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Éducation : ces professeurs tentés par le Front national

Éducation : ces professeurs tentés par le Front national

par | 8 octobre 2013 | Politique

« Lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus au dessus d’eux l’autorité de rien ni de personne, alors c’est là en toute beauté et en toute jeunesse le début de la tyrannie. » (Platon, République, VIII, 562b-563e.)

Un certain « Collectif Racine » (le français est, paraît-il, la langue de Racine, mais c’est aussi celle de Céline ou de San-Antonio), composé d’enseignants qui soutiennent Marine Le Pen, me cite volontiers parmi ses centres d’intérêt. Parallèlement, le FN m’emprunte un certain nombre d’arguments dans son programme. Est-ce à dire, comme me l’a demandé jeudi dernier un journaliste de La Croix, que je suis, moi aussi, un gars de la Marine ? Et si le FN déclarait demain que la Terre tourne autour du Soleil, faudrait-il supposer que Galilée cotise au parti de Jean-Marie ?

Des couplets chevènementistes dans les incantations du FN

Les constats du FN, repris par le « Collectif Racine », sont à peu près tous corrects. Et cela chatouille ou gratouille les enseignants qui ont voté Hollande (et quelques autres), navrés de voir Peillon ne rien toucher aux programmes, ni aux méthodes, ni à la mainmise sur l’École des pédagogistes les plus fumeux, recyclés dans les ESPE après avoir sévi dans les IUFM. Navrés aussi de voir des syndicalistes les plus bornés, membres de droit de la future Commission des programmes qui se met aujourd’hui en place afin de réduire encore, si se peut, les savoirs transmis aux élèves (1). Choqués d’apprendre la présence, dans la future Commission des programmes, des spécialistes auto-proclamés les plus fourbus.

Les profs pleurent sur leurs forums. Mais ils sont bien forcés de constater que le FN énonce quelques vérités premières : oui, l’École va mal ; oui, les parents ne sont pas contents ; oui, c’est l’ignorance que l’on enseigne ; oui, la République a mal à l’École, symptôme fatal de son sentiment de perdition ; et oui, il y a des couplets quasi chevénementistes dans certaines incantations du FN, et ce n’est pas tout à fait un hasard (Florian Philippot, vice-président du FN était chevènementiste, NDLR). Pas un hasard non plus si un vrai républicain comme Nicolas Dupont-Aignan tient aujourd’hui un discours quasi identique.

Quand le FN cite Platon

Mais si ce sentiment existe, c’est que la Gauche a abandonné les enseignants en rase campagne, persuadée qu’ils voteront quand même pour elle, en cas de duel Marine / François. Ah oui ? Eh bien s’ils comptent sur un 2002 à l’envers, ils se trompent : combien d’enseignants, malgré les mauvais coups de Chatel, se sont abstenus en 2012…

Que dit le FN (2) ? Que « l’élitisme républicain, qui repose sur une exigence collective et sur l’effort individuel, est le meilleur levier pour assurer l’égalité des chances »: oui. Que « le laxisme scolaire enferme les plus défavorisés sur le plan culturel et social et permet la reproduction héréditaire des élites » – c’est évident, même si les têtes molles du SGEN et du SE-UNSA, si actives rue de Grenelle, croient toujours que les incantations sur le collège unique « toujours pas accompli » et la carte scolaire « à réactiver de manière rigide » suffiront à améliorer une situation dont ils sont pleinement responsables.

Et le Front de citer Platon : « Lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus au dessus d’eux l’autorité de rien ni de personne, alors c’est là en toute beauté et en toute jeunesse le début de la tyrannie. »

17 % d’élèves en perdition en 6e

Je n’ai pas à prouver que je ne suis pas un pilier du FN, je me suis déjà expliqué sur ce point avec une clarté dont certains pourraient s’inspirer (3). Je suis fondamentalement irrécupérable…

Alors, entendons-nous. Je ne ferai pas un faux procès au FN pour savoir si ce parti (qui désormais porterait plainte dès qu’on le qualifie d’extrême droite) pense ou non ce qu’il écrit. Je ne me fie qu’à ce qui se fait effectivement.

Et que fait le gouvernement socialiste ? Il entérine, sur de nombreux points, ce qui s’est fait sous Sarkozy, à l’Université, par exemple : Fioraso, c’est Pécresse moins l’intellect – lire ici et . Il se lance dans un projet fumeux d’aménagement des rythmes scolaires sans voir (sans vouloir voir) que ce qui manque aux enfants, aujourd’hui, ce n’est pas une initiation à la bourrée auvergnate ou au chapeau rond des Bretons, ton-ton, mais une vraie maîtrise du français, des maths, de l’histoire, des sciences – bref, une réduction de ce taux aberrant de 17 % (chiffre officiel) d’élèves ne maîtrisant rien, mais alors rien, à l’entrée en sixième. Une demi-journée de plus, oui, mais pour y distiller des savoirs, et non du divertissement démobilisateur.

