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Balade prussienne

Balade prussienne

par | 3 septembre 2017 | Société

Jacques Georges, lecteur de Polémia ♦ Certains vont en vacances à Honolulu ou Malibu, mais mon genre à moi, ce serait plutôt la Prusse des Chevaliers Teutoniques, de Frédéric II, du Maréchal Hindenburg, d’Ernst von Salomon et d’Ernst Jünger. C’est depuis des lustres une composante forte de mon univers mental. La Prusse me poursuit, m’impressionne et me touche, par sa tradition, ses hommes, ses vertus néo-spartiates, et sans doute aussi par sa mort héroïque et injuste au combat. Son sort est pour moi un résumé et une prémonition de celui de l’Europe. Rayée de la carte de quatre traits de plume légers le 25 février 1947, elle vit encore en moi comme une nostalgie et une souffrance.

J’ai voulu voir. Je l’ai vue, humée aussi. Ce qui suit résume les observations, impressions et réflexions nées d’un voyage en ex-Prusse Orientale polonaise en juillet 2017, de Gdansk/Danzig à la frontière russe de Kaliningrad/Königsberg au nord et à la frontière lituanienne à l’Est. Il en ressort, en résumé, que ce joli pays, d’où la présence allemande millénaire a été éradiquée en 1945-1947, se porte plutôt mieux aujourd’hui que l’Allemagne de Madame Merkel !

Je n’ai presque rien préparé, allant un peu où le vent me pousse. Préparé, je l’étais de longue date par les livres d’histoire et mes lectures au fil de l’eau : celles des Prussiens cités ci-dessus, mais également des Français, de Pierre Benoit à Jean-Paul Kaufmann, l’ancien otage, comme moi amoureux de la Baltique, de l’histoire et de la germanité, auteur de livres qui m’ont touché sur la retraite de Courlande de 1945 ou la bataille d’Eylau de 1807, en passant par Benoist-Méchin, bien sûr, notamment sur l’enterrement d’Hindenburg dans la mausolée immense de Tannenberg (A l’épreuve du temps, tome I), sans oublier le livre qui fait la toile de fond de ce voyage, Les expulsés  de R.M. Douglas (Collection « Au fil de l’histoire » chez Flammarion, 2012), livre effroyable qui m’a marqué à vie parce qu’il en dit long de l’histoire récente, de l’âme humaine et peut-être de notre futur.

Ma motivation était double :

Mémorial de Tannenberg, commémorant la victoire allemande sur l’armée russe du 26 au 30 août 1914, effaçant le souvenir de la défaite de Grunwald en 1410, perdue par les chevaliers teutoniques. Rasé par les Soviétiques au lendemain de la Seconde guerre mondiale.

Mémorial de Tannenberg, commémorant la victoire allemande sur l’armée russe du 26 au 30 août 1914, effaçant le souvenir de la défaite de Grunwald en 1410, perdue par les chevaliers teutoniques. Rasé par les Soviétiques au lendemain de la Seconde guerre mondiale.

  • Fouler quelques sols à histoire dense, par exemple la ville de Gdansk/Danzig quasi-intégralement détruite en 1945 puis reconstruite à l’identique, sa Westerplatte où furent tirés les premiers coups de canon de la Seconde Guerre Mondiale, le fabuleux château des chevaliers teutoniques à Malbork/Marienburg, l’emplacement original du mausolée du Maréchal Hindenburg à Olsztynek/Tannenberg, ou la Wolfschanze à Gierloz/Görlitz, près de Zetrszyn/Rastenburg, lieu du grand Quartier Général de l’offensive à l’Est, où eut lieu le 20 juillet 1944 l’attentat de Von Stauffenberg.
  • Plus encore, percevoir in concreto ce que devient un pays nettoyé ethniquement, de la façon qu’on sait, de sa population germanique et peuplé de colons polonais de l’Est devenu biélorusse ou ukrainien. J’avais déjà une petite expérience en ce domaine, par exemple dans l’ex-Roumanie saxonne autour de Sibiu/Hermannstadt ou de Sighişoara/Schaesburg, ou, dans un tout autre genre, Alger, avec ses rues Didouche Murad/Michelet ou Larbi Ben M’hidi/d’Isly. Les problématiques se ressemblent : la valise ou le cercueil. Les comportements aussi, car les victimes culpabilisées ne la ramènent pas trop, voire cotisent pour entretenir. La visite des cimetières est l’une de mes occupations favorites, les jours de nostalgie, car on y apprend beaucoup.

