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Quand la dissidence devient un risque : anatomie d’une persécution bureaucratique

Quand la dissidence devient un risque : anatomie d’une persécution bureaucratique

par | 31 décembre 2025 | Société

Quand la dissidence devient un risque : anatomie d’une persécution bureaucratique

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L’affaire aurait pu passer inaperçue, reléguée à la rubrique des incidents administratifs, si elle ne révélait pas avec une telle précision l’état de dégradation avancée des démocraties occidentales. Un professeur britannique de sciences politiques, enseignant dans un établissement secondaire, a été contraint de quitter son poste après avoir montré à ses élèves des vidéos de Donald Trump dans le cadre d’un cours consacré à la politique américaine. Ce simple fait a suffi à déclencher l’arsenal de la lutte antiterroriste, comme l’a documenté The Telegraph.

 

Il faut d’abord rappeler la banalité initiale de la situation. L’enseignant intervenait auprès d’élèves âgés de dix-sept et dix-huit ans, dans un cadre pédagogique clairement défini. Les documents diffusés étaient publics, librement accessibles, relevant de l’actualité immédiate. Aucun appel à la haine, aucune apologie de la violence, aucun prosélytisme. Et pourtant, à partir de plaintes d’élèves invoquant un « malaise émotionnel », l’affaire a changé de nature.

Ce basculement est essentiel. Nous ne sommes plus dans le champ du débat pédagogique, mais dans celui de la judiciarisation du ressenti. Comme l’avait déjà observé Marcel Gauchet, la démocratie contemporaine tend à substituer aux conflits politiques assumés une logique de victimisation morale, où l’émotion devient un argument d’autorité. Le ressenti subjectif se mue en fait objectif, puis en catégorie administrative, enfin en risque sécuritaire.

L’administration de l’établissement scolaire n’oppose aucune résistance à cette dérive. Elle agit au contraire comme un relais zélé. Courriels, convocations, rapports successifs s’enchaînent dans un langage typique de la gouvernance contemporaine. L’enseignant est accusé d’enseignement « biaisé », puis de « préjudice émotionnel », enfin de promouvoir des opinions « potentiellement radicales ». Le flou lexical est ici décisif. Comme le notait Pierre Manent, la démocratie libérale tardive ne tranche plus, elle enveloppe, elle dilue, elle disqualifie sans nommer.

L’intervention du Local Authority Designated Officer marque une étape supplémentaire. Le rapport indique que les opinions du professeur « pourraient être perçues comme radicales » et recommande un signalement au programme « Prevent ». Le droit ne s’applique plus à ce qui est dit ou fait, mais à ce qui pourrait être interprété. Nous entrons pleinement dans ce que Alain Supiot a décrit comme le règne de la gouvernance par les risques, où l’anticipation hypothétique remplace la responsabilité réelle.

Prevent, initialement conçu pour lutter contre le terrorisme islamiste, devient ainsi un instrument de neutralisation idéologique. Il ne vise plus des actes, mais des opinions. Il ne sanctionne plus des comportements, mais des écarts à la norme dominante. L’enseignant est implicitement assimilé à un danger public, non pour ce qu’il fait, mais pour ce qu’il représente.

Cette affaire illustre de manière presque scolaire ce que Carl Schmitt analysait déjà comme la moralisation extrême du politique. Lorsque le conflit n’est plus admis comme constitutif de la vie publique, il est déplacé vers le registre du Bien et du Mal. L’adversaire cesse d’être un contradicteur, il devient un risque. On ne le réfute pas, on le neutralise.

La responsabilité de la gauche militante institutionnelle est ici centrale. Depuis plusieurs décennies, elle a investi les appareils éducatifs, administratifs et juridiques pour y imposer une hégémonie culturelle. Cette domination ne s’exerce plus par la censure explicite, devenue socialement coûteuse, mais par l’activation de dispositifs prétendument neutres. Protection de l’enfance, lutte contre la radicalisation, bien-être émotionnel. Autant de notions indiscutables en apparence, mais redoutables par leur plasticité.

Jean-Claude Michéa a montré comment le progressisme contemporain, sous couvert de tolérance, développe une intolérance structurelle à toute dissidence anthropologique ou politique. Ce que l’on ne peut plus combattre sur le terrain des idées est éliminé par la morale et le droit. La bien-pensance devient un instrument de pouvoir.

Guillaume Faye parlait à ce sujet de tyrannie du Bien. Le terme, souvent caricaturé, décrit pourtant avec justesse cette forme de domination douce, sans violence visible, où les carrières sont détruites par l’accumulation de procédures, les individus brisés par l’angoisse administrative, les réputations dissoutes dans le soupçon permanent.

Ce qui rend cette affaire particulièrement préoccupante, c’est sa dimension expérimentale. Le Royaume-Uni joue depuis longtemps le rôle de laboratoire avancé en matière de contrôle idéologique. Les dispositifs qui y sont testés finissent presque toujours par être importés sur le continent. La France et l’Union européenne suivent avec un léger décalage, mais avec une remarquable constance.

Les déclarations récentes de Pavel Durov, fondateur de Telegram, viennent éclairer cette dynamique sous un autre angle. En accusant Emmanuel Macron et les institutions européennes de préparer un « goulag numérique », Durov désigne une tendance lourde, celle d’un encadrement croissant de la parole publique sous couvert de régulation des plateformes et de lutte contre la désinformation.

Le Digital Services Act, le projet Chat Control, les pressions exercées sur les réseaux sociaux s’inscrivent dans une même logique. Il ne s’agit plus seulement de sanctionner des contenus illégaux, mais de contrôler les conditions mêmes de possibilité du débat public. Comme le soulignait Raymond Aron, la liberté d’expression ne disparaît jamais d’un seul coup, elle se vide progressivement de sa substance.

L’affaire du professeur britannique et les accusations de Durov relèvent ainsi d’un même paradigme. Celui d’un pouvoir qui ne supporte plus l’imprévisible, l’hétérodoxe, le conflictuel. Un pouvoir qui, incapable de convaincre, préfère administrer le silence. Martin Heidegger rappelait que la technique tend à réduire le monde à ce qui est calculable. La bureaucratie idéologique contemporaine applique ce principe aux consciences.

Nous ne sommes pas face à des excès isolés, mais face à un système cohérent. Un système dans lequel l’enseignant, le journaliste, le citoyen deviennent des objets de gestion. Un système où la liberté d’expression n’est plus un droit fondamental, mais une tolérance conditionnelle, révocable à tout moment. Ce qui s’est produit dans une salle de classe anglaise annonce ce qui se prépare à l’échelle européenne.

La censure moderne n’a plus besoin de commissaires politiques visibles. Elle avance masquée, bardée de règlements, de chartes et de protocoles. Et c’est précisément pour cela qu’elle est dangereuse.

Balbino Katz – balbino.katz@pm.me
31/12/2025

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