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« Contre les élections » de David Van Reybrouck

« Contre les élections » de David Van Reybrouck

par | 29 avril 2014 | Médiathèque

Pour l’historien belge David Van Reybrouck, le système représentatif est au bout du rouleau et une réforme de fond s’impose au plus vite. Les éditions Actes Sud viennent de publier son livre intitulé Contre les élections, consacré à l’analyse de la « fatigue démocratique » qui mine notre système politique et à l’alternative réellement démocratique que pourrait être l’adoption du tirage au sort des représentants.

Le syndrome de « fatigue démocratique »

Selon une enquête récente du CEVIPOF, 69% des Français estiment que la démocratie fonctionne mal ; ce pourcentage n’était que de 48% en 2009. Par ailleurs, les niveaux de confiance dans le gouvernement (25%), les partis politiques (11%) et l’Assemblée nationale (36%) sont très faibles. Un sondage IPSOS de janvier 2014 indique que 74% de nos compatriotes se sentent manipulés par les pouvoirs publics. Enfin, l’abstention monte sans arrêt comme nous avons pu le constater lors des dernières élections municipales (près de 36%) bien qu’une très grande majorité considère que la démocratie est le meilleur système politique (88%) et que l’institution du référendum d’initiative populaire serait une bonne chose (74%).

« Et le résultat est là : les symptômes dont souffre la démocratie occidentale sont aussi nombreux que vagues, mais si l’on juxtapose abstentionnisme, instabilité électorale, hémorragie des partis, impuissance administrative, paralysie politique, peur de l’échec électoral, pénurie de recrutement, besoin compulsif de se faire remarquer, fièvre électorale chronique, stress médiatique épuisant, suspicion, indifférence et autres maux tenaces, on voit se dessiner les contours d’un syndrome, le syndrome de fatigue démocratique, une affection qui n’a pas encore été explorée systématiquement, mais dont il est néanmoins indéniable que nombre de démocraties occidentales sont atteintes. »

Notre système politique n’est pas une démocratie

Contrairement à ce qu’on entend continuellement, notre système politique n’est pas une démocratie mais un système représentatif. Sieyès, qui fut l’un des principaux théoriciens de la Révolution française, écrivit en 1789 :

« La France n’est pas et ne doit pas être une démocratie (…) Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. »

Quant à Boissy d’Anglas, il déclara en 1795 :

« Nous devons être gouvernés par les meilleurs : les meilleurs sont les plus instruits et les plus intéressés au maintien des lois ; or, à bien peu d’exceptions près, vous ne trouverez de pareils hommes que parmi ceux qui, possédant une propriété, sont attachés au pays qui la contient, aux lois qui la protègent, à la tranquillité qui la conserve (…) Un pays gouverné par des propriétaires est dans l’ordre social ; celui où les non-propriétaires gouvernent est dans l’état de nature. »

Depuis la Révolution, l’idée de la représentation du peuple par une caste composée des « meilleurs d’entre nous » s’est imposée et n’a été remise en question par aucune des républiques successives. David Van Reybrouck ajoute :

« La Révolution française, pas plus que l’américaine, n’a chassé une aristocratie pour la remplacer par une démocratie ; elle a chassé une aristocratie héréditaire pour la remplacer par une aristocratie librement choisie. Une aristocratie élective, pour reprendre l’expression de Rousseau. Robespierre parlait même d’une aristocratie représentative. »

La situation est la même aux Etats-Unis où les Pères fondateurs ont écarté d’emblée la démocratie et imposé un système représentatif. Ainsi, Madison considérait qu’il y avait une différence qualitative entre les gouvernants et les gouvernés et il écrivit en février 1788 :

« Le but de toute Constitution politique est, ou devrait être, d’obtenir tout d’abord pour chefs des hommes qui possèdent la plus grande sagesse pour discerner le bien commun de la société, et la plus grande vertu pour poursuivre la réalisation de ce bien (…) La méthode élective de désignation de ces chefs est le principe caractéristique du régime républicain. »

Vers la fin du système représentatif

Le diagnostic établi par David Van Reybrouck est sans appel :

