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L’identité vue par Samuel Huntington et Alain de Benoist [rediffusion]

L’identité vue par Samuel Huntington et Alain de Benoist [rediffusion]

par | 11 juillet 2016 | Société

Période de vacances d’été 2016

[colored_box bgColor=”#f7c101″ textColor=”#222222″]Période de vacances d’été 2016 – Pendant la période de vacances d’été, Polémia se met au repos du lundi 11 juillet au jeudi 1er septembre 2016. Voulant éviter à nos lecteurs tout assoupissement pendant ladite période, notre équipe a planifié un calendrier de mises en ligne d’articles déjà diffusés au cours des mois passés mais dont l’intérêt est toujours d’actualité et qui auraient pu échapper à certains d’entre eux…
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L’identité est la problématique centrale du XXIe siècle. Par-delà l’Atlantique les interrogations du géopoliticien conservateur Samuel Huntington et du philosophe Nouvelle Droite Alain de Benoist se font écho.

Explications :

1. Les approches de Samuel Huntington et d’Alain de Benoist sont différentes. Dans « Nous et les autres – Problématique de l’identité », l’essayiste Alain de Benoist propose une approche ontologique du concept et de son évolution au cours des trois derniers siècles conduisant de la prémodernité à la postmodernité.

L’approche de Samuel Huntington est plus sociologique et plus concrète, plus engagée aussi : dans « Qui sommes-nous ? Identité nationale et choc des cultures » le professeur de Harvard défend un point de vue particulier, celui d’un conservateur militant défendant le caractère anglo-protestant de l’identité américaine.

Mais par-delà ces différences, les constats se rejoignent sur un point : « La crise des identités nationales est devenue un phénomène mondial » (Samuel Huntington, p. 24) et plus les repères identitaires s’effacent, plus la problématique de l’identité s’impose (Alain de Benoist).

2. Pour Alain de Benoist, la problématique de l’identité apparaît au XVIIIe siècle avec la modernité qui affranchit les individus des circonstances de leur naissance ; ainsi la philosophie des Lumières arrache la question identitaire à toute « naturalité » au nom du libre choix des individus.

Emerge alors durant tout le XIXe siècle, tout en se poursuivant au XXe siècle, « l’identité collective la plus englobante, l’identité nationale » (Alain de Benoist, p. 34). Celle-ci toutefois est ambivalente : incarnée et concrète, elle reprend l’héritage du passé et valorise un imaginaire historique ; intellectuelle et abstraite, elle est aussi une construction idéologique. Toutefois l’opposition entre « nations civiques » et « nations ethniques » est sans doute excessive car l’une ne va jamais totalement sans l’autre : « le nationalisme contemporain a beau se fonder sur l’idéologie politique de l’Etat et de la citoyenneté, ce serait une erreur de croire que des valeurs politiques abstraites suffisent à exiger des sociétaires les sacrifices auxquels ils doivent parfois consentir » (Alain de Benoist, p. 36).

Les idéologies « républicaines » et « souverainistes » qui dominent le débat politique français trouvent ici leurs limites. D’autant plus que, le mouvement de « modernité » se poursuivant, « l’idéologie du même » continue de se déployer à l’échelle du monde. Les logiques de la globalisation et du marché roi poussent à la déterritorialisation, au délestage des attaches symboliques et à l’apparition d’identités de rechange éphémères (la marque, le club sportif). Dans le même temps la disparition des frontières ne permet plus aux différents territoires et aux peuples qui les habitent d’évoluer à leur rythme.

Ce nihilisme du marché débouche sur une crise majeure des consciences collectives source de nombreux replis identitaires ; ainsi la postmodernité voit le retour du religieux et de la « naturalité ».

3. S’inscrivant dans une perspective libérale, Samuel Huntington n’en décrit et n’en déplore pas moins la mise en cause progressive des composantes de l’identité américaine : pour Samuel Huntington, jusqu’ici dans les années 1940, celle-ci a été ethnique (des Européens du Nord), raciale (des Blancs), culturelle (des anglo-protestants), politique (l’Etat fédéral et les 50 Etats fédérés) ; puis, l’Amérique est devenue une société multiethnique à partir de la seconde guerre mondiale mettant en scène les diverses origines des soldats américains ; puis, multiraciale à partir des années 1960, les Etats-Unis cessant, sous la pression des lois civiques, d’être « une nation raciste », selon l’expression d’Arthur Schlesinger junior.

