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Attentats : comment en est-on arrivé là ?

Attentats : comment en est-on arrivé là ?

par | 16 novembre 2015 | Géopolitique, Politique

Pierre-Yves Cossé,  haut fonctionnaire et chef d’entreprises français, inspecteur général des finances et commissaire général au Plan de 1988 à 1992, délivre quelques explications sur la tragédie du 13 novembre à Paris. ♦ Erreurs américaines en Irak, puis erreurs internationales en Syrie sont notamment aux origines de la montée en puissance de l’Etat islamique. Aujourd’hui, François Hollande doit dire que notre ennemi principal est Daesh, et passer toutes les alliances utiles en conséquence.

Lors d’une catastrophe, chercher des responsabilités permet de comprendre et d’agir. Si la complexité de la catastrophe interdit de dénoncer un responsable unique, elle n’interdit pas de porter des appréciations nuancées en fonction des différents aspects.

Le phénomène majeur est l’apparition en trois mois -été 2014- dans les zones arabes d’Irak du califat islamique. L’occupant américain est le premier responsable, il a laissé remplacer une armée sunnite par une armée chiite inefficace et corrompue. Un grand nombre d’officiers de Saddam Hussein s’est mis au service du califat, notamment lors de la prise de Mossoul, apportant son professionnalisme et la transformant en force militaire apte à utiliser des armes sophistiquées. Ce même occupant a été incapable de mettre en place un nouvel état irakien qui respecte les équilibres entre les communautés et ne laisse pas la minorité sunnite sans protection sous la coupe de milices, notamment iraniennes.

Perdant toute confiance, probablement de façon définitive, en l’état irakien, une grande partie des sunnites a accepté une prise de contrôle par le califat qui leur rendait leur dignité. Dans un premier temps, les Kurdes irakiens ont une part de responsabilité. Pressés de récupérer Kirkuk, ils ont facilité l’installation du califat.

Erreurs en Syrie

Le second phénomène majeur est la poursuite d’une guerre en Syrie, à la fois civile et internationale, sans espoir de fin. Là, l’accumulation des erreurs et des lâchetés est beaucoup plus répartie. Erreur initiale de l’Occident misant sur la chute rapide de Bachar, à l’exemple de Ben Ali et de Moubarak. La France y a participé : une des dernières décisions du Président Sarkozy fut la rupture des relations diplomatiques avec Damas, fermant la possibilité d’être un jour un intermédiaire, soutien limité à nos « alliés » de plus en plus sous la coupe d’une Arabie Saoudite salafiste qui envoyait des djihadistes en Syrie.

Illusions

Après le temps de l’aveuglement, vint celui des illusions. Illusion que la guerre pourrait être cantonnée à la seule Syrie, alors que les risques de subversion et d’effondrement de pays voisins comme le Liban et la Jordanie ne cessaient de croître. Illusion que les millions de Syriens fuyant leur pays en guerre resteraient dans les pays limitrophes et ne finiraient pas par émigrer en masse en Europe. La France, ex-puissance mandataire, a été moins que d’autres dans l’illusion. Elle était prête à bombarder Bachar en accompagnement des Etats-Unis, sans disposer de l’autorité politique et des moyens militaires nécessaires. Une intervention aérienne franco-américaine aurait-elle suffi à renverser Bachar ? On peut en douter.

Une coalition faible et divisée contre l’Etat islamique

Enfin s’est constituée une coalition contre le califat, faible et divisée. Ses objectifs politiques sont confus. Personne n’est en état de redessiner les nouveaux ensembles politiques qui succéderont à l’Irak et la Syrie d’hier et seront acceptables par les états sunnites et chiites et les grandes puissances. L’Arabie cherche principalement à installer un état salafiste à Damas, la Turquie à éviter un nouvel état kurde, proche du PKK, ce qui l’a conduit au laxisme à l’égard des extrémistes musulmans et à l’ouverture de sa frontière aux jeunes djihadistes européens. Les états occidentaux redoutent un enlisement dans une intervention au sol, qui serait le début d une nouvelle « croisade » espérée par le califat. Les échecs en Afghanistan comme en Irak ont rendu prudents les Américains et leurs alliés.

La mollesse et la compromission limitent l’efficacité de la lutte. Chaque jour, des camions viennent livrer du pétrole en contrebande en Turquie, en Iran ou en Jordanie. Des banques de Mossoul peuvent transférer des fonds dans des pays étrangers.

À la vérité, la coalition est paralysée par la peur du pire ; le califat remplaçant à Damas Bachar.

Toutes les alliances possibles face à l’ennemi principal de la France, Daesh

Au lendemain du 13 novembre, la France doit dire clairement que son ennemi principal est Daesh, ce que n’a pas fait pour l’instant le président de la République. Il doit en conséquence passer toutes les alliances utiles, quitte à ne pas plaire à tous. Churchill n’a pas hésité à s’allier avec celui qu’il considérait comme le diable, Staline, en 1942. S’il est nécessaire de tolérer quelque temps Bachad, tolérons. S’il faut avoir comme partenaires la Russie de Poutine et l’Iran des mollahs, et la Turquie d’Erdogan, n’hésitons pas.

