille sont obligés de se soumettre au test pour obtenir une mesure de regroupement familial. En cas de refus, le regroupement est automatiquement rejeté.
Espagne : Le recours à des tests ADN pour prouver des liens parentaux dans le cadre du regroupement familial existe depuis 2006. Ces tests sont volontaires et aux frais des demandeurs (300 euros).
Finlande : Les tests ADN pour les candidats au regroupement familial existent depuis 2000. Ces tests sont volontaires.
Grande-Bretagne : Les tests ADN pour les candidats au regroupement familial existent depuis 1991 (vérification de l’empreinte génétique) et sont pris en charge par l’Etat. 7000 tests sont réalisés chaque année.
Italie : L’utilisation de test ADN pour prouver une filiation a été mise en place dès 2001. Ces tests sont volontaires et pris en charge par l’Etat et réalisés sous l’égide de l’Organisation internationale pour les migrations.
Pays-Bas : Les tests ADN pour les candidats au regroupement familial sont pratiqués en cas de doute sur la filiation. Ils sont gratuits.
Suède : Les tests ADN pour les candidats au regroupement familial existent depuis 2006. Ces tests sont volontaires.
Il faut donc utiliser cette possibilité et l’étendre aux enfants menacés d’excision ainsi qu’à leur mère, et bien entendu, aux étrangers non identifiables par leurs empreintes.

La justice française, complice ?

La France a fait l’objet le 1er février 2018 d’une double condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour avoir voulu expulser vers l’Algérie son pays d’origine un ressortissant algérien condamné en France pour association de malfaiteurs terroristes à sept ans de prison ferme ainsi qu’à une peine d’interdiction définitive du territoire français pour avoir projeté avec la « filière tchétchène » des attentats en France en 2001 et 2002.
Malheureusement les blocages, viennent souvent d’autorités judiciaires françaises:
Un article récent du Parisien en fournit une illustration saisissante : « Le tribunal administratif de Paris vient de retoquer ce jeudi 25 janvier 2018 une décision de Valérie Pécresse, présidente de la Région Ile-de-France, qui avait décidé de supprimer la réduction de 50% du Passe Navigo dont bénéficiait les 117 000 titulaires de l’Aide médicale d’Etat, des étrangers en situation irrégulière .
Une promesse emblématique de campagne, que Valérie Pécresse s’était empressée de concrétiser en février 2016, “dans un souci de justice et d’équité”. Elle s’était attiré les foudres de l’élu régional d’opposition Pierre Serne (EELV), qui a déposé un recours au tribunal administratif dans les semaines qui ont suivi, avant d’être rejoint par des associations de défense des sans-papiers et des syndicats.
Le tribunal administratif vient de leur donner raison en rappelant que la loi “SRU” (Solidarité et renouvellement urbain) prévoit qu’une réduction tarifaire d’au moins 50 % sur les titres de transport doit être appliquée en-dessous d’un certain niveau de ressources, et ce, quelle que soit la situation administrative de la personne qui en bénéficie. »

Etant dans un état de droit, le dernier mot doit rester à l’autorité judiciaire même si certaines décisions semblent politisées. Or, au-delà de la justice classique, une partie des personnels de la Cour nationale du droit d’asile parait opposée à l’application du projet de loi.

Il est donc nécessaire de réformer la Cour nationale du droit d’asile. Ces propositions de réformes seront développées dans une quatrième partie.

Robert Martin
03/05/2018

Source : Correspondance Polémia

Crédit photo : Jérémy Barande, via Wikimedia Commons

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