Aujourd’hui c’est même la question de la culture qui se pose sous le double effet idéologique de la « discrimination positive » qui remet en cause une des bases du « credo américain » (l’égalité de mérite) et de l’hispanisation progressive d’une partie des Etats-Unis où le catholicisme et la langue espagnole se développent au détriment de la langue anglaise et de la religion protestante.

Enfin Samuel Huntington se penche sur les effets de la globalisation faisant apparaître une dénationalisation des élites et l’émergence d’une nouvelle classe mondiale, les « cosmocrates », classe qui tend à faire sécession du reste de la nation.

4. Le diagnostic une fois posé, quels sont les éléments de permanence de l’identité collective ?

« La langue, la culture au sens large (système de valeurs, modes de vie, façons de penser), souvent (mais pas toujours) le territoire, la conscience d’appartenance et le vouloir vivre ensemble » (Alain de Benoist, p. 127) ; la langue anglaise et la culture anglo-protestante pour Samuel Huntington en tant qu’Américain et fier de l’être.

Chez ces deux auteurs on retrouve donc implicitement ou explicitement une référence à Renan pour qui « La nation est une âme, un principe spirituel ». Il convient toutefois de noter que la lecture de Renan est souvent tronquée car, avant d’arriver à son concept du « plébiscite de tous les jours », du « vouloir vivre ensemble », Renan étudie longuement tout « ce qui ne suffit pas à créer un tel principe spirituel : la race, la langue, les intérêts, la géographie, les nécessités militaires ». Ainsi, sauf à commettre un contresens, faut-il se rappeler que si ces données fondamentales ne sont sans doute pas suffisantes pour constituer une nation, elles n’en sont pas moins une condition nécessaire et un socle préalable. Sur ce point l’analyse du Club de l’Horloge reste incontournable telle qu’elle a notamment été développée dans « La réforme du code de la nationalité ».

5. Le politiquement correct qui nous gouverne ne peut manquer d’influencer les meilleurs auteurs, mais il n’est pas certain que le tabou de l’ethnie, voire de la race, puisse indéfiniment tenir. Dans un monde de plus en plus mouvant, ces fondamentaux que sont le territoire et l’héritage ne manquent pas de ressurgir : le territoire, d’abord, sous sa forme nationale voire locale ; déjà le localisme apparaît sinon une des réponses, du moins une des formes de résistance à la globalisation ; la lignée et l’héritage, ensuite, sous leur double forme ethnique et culturelle, l’une et l’autre n’étant pas séparables en tout cas s’agissant de grandes masses de population.

En fait, dans le monde postmoderne qui se dessine à l’aube du XXIe siècle, le besoin d’identité tel qu’il tend à s’exprimer est probablement l’une des menaces majeures qui visent la globalisation du monde en même temps qu’un des espoirs de ses adversaires.

Les réponses en termes idéologiques à base d’Amérique monde (cas des Etats–Unis), de République universelle (cas français) ou de grand marché euro-méditerranéen (cas de l’Union européenne) se heurtent aux réalités affectives et à la vitalité des peuples. Les élites mondialisées, elles-mêmes, peuvent être tentées, ne serait-ce que par le fonctionnement en réseaux du monde moderne, de redonner à leurs attaches ethnoculturelles du sens et de l’importance : la Chine est, dit-on, partout où il y a un Chinois ; la même logique pourrait aussi s’appliquer aux expatriés français ou américains qui, après tout, peuvent eux aussi emporter leurs valeurs et leurs références à la semelle de leurs souliers.

6. Cette double réflexion sur l’identité ne se conclut, ni dans un cas ni dans un autre, par des conclusions d’action. Les lignes qui en ressortent sont toutefois clairement différentes. Réservé sur le projet d’une Amérique cosmopolite et impériale, Samuel Huntington laisse percer ses préférences pour une Amérique nationale, recentrée sur les valeurs anglo-protestantes et la langue anglaise et se protégeant de l’immigration hispanique. Penseur européen dissident, Alain de Benoist se situe moins dans l’espace que dans le temps. Sa critique fondamentale porte sur la réification et la marchandisation du monde qui aboutit à son « désenchantement ». L’attaque du « capitalisme total » est vive et l’appel au « retour du symbolique » implicite. Mais, signe des temps ou du rapport des forces, à la fierté assumée d’être américain ne répond pas la fierté d’être français et/ou européen.

Andrea Massari
© Polémia – Première diffusion le 14/12/2006

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