Le République trahie

Retour au programme du FN. « L’école doit être un sanctuaire, mettant à l’abri des modes et des lubies l’exigence de transmission des savoirs, des connaissances et du goût de l’effort. Les méthodes et l’état d’esprit pédagogistes n’y ont plus leur place. » Que Marine Le Pen cite Jean Zay sans le nommer est tout de même signe de quelque chose – de l’abandon, de la trahison des idéaux républicains par la Droite comme par la Gauche.

Cela étant dit, parler d’UMPS, comme le fait le FN, n’apporte rien si l’on ne condamne pas explicitement le libéralisme, dont les uns et les autres se réclament. Le libéralisme s’accommode fort bien de ce que les imbéciles béats appellent la démocratie, ce qui lui permet d’évacuer la république. Et si le FN est aujourd’hui le seul à adopter un discours républicain, à qui la faute, sinon à ceux qui ont galvaudé les idéaux de 1793 et de 1905 pour faire de la place aux idéologies pédagogiques les plus délétères, au communautarisme, au relativisme des savoirs, noyés dans les « savoirs transversaux » et le « savoir-être” » cette nouvelle tarte à la crème destinée à camoufler les ratés de la transmission ?

L’extrême se nourrit de désespoir

Les enseignants font ce qu’ils peuvent pour faire leur boulot – en faisant le gros dos, comme d’habitude, devant les réformateurs de tout poil et les incitations à modifier leurs pratiques. Mais il s’agit là des enseignants en place : quid de ceux que l’on recrute, et que l’on endoctrine d’autant plus facilement que leurs compétences disciplinaires sont de plus en plus faibles ? Aujourd’hui, les moyennes du CAPES sont relevées par les jurys, comme de vulgaires notes du Bac, pour camoufler le niveau stupéfiant de certains étudiants, particulièrement dans les matières scientifiques. Et cela fait longtemps que l’on se contente de hausser les épaules quand les copies des candidats au concours d’enseignement se révèlent truffées de fautes – ils apprendront plus tard l’accord du participe, n’est-ce pas…

Que le FN surfe tranquillement sur l’actuelle gabegie de l’Éducation nationale, rien d’ahurissant. Que Jean-François Copé, qui a soutenu l’une des pires politiques éducatives jamais lancées en France, ironise sur le chaos né de la réforme des rythmes scolaires, rien d’étonnant non plus : Peillon a donné le bâton pour se faire battre.

Soit le gouvernement change radicalement de politique, soit les enseignants iront voir ailleurs qu’à gauche – ou à droite. L’extrême se nourrit de désespoir – et le ministère aujourd’hui nourrit ce désespoir. Si désormais le FN est le seul à poser les bonnes questions et à avancer des réponses crédibles, « ce n’est pas ma faute.

Jean-Paul Brighelli
Source : lepoint.fr
04/10/2013

Voir aussi

Jean-Paul Brighelli, La fabrique du crétin : la mort programmée de l’école, Édition : Jean-Claude Gawsewitch, 22 août 2005, 221 pages

Notes de l’auteur

(1) Selon des sources bien informées, le ministre de l’Éducation nationale pourrait nommer au futur Conseil supérieur des programmes (CSP) : Roger-François Gauthier (IGAENR), Denis Paget (prof de lettres, ancien co-secrétaire général du Snes), Agnès Van Zanten (sociologue de l’éducation), Cédric Villani (mathématicien, directeur de l’Institut Henri Poincaré, médaille Fields 2010). On parle aussi de la nomination de Laurence Parisot… Alain Boissinot, ancien recteur de l’académie de Versailles, présidera le Conseil. Vieilles barbes et chevaux de retour. Le seul enseignant dont le nom est cité n’a pas vu un élève depuis des lustres. Bravo à Vincent Peillon.
(2) Je ne poserai pas la question de la sincérité de Marine Le Pen : elle fait de la politique – comme tous les autres, dont on devrait aussi, de temps en temps, interroger la crédibilité, au vu de leurs réalisations dès qu’ils arrivent au pouvoir.
(3) J’y disais en particulier sur le FN « il se pare des plumes du paon en se faisant le chantre de l’école républicaine – jusqu’à ce qu’on s’aperçoive que sous le plumage dont il s’habille, la volaille est déjà plumée, le chèque-éducation en place et le privé confessionnel aux commandes. »

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