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Élargissement des BRICS : des promesses, mais surtout des casse-têtes

Élargissement des BRICS : des promesses, mais surtout des casse-têtes

par | 15 septembre 2023 | Économie, Géopolitique

Par Henri Girard ♦ L’événement majeur de l’été est évidemment la réunion des BRICS et leur extension à cinq nouveaux pays. La dédollarisation du monde est en marche et le globalisme américain qui gouverne le monde depuis la chute de l’Union soviétique va souffrir. Pour autant, il ne faut pas s’illusionner sur les nouveaux pouvoirs émergents. Reste que leurs divergences sont un signe de la multipolarité en marche. Henri Girard, passionné de relations internationales, nous a envoyé un article nuancé que nous partageons auprès de nos lecteurs.
Polémia

L’anti-G20 ? Le Sud global, contrepoids attendu au bloc occidental ? La presse a largement commenté le dernier sommet des BRICS et son élargissement à six nouveaux pays. Si certaines de leurs propositions peuvent laisser augurer d’un nouvel ordre mondial, les membres des BRICS sont surtout un club de pays très hétéroclites, parfois démocratiques et souvent dictatoriaux.

Ils étaient cinq, ils seront désormais onze. Au 1er janvier 2024, les BRICS élargiront donc leur horizon : lors de leur 15e sommet, le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud ont donc décidé d’accueillir l’Arabie saoudite, l’Argentine, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie et l’Iran. La nouvelle fera date sur la scène internationale, comme l’a souligné le président sud-africain Cyril Ramaphosa, hôte du dernier sommet à Johannesburg du 22 au 24 août. En coulisse, le président chinois Xi Jinping a mis tout son poids dans la balance pour aboutir à cet élargissement tandis que d’autres, comme le Brésil, semblaient freiner des quatre fers. Une chose est sûre, désormais, il faudra compter sur les BRICS qui réuniront 46% de la population mondiale et 36% des richesses créées.

Une coalition anti-dollar

Annoncée il y a quelques années déjà, la mesure phare des cinq pays fondateurs des BRICS reste la volonté commune de sortir de leur dépendance au dollar américain pour leurs échanges commerciaux. Ce cheval de bataille a été remis à l’honneur lors du récent sommet, et a trouvé de nouveaux soutiens de poids comme l’Iran et l’Algérie même si cette dernière, présente en tant qu’observatrice, n’a finalement pas été conviée à rejoindre le club au grand désespoir du président Abdelmadjid Tebboune qui aurait pourtant bien besoin d’un succès diplomatique.

La « dédollarisation » souhaitée par les BRICS sera-t-elle la panacée pour l’économie mondiale ? Seul l’avenir le dira. Selon Alexandre Kateb, économiste et président du cabinet The Multipolarity Report, « cette organisation cherche à acquérir une nouvelle dimension et surtout à créer des instruments pour proposer des alternatives au système économique et financier mondial, notamment le rôle du dollar. La dédollarisation et le développement de monnaies d’échange alternatives comme le yuan – la monnaie chinoise – va de pair avec cet élargissement ». Une telle perspective explique évidemment l’inclusion de pays comme les Émirats Arabes Unis et l’Arabie saoudite qui regorgent de liquidités et qui peuvent garantir la stabilité monétaire du nouvel ensemble grâce à leurs réserves en hydrocarbures et en or.

La volonté des pays membres des BRICS est donc d’offrir un contrepoids au monde occidental – ou dit du Nord – estimant que les États-Unis n’ont pas à dicter seuls la conduite des affaires mondiales. Et ils ont des arguments très valables sur ce point. Mais le nouvel attelage pose question : pour la plupart de ses membres, les questions de démocratie, de droits de l’Homme et de liberté d’expression ne font pas particulièrement partie de leur logiciel. Sur les onze pays que les BRICS compteront en 2024, seuls quatre pays peuvent se targuer d’être des démocraties… et ce, en comptant une Inde dont les penchants autoritaires du Premier ministre Narendra Modī sont de plus en plus marqués.

