Pierre Boisguilbert analyse les tensions entre Pologne, Ukraine et Russie en les éclairant par l’histoire. Évoquant Tarass Boulba de Gogol, il souligne la complexité des rapports de force en Europe orientale, loin des lectures simplistes.
Polémia
Drones et tensions actuelles
L’histoire n’est jamais manichéenne et bien plus complexe que l’explication dominante du moment. Certains médias se sont emparés de l’intrusion sur le territoire polonais de drones réputés russes pour battre plus fort que jamais leurs tambours de guerre. La Pologne a annoncé la limitation provisoire du trafic aérien à sa frontière orientale après l’intrusion d’une vingtaine de drones présumés russes. Selon Le Monde, l’année 2025 marque un nouveau palier : quatre incidents ont été répertoriés depuis le début de l’année, dont celui du 9 septembre. En février, un avion de chasse Su-24 avait survolé la baie de Dantzig durant plus d’une minute ; en août, un drone russe avait parcouru 120 km en Pologne avant d’exploser ; enfin, le 4 septembre, deux drones ont survolé la Pologne avant de repartir vers l’Ukraine.
La lecture médiatique est simple : après l’Ukraine, l’ogre russe menacerait la Pologne. L’Otan devrait donc l’arrêter au plus vite.
Un passé d’empires et de revanches
L’arrière-plan historique mérite réflexion. La Russie serait, par essence, un État prédateur dont les victimes seraient notamment l’Ukraine et la Pologne. On oublie pourtant qu’à une époque la Moscovie fut la cible d’une expansion polono-lituanienne — avec déjà les pays baltes — incluant une partie de l’Ukraine et menaçant sa survie.
La république des Deux Nations, née en 1569 avec l’Union de Lublin, dura jusqu’en 1795. Cet immense État, formé par l’union du royaume de Pologne (« la Couronne ») et du grand-duché de Lituanie, avait un monarque commun élu à vie par une Diète commune. Il englobait l’actuelle Pologne, une grande partie de l’Ukraine, la Lituanie, la Biélorussie, l’ouest de la Russie, la Lettonie et une partie de l’Estonie. Puissant pendant deux siècles, il résista aux attaques de l’ordre Teutonique, de la Russie, de l’Empire ottoman et de la Suède, tout en menant lui-même des guerres offensives. Qui se souvient de la guerre polono-russe ? Après plusieurs victoires, les Polonais entrèrent à Moscou en 1610. Pour l’historiographie russe, ces événements, connus comme « l’Intervention polonaise », relèvent du « Temps des troubles ».
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Les cosaques entre deux mondes
Quant à l’Ukraine, ses rapports avec la Russie invitent à relire Tarass Boulba, où le cosaque zaporogue, libre mais sous le joug polonais, se tourne vers la Russie pour préserver sa liberté. Boulba tuera son fils passé au camp polonais avant de connaître la défaite et la mort.
À l’origine, les cosaques zaporogues, serfs fuyant la république des Deux Nations, s’installèrent sur l’île de Khortytsia et créèrent la Sitch zaporogue, entité politique respectée dotée d’un système parlementaire. Du XVIᵉ au XVIIIᵉ siècle, ils furent une force militaire capable de défier la république des Deux Nations, le tsarat de Russie et le khanat de Crimée. Symboles d’une Ukraine libre, ils se mirent un temps au service de la Russie pour échapper au joug polonais.
Décidément, il n’est pas inutile de relire le chef-d’œuvre de Gogol, Tarass Boulba.
Pierre Boisguilbert
14/09/2025
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