« Sans une réforme drastique, ce système n’en a plus pour longtemps. Quand on voit la montée de l’abstentionnisme, la désertion des militants et le mépris qui frappe les politiciens, quand on voit la difficile gestation des gouvernements, leur manque d’efficacité et la dureté de la “correction” infligée par l’électeur à l’issue de leur mandat, quand on voit la rapidité du succès du populisme, de la technocratie et de l’antiparlementarisme, quand on voit le nombre croissant de citoyens qui aspirent à plus de participation et la vitesse à laquelle cette aspiration peut se muer en frustration, on se dit : il est moins une. Notre temps est compté. »

Le système représentatif a abouti non pas à l’aristocratie promise en 1789, c’est-à-dire au gouvernement par les meilleurs, mais à une oligarchie partisane. Ce sont en fait les partis politiques qui choisissent nos dirigeants et qui imposent à ces dirigeants la politique qu’ils doivent mener. Or ces partis politiques ne sont en rien des organisations aristocratiques mais des agrégats de carriéristes dont le niveau moyen n’est pas très élevé et qui sont sous l’influence de lobbys de toute nature (minorités sociologiques, religieuses, culturelles ou ethniques ; groupes industriels et financiers…). La très grande majorité des citoyens a bien perçu cette réalité, d’où le malaise qui gagne progressivement notre société et qui aboutira, tôt ou tard, au remplacement de ce système représentatif dont les citoyens perçoivent de plus en plus clairement les tares.

La solution du tirage au sort

Le tirage au sort des représentants et des magistrats était considéré à juste titre par les Grecs de l’Antiquité comme la seule procédure démocratique, qu’ils opposaient à la procédure aristocratique qu’est l’élection. C’est une méthode qui est utilisée chez nous pour constituer les jurys d’assises ; cette méthode a toujours donné satisfaction et il semble qu’elle bénéficie d’une réelle popularité mais nous ne savons pas ce que penseraient les Français d’une extension du tirage au sort aux institutions politiques puisque personne ne leur a jamais posé la question. Des audacieux militent en faveur du tirage au sort des membres d’une unique assemblée législative et récemment Jean-Yves Le Gallou a suggéré de remplacer les sénateurs par des citoyens tirés au sort parmi un ensemble de volontaires (c’est aussi ce que propose David Van Reybrouck pour la Belgique). Selon Jean-Yves Le Gallou, la création d’une deuxième chambre « clérocratique » devrait être complétée par l’adoption du référendum d’initiative populaire de façon à donner au peuple des moyens de sanction et de proposition.

On pourrait aussi tirer au sort un ensemble de 500.000 citoyens volontaires, choisis pour une ou deux années, qui auraient l’obligation de voter lors des initiatives populaires et des référendums « veto » (les premières permettent de soumettre au vote populaire des projets de lois élaborées par des groupes de citoyens ; les seconds permettent d’annuler des lois votées par le parlement). Une telle institution permettrait d’échapper à l’abstentionnisme qui pourrait résulter d’une fréquence trop grande des votations ; ces votations restreintes pourraient être complétées par des votations générales étendues à l’ensemble des citoyens quand le besoin s’en ferait sentir (sujets jugés très importants). Les initiatives populaires et les référendums « veto » présentent au moins quatre intérêts : le premier est de limiter l’influence des lobbys (il est impossible de corrompre 500.000 citoyens choisis pour une durée courte), le second de créer un réel contre-pouvoir (la séparation des pouvoirs n’existe pas dans notre système, parce que le pouvoir législatif est soumis au pouvoir exécutif et parce que le pouvoir judiciaire, qui n’est pas un réel pouvoir mais une des fonctions de l’exécutif, n’est pas aussi indépendant qu’on pourrait le souhaiter), le troisième de limiter le pouvoir de ces organisations oligarchiques que sont les partis politiques et le quatrième de contraindre les parlementaires à ne pas s’écarter de l’opinion publique majoritaire (à défaut de quoi, ils pourraient être sanctionnés par un veto populaire).

David Van Reybrouck semble penser que le tirage au sort des représentants pourrait être un remède suffisant au naufrage du système représentatif ; le référendum d’initiative populaire constituerait malgré tout une garantie supplémentaire parce que les représentants tirés au sort pourraient subir l’influence des lobbys aussi facilement que des représentants élus.

 Bruno Guillard
23/04/2014

David Van Reybrouck, Contre les élections, Éditions Actes Sud, 2014, 220 pages
David Van Reybrouck est né en 1971. Il est spécialiste d’histoire culturelle, archéologue et écrivain.

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