Qu’y a-t-il de commun entre…

L’hétérogénéité des BRICS nouvelle version constituera probablement l’un des défis à relever par le club des Onze. Car qu’y a-t-il de commun entre les bikinis des plages de Copacabana et les mollahs de Téhéran ? Ou entre le pouvoir despotique du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi qui a tué ce qui restait de liberté de la presse dans son pays et une Argentine démocratique où les journaux continuent de fleurir ? Si ce n’est rien, pas grand-chose.

Parmi les nouveaux entrants, les deux pays de la péninsule arabique – parfois alliés, parfois frères ennemis – sont courtisés dans toutes les instances internationales. Pas étonnant donc que les BRICS aient fait les yeux doux à l’Arabie saoudite et aux Émirats Arabes Unis. Que vont-ils pouvoir apporter aux pays fondateurs ? De l’or, du pétrole et du gaz, en gage de la stabilité financière du nouveau club, comme mentionné précédemment. Pour le reste, il ne faudra pas compter sur Riyadh et Abu Dhabi pour faire avancer les droits de l’Homme et les libertés en général. Pire, cette intégration sonne même comme un pacte tacite avec les mafias de pays comme la Russie et leurs réseaux de blanchiment d’argent.

Prenons les petits Émirats, minuscules sur la carte du monde mais très influents sur la scène régionale et même au-delà. En quelques années, Dubaï s’est forgé une image de paradis de la jet-set et du tourisme de luxe. Mais ce géant aux pieds d’argile – la crise de 2008-2009 l’avait mis à genoux – s’est aussi spécialisé dans l’hébergement des oligarques russes depuis les sanctions votées suite à l’invasion de l’Ukraine en février 2021, et dans le blanchiment d’activités illégales venues du monde entier. Une triste réalité dénoncée par la très longue enquête journalistique Dubai Uncovered et par le Center for Advanced Defense Studies (C4ADS). « Le marché immobilier de Dubaï est un refuge pour des kleptocrates internationaux, le crime organisé transnational et un large spectre d’autres acteurs illicites – des trafiquants de drogues aux oligarques russes », déplore le quotidien britannique The Independent. Dubaï attire tout ce que les régimes autocratiques enfantent comme trafics : du baron de la pègre turque Sedat Peker au chef de guerre tchétchène Ramzan Kadyrov en passant par les trafiquants de drogue d’Amérique du Sud et de l’océan Indien, l’Internationale du crime s’est donnée rendez-vous aux Émirats pour laver son argent sale. Pas sûr que ce profil trouve grâce aux yeux du président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva qui s’est engagé, lors de sa réélection, à être la figure de la lutte anticorruption.

La charte de l’ONU en cache-sexe

Les Émirats Arabes Unis ne sont pas les seuls à afficher un profil peu recommandable. L’Arabie de Mohammed ben Salmane (MBS) n’a toujours pas effacé la tache laissée par l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en 2018, l’Iran de l’ayatollah Ali Khamenei se débat avec la volonté des Iraniennes de montrer leurs cheveux tout en prenant régulièrement en otage sur son sol des touristes et des diplomates occidentaux, l’Éthiopie connaît une instabilité inquiétante et un virage autoritaire depuis la guerre au Tigré en 2020… La liste des problèmes est longue.

Dans sa déclaration finale – dite de Johannesburg II –, le président Ramaphosa a souligné que les pays des BRICS sont attendus en particulier sur le développement des économies africaines, pour « un développement durable et un multilatéralisme inclusif », et sur le « respect du droit international, y compris des buts et principes consacrés dans la Charte des Nations Unies comme pierre angulaire indispensable ». Si l’intention est louable, certains membres des BRICS – de l’Asie au Moyen-Orient – sont tout sauf des garanties pour relever ces paris.

Henri Girard
15/09/2023

Crédit photo : Domaine public

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