S’il nous faut prendre du champ avec une Arabie Saoudite, encore complice de l’extrémisme religieux, prenons le, quitte à mécontenter les marchands d’armes La France est le pays le plus menacé, en particulier du fait de la collusion entre les djihadistes français et les terroristes du califat. C’est à elle d’être la plus active, sans se leurrer sur sa marge de manouvre. La priorité est de bloquer l’expansionnisme du califat et le rendre inoffensif en Europe, tout en recherchant la solution politique. Obama disait il y a quelques mois que cela prendrait des années. Peut-on faire mieux ? C’est le défi qui nous est lancé.

Comprendre que l’on est en guerre

Une autre faiblesse à prendre en compte est l’incompréhension de l’état de guerre où nous nous trouvons. Certes nos gouvernants reconnaissent depuis quelques mois que la France est en guerre. L’opinion est restée rétive jusqu’à ces derniers jours. Cette réticence était légitime. La lutte asymétrique, protéiforme, polymorphe, du faible au fort, sans base territoriale clairement délimitée jusqu’en 2014, associant des nationaux devenus terroristes et des étrangers, a peu de choses à voir avec la guerre telle qu’on nous l’a enseignée dans les livres d’histoire. C’est donc toute la société et la classe politique, accaparée par des préoccupations de court-terme et la crainte d’inquiéter l’opinion qui a sa part de responsabilité.

La tragédie du 13 novembre a dessillé les yeux. La cible n’était plus limitée à des lieux circonscrits (synagogues, installations militaires, équipements publics) ou à certaines catégories de Français. La cible était la France et tous les Français sans distinction d’âge, de couleur ou de confession. L’attaque du Bataclan et le choix de quartiers où se mêlent des populations de toutes origines fait que « nous sommes tous des Parisiens » alors que nous n’avons pas tous été « des Charlie ».

Cette nouvelle forme de guerre appelle de nouvelles formes de mobilisation et d’organisation. Certes cette adaptation a commencé et il est trop tôt pour apprécier les effets des dispositions législatives récentes et des réorganisations des services.

Des dispositifs encore trop éclatés

Néanmoins, il est clair que nos dispositifs sont trop éclatés et lacunaires et que les moyens techniques et financiers ne sont pas suffisants. La première mission d’un Etat est d’assurer la sécurité des citoyens, quitte à lui demander plus d’efforts ou à sacrifier d’autres interventions publiques. Le problème n’est plus pour le pouvoir en place de gagner des élections, quelles qu’elles soient, mais de gagner la guerre.

La responsabilité de François Hollande, à cet égard, est immense. Il lui appartient de déterminer les efforts supplémentaires à réaliser, d’assurer l’unité de commandement nécessaire, de déterminer la place de tous les intervenants publics, dont l’armée, et de veiller à la sauvegarde de principes démocratiques essentiels. Renoncer à toute ambition présidentielle en 2017 renforcerait sa mission de salut public que les circonstances imposent.

Une incapacité suicidaire à traiter le problème de l’Islam en France

Enfin, l’incapacité de notre République laïque à traiter le problème de l’Islam en France a été suicidaire. Nos institutions, par ignorance et par tradition, ne se sont pas souciées de l’expansion du culte musulman, la religion étant affaire personnelle. L’Islam est devenue la seconde religion et il nous faut vivre avec, ce qui implique une connaissance précise de ce qui se pratique, s’écrit et se dit mais aussi de la surveillance et des compromis. Nous avons laissé le salafisme pourrir l’islam en France et les mosquées dans les mains d’imams ne parlant pas français financés par les Saoudiens- nos « bons alliés » qui nous achètent nos Rafale- Même en 2015, beaucoup d’imams ne sont pas formés en France et nous signons une convention avec nos amis marocains pour qu’ils s’en chargent… En revanche, sur des problèmes mineurs comme le voile, nous avons adopté des positions intransigeantes, incomprises de la plus grande partie des musulmans dans le monde.

Certes, les pouvoirs publics ne peuvent se substituer aux musulmans de France qui dans la tradition sunnite sont faiblement organisés mais il lui incombe, outre leur protection, de fixer les règles du vivre ensemble, après un dialogue ouvert et permanent avec tous ceux qui veulent débattre, sans immixtion d’autorités étrangères. Ils ont aussi à expliquer à l’opinion que les terroristes qui commettent des attentats au nom d’un Coran tronqué et réduit à une interprétation du djihad et du Paradis, ne représentent qu’une infime minorité. Cela ne sera pas aisé.

Pierre-Yves Cossé
15 Novembre 2015

Source : La Tribune

Correspondance Polémia – 17/11/2915

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