Voilà pour le décor. Voici maintenant en résumé ce que j’ai trouvé :

  • Une ville (Gdansk/Danzig) dont le centre historique a été remarquablement reconstruit, où la population et les habitudes de vie sont traditionnelles, agréables à vivre et riches en culture populaire enracinée, bref une vieille ville plaisante et vivante, dont on oublierait volontiers qu’elle est presque neuve et peuplée d’immigrés!
  • Le gigantesque château de Malbork/Marienburg au sud-est de Gdansk, très endommagé à la sortie de la guerre, a été quasi-intégralement et magnifiquement restauré (en partie avec des dons allemands pas rancuniers) et polonisé. On en oublierait volontiers qu’il fut bâti et entretenu pendant des siècles par des moines qui parlaient allemand ! On est là à la limite du grand tourisme façon Mont-Saint-Michel. « I love Malbork » sonne un peu comique ou triste, c’est selon. Mais le voyage vaut le coup. La gueule des grands maîtres de l’Ordre en bronze du Château Moyen, fondus sous Guillaume 1er de Prusse, par exemple!
  • Un pays (la Mazurie) d’une grande beauté, vallonné, alternant forêts épaisses, lacs, myriades de coquelicots, peuplé de cigognes, où tout respire la paix et la Gemutlichkeit, modernisé et enjolivé avec l’aide omniprésente des Fonds Structurels européens, avis aux ennemis de l’Union européenne qui n’a manifestement pas que des défauts. Les chevaliers Teutoniques qui ont dominé ce pays pendant des siècles ont laissé de nombreux châteaux de briques le plus souvent bien entretenus, parfois transformés en hôtels (celui de Ryn/Rhein, absolument grandiose et fabuleux, mérite au moins le détour !). Les petites villes, notamment Olsztyn/Allenstein, le chef-lieu de la région Warmie-Mazurie, généralement fort bien reconstruites après les destructions sévères de la guerre, sont élégantes, agréables et fréquentées par des touristes nationaux, lituaniens et parfois allemands. Rien à voir avec les hordes touristiques bigarrées de l’ouest européen!
  • L’Allemagne a été effacée. Les Polonais se sont approprié ce territoire au point d’oublier qu’il a été bien mal acquis. Le pays n’est guère tourné vers le tourisme international. Les Polonais vous précisent de toute bonne foi qu’autrefois ce pays était habité par des Allemands qu’on a renvoyés …en Allemagne. J’ai parcouru quelques cimetières, histoire d’y trouver des traces d’un passé allemand évanoui. J’en ai trouvé bien peu : quelques noms germaniques, quelques inscriptions « Hier ruht.in Gott. », quelques pierres tombales anciennes rassemblées en tas dans un coin abandonné aux herbes… Les cimetières ne vivent pas longtemps, soit par vandalisme, soit plutôt en l’occurrence par abandon. Les cimetières ne prolongent la vie des morts que s’ils sont entretenus, pas longtemps. Or le Grand Changement version années 40 date de 70 ans, une éternité à l’échelle humaine. Le mausolée du maréchal Hindenburg à Olsztynek/Tannenberg a été rasé par les Soviétiques, mais le musée rural à ciel ouvert qui lui était contigu reste remarquablement tenu, et même vivant, puisque de nouvelles constructions traditionnelles y sont en cours d’installation.
  • La Wolfschanze, le célèbre Repaire du Loup, est peu et mal indiqué mais néanmoins assez fréquenté, à en juger par la taille du parking assez vaste mais plus que plein. On craint manifestement autant le pèlerinage que l’oubli, car la manne touristique est probablement vitale pour le pays. Le grand héros est Von Stauffenberg, auteur de l’attentat du 20 Juillet 1944. Le site, très vaste, se visite librement. Les groupes se succèdent : Polonais, Lituaniens tout proches, Allemands, quelques divers (dont un couple français du 44). Au milieu des grands arbres les ruines des grands bunkers (Hitler, Goering, Bormann, bunker des invités, Keitel, Jodl, etc..), détruits par la Wehrmacht en septembre 1944 à l’approche des troupes soviétiques, impressionnent par leur énormité chaotique et leur aspect sauvage au milieu d’une nature souvent d’époque. Ce site très marquant dépasse en mystère tous les décors de cinéma, tous les décors d’apocalypse, mais c’est de l’authentique. On pense ici à Albert Speer (l’un des concepteurs et constructeurs du lieu) et à sa théorie de la valeur des ruines. On est dans Shakespeare, dans Dostoïevski, dans la démesure wagnérienne. Cela marque.

Ma conclusion ? La voici : les Polonais indélicats qui ont pris la suite des Allemands expulsés se révèlent à l’usage de très bonne facture. Ils se sont appropriés les monuments et même la culture de leurs prédécesseurs disparus, tués ou spoliés. Ils ont fait un très bon travail de restauration pas seulement immobilière. Ils ont de très bonnes gueules, souvent des cheveux blonds, des comportements civilisés et courtois qu’on ne trouve plus à l’ouest depuis belle lurette. Ils aiment leur histoire, même falsifiée. Ils sont identitaires. Bref, éternelle ironie de l’histoire, éternelles hétérotélies, la Prusse polonaise est aujourd’hui plus proche de la vieille Europe que nous aimons que l’Allemagne démocratique et accueillante de Merkel !

J’en suis sorti un peu rasséréné !

Mais, surtout, n’en tirez pas la conclusion qu’un nouveau Grand Remplacement, façon Renaud Camus, puisse se terminer si benoitement ! C’était un règlement de comptes familial, entre Européens de l’Est, loin de l’ouest et de son marché tueur d’identité, loin du sud et de ses folies religieuses. Une affaire très moche et très méchante, mais qui finit presque bien. Non renouvelable !

Jacques Georges
18 Juillet 2017

Correspondance Polémia – 19/07/2017

Image : Le château de Malbork, en Poméranie région de la Pologne. UNESCO World Heritage Site. Forteresse des chevaliers teutoniques également connu sous le nom de Marienburg. Nogat.

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