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Sarkozy, Hollande : pourquoi les Français ne veulent plus d’un président « authentique »

Sarkozy, Hollande : pourquoi les Français ne veulent plus d’un président « authentique »

par | 6 octobre 2014 | Politique

Sarkozy, Hollande : pourquoi les Français ne veulent plus d’un président « authentique »

La conférence de presse de François Hollande, comme le retour de Nicolas Sarkozy sur France 2, apparaîtront, dans quelques années, lorsque le miroir du Spectacle se sera complètement brisé en dévoilant un réel qui le fonde et désormais ne le soutient plus, comme le sommet atteint par les élites françaises dans le renoncement à la politique. Comme le sommet aussi de la nullité du commentaire journalistique, ajoutant son propre néant au néant qu’il commente, espérant ainsi lui redonner un peu de réalité. Pour Vincent Coussedière, les Français attendent désormais une vraie politique plutôt que des postures d’authenticité et de sincérité.

Alors que tous les ressorts du Spectacle, si bien identifiés par Guy Debord, mais surestimés par lui dans leur pouvoir de se soumettre un peuple, sont aujourd’hui, aux yeux de ce même peuple, usés jusqu’à la corde, il n’y a plus que les « journalistes », titre encore trop noble dont on les honore, disons les « médiatiques », pour en être les croyants et les serviteurs, entretenant l’idée d’une quelconque opposition entre messieurs Hollande et Sarkozy. Ce qui crevait l’écran pourtant, pour qui voulait bien voir et entendre, sans s’en remettre aux précieux commentaires d’avant et d’après les deux prestations, c’est la profonde unité d’un monde qui s’effondre, et auxquels appartiennent pourtant nos deux hommes, s’accrochant à une promesse illusoire d’« authenticité », comme à une bouée de sauvetage.

Ce monde, c’est celui de l’individu roi, l’individu auquel on croit s’adresser, l’individu qu’on entend être soi-même, en étant le Président authentique, qui, par un effort de sincérité et de voyage au plus profond de soi, retrouvera l’authenticité de tous les individus que sont désormais les Français. Dans cette concurrence des authenticités, il n’est pas sûr que Nicolas Sarkozy soit celui qui s’en soit le mieux sorti. Au contraire, l’ancien président, désormais nouveau candidat, a eu du mal à effacer la position de force dans laquelle le plaçait désormais la déconfiture de Hollande. On aurait pu penser qu’il jouerait au contraire une autre carte que celle de l’authenticité, en comprenant que son échec de 2012 avait montré que les Français attendaient autre chose, qu’ils attendaient une politique. Ce qui a lassé les Français, ce n’est pas la personnalité de Nicolas Sarkozy, qui a bien des égards leur est plutôt sympathique. Ce qui a lassé les Français, c’est qu’on les pense suffisamment naïfs pour leur faire croire qu’une personnalité puisse, à elle seule, tenir lieu de politique.

C’est ce qu’avait compris François Hollande, en construisant sa victoire sur une soi-disant politique tout autant que sur le rejet de la constante mise en avant de la personnalité de Nicolas Sarkozy. Hollande a construit sa victoire sur une demi-habileté : celle du président normal. Les Français ont cru que le président normal serait celui qui réintégrerait la normalité de la fonction présidentielle. Ils ont cru qu’on cesserait de les accabler avec la personnalité du président et que la personne privée s’effacerait de nouveau derrière une action au service de l’État. Ils n’ont pas compris qu’en plaçant sa campagne autour de l’enjeu du « président normal », Hollande montrait qu’il était totalement dominé par le tour authentique que Sarkozy avait donné à sa présidence. Car ce que Hollande entendait par « président normal », ce n’était pas le retour à la normalité de la fonction présidentielle, c’est-à-dire à son exceptionnalité. Il entendait opposer sur le plan de l’individualité son individualité normale à l’individualité exceptionnelle de Sarkozy. De ce fait, il montrait doublement sa soumission à Sarkozy. En reconnaissant d’une part, l’exceptionnalité de celui-ci, puisqu’il lui opposait sa propre normalité d’ « individu », en acceptant d’autre part, la réduction de la fonction présidentielle à la psychologie de l’individu qui l’incarne.

Dans la logique commune qui est celle des deux présidents, consistant en une identification à la souffrance des Français, sur fond de renoncement à la transcendance d’un bien commun, qui exigerait peut-être au contraire souffrances et sacrifices de ceux-ci, François Hollande possède désormais une longueur d’avance incontestable. Car Nicolas Sarkozy, malgré les coups subis lors des affaires judiciaires, malgré les atteintes dont il a argué devant Laurent Delahousse envers son « honneur », malgré aussi sa défaite de 2012, ne peut plus prétendre rivaliser avec les stigmates reçus par François Hollande. La conférence de presse de celui-ci en était l’image impressionnante : il est celui qui a le plus souffert et qui a décidé d’en faire son atout. Car rien ne rend authentique comme la souffrance. Il est le président carbonisé, le président au bord de la dépression. Mais il est alors du coup, si l’on pense que l’attente des Français est l’attente d’être représentés dans leur « être » même, celui qui « représente » le mieux ceux-ci, celui qui, du fond de la souffrance et de la dépossession de soi, retrouve la souffrance et la dépossession des Français. Comme il l’a dit lui même dans son entretien au Nouvel Observateur, chargé de dissiper l’épisode désastreux des « sans dents » : « je suis le président de ceux qui souffrent ».

Quant aux Français, qui croyaient passer de la politique de l’authenticité à l’authenticité d’une politique, ils en sont pour leurs frais. Croyant s’être enfin débarrassés de la confusion entre privé et public, ils découvrent un Hollande dépouillé par la souffrance de sa raideur technocratique, capable d’une authenticité égalant celle de Sarkozy. Un boulevard reste donc ouvert pour celui ou celle qui aura compris que les Français se font une idée beaucoup plus haute de la fonction présidentielle. Car ce que requiert l’ exceptionnalité de la fonction ne tient pas à la psychologie – exceptionnelle ou pas – d’un individu, mais au fait que celui-ci s’oublie comme individu, pour accéder à quelque chose qui le dépasse, quelque chose comme la France, par exemple

Vincent Coussedière
Source : FIGAROVOX
30/09/2014

Vincent Coussedière est agrégé de philosophie et auteur d’un Éloge du populisme (Elya éditions).

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