L’obsession du contrôle de l’information n’a jamais constitué une dérive accidentelle du pouvoir politique dans nos démocraties post-modernes ; elle en est l’horizon naturel dès lors qu’un régime ne parvient plus à convaincre par la seule force de son discours. La récente volonté d’Emmanuel Macron d’instaurer une « labellisation officielle » des médias s’inscrit précisément dans cette logique. Présentée comme une simple mesure technique, presque sanitaire (à laquelle nous a habitués le locataire de l’Élysée depuis 2020), destinée à protéger les citoyens contre la désinformation, elle constitue en réalité l’expression la plus aboutie de la tentation libérale-autorit aire du macronisme : une idéologie politique intimement persuadée que la vérité et la rationalité résident en elle, et que toute parole lui échappant ne peut relever que du complotisme, de la manipulation ou, pire encore, de la passion populaire.
La volonté de contrôle de l’information inhérente au macronisme
Rien n’est plus révélateur du logiciel idéologique macroniste que cette volonté de distinguer des discours vrais, scientifiquement fondés, de discours présentés comme irrationnels, jouant sur les peurs et sur le manque de compétence technique du peuple. Depuis 2017, le pouvoir macroniste oppose inlassablement un peuple livré à ses affects, prompt à la colère et aux tentations populistes, à un cercle de la raison, composé des élites urbaines, cosmopolites et correctement éduquées aux grands enjeux du XXIᵉ siècle. Dans cette dualité, le pluralisme n’apparaît plus comme une norme politique, mais comme une anomalie menaçant un pouvoir en place s’étant lui-même octroyé le droit de définir le vrai. Dès lors, ce ne sont plus seulement les idées qui doivent être combattues, mais les sources mêmes de la parole publique. Celui qui contrôle la légitimité des émetteurs se dispense de répondre sur le fond.
C’est là tout le problème de cette proposition, ou devrait-on dire de cette tentative de survie politique. Si l’ensemble des ministres est venu au secours du chef de l’État pour réaffirmer qu’il n’a jamais été question d’une labellisation à l’initiative de l’exécutif, la question qui persiste se révèle au moins tout aussi inquiétante : qui incarnera la figure du sage distribuant les bons points aux médias français ? La réponse n’en est pas plus rassurante, l’Élysée ayant déjà annoncé accorder cette prestigieuse tâche à un organisme parfaitement neutre, parfaitement indépendant et parfaitement fiable : Reporters sans frontières…
Cette tentation du contrôle de l’information n’est pas une donnée nouvelle. Elle constitue un élément consubstantiel au macronisme et, plus globalement, à la pensée euro-mondialiste. Cette proposition de labellisation s’inscrit dans une tendance globale que l’on retrouve à l’échelle occidentale.
Depuis une décennie, les institutions européennes, les géants du numérique, les réseaux d’ONG transnationales et les gouvernements libéraux-progressistes convergent dans une même direction : administrer le réel en filtrant les discours autorisés au nom d’une « sécurité de l’information » érigée comme nouveau dogme d’État. Dans cette configuration, les opinions critiques de l’intégration européenne, du multiculturalisme, de la politique migratoire ou du progressisme sociétal ne sont plus présentées comme de simples divergences politiques, mais comme des pathologies de la pensée menaçant la stabilité démocratique. La labellisation française ne constitue qu’une déclinaison nationale de cette volonté globale de contrôle, volonté visant moins à comprendre les sociétés qu’à en policer les dissidences.
La rationalité scientifique comme masque de l’idéologie
Le pouvoir prétend évidemment qu’il s’agit de protéger la démocratie. Le procédé est classique : en évoquant la montée des extrêmes, des fake news ou des ingérences étrangères, il devient possible d’assimiler toute critique structurelle du régime à une contestation dangereuse de l’ordre démocratique, ou à un ralliement à des forces de déstabilisation extérieures. En d’autres termes, contester la doxa officielle produite dans les lieux de pouvoir revient à menacer la stabilité même de la Patrie. Pourtant, ce glissement rhétorique masque une réalité plus simple : si le pouvoir macroniste cherche aujourd’hui à certifier la vérité, c’est parce qu’il ne la représente plus.
L’effondrement de l’autorité médiatique traditionnelle, la défiance croissante à l’égard des institutions et la montée des contestations souverainistes ou identitaires ont fissuré la légitimité du bloc central. Incapable de restaurer cette légitimité par le débat, le pouvoir tente désormais de la reconstituer par la labellisation. Ce qui n’est plus cru doit être imposé.
Ce dispositif, que l’on présente d’une manière presque comique comme une simple aide à la qualité de l’information, instituerait en réalité une hiérarchie entre médias responsables et médias déviants. Ceux qui bénéficieront du label — c’est-à-dire ceux qui s’alignent sur les dogmes officiels du progressisme institutionnel — verront leur statut consolidé ; ceux qui s’en éloigneront seront discrètement renvoyés dans les marges et présentés comme des parias de l’information. Ce pouvoir de dire qui est un média et qui ne l’est pas revient implicitement à déterminer qui a droit à la parole et qui ne l’a pas, ouvrant la voie à une sorte de pluralisme sous tutelle, où la liberté d’expression demeure théoriquement garantie tout en étant concrètement confinée.
Il ne s’agit pas ici d’un fantasme de persécution, mais de la conséquence logique d’une idéologie qui ne supporte plus la contradiction. Le macronisme, prolongement institutionnel du mondialisme progressiste, repose sur la certitude d’incarner la seule voie rationnelle de gouvernement. Dès lors, toute remise en cause de ses fondements — qu’il s’agisse de la souveraineté nationale, de la continuité historique des nations européennes, de la critique du modèle économique ou de la défense des identités culturelles — apparaît comme une menace devant être neutralisée. Le label sera l’outil de cette neutralisation, utilisé au nom de la rationalité scientifique pour masquer le radicalisme idéologique.
Un signe de mauvaise santé démocratique
L’ironie de l’histoire est que ceux qui invoquent sans cesse la démocratie pour justifier leurs restrictions en sont devenus, à force de méfiance, les principaux adversaires. Une démocratie saine ne craint jamais le pluralisme ; elle le désire, parce qu’elle sait que la vérité émerge du débat contradictoire. Une démocratie malade, en revanche, cherche à fixer politiquement les cadres du débat en le conformant à des normes soi-disant scientifiques. Saint-Simon avait annoncé que la modernité serait marquée par « la substitution du gouvernement des hommes à l’administration des choses ». Avec la macronie finissante, la pluralité de l’information et la vitalité du débat intellectuel deviennent à leur tour des « choses » qu’il convient d’administrer, de catégoriser et de labelliser, de peur que leur liberté ne participe à un élan démocratique précipitant sa chute. La raison mondialiste-progressiste aime la démocratie, sauf lorsque celle-ci va à l’encontre de ses dogmes. On peut imaginer le désarroi moral qu’auraient exprimé les experts de plateaux télé de l’audiovisuel de service public si une telle proposition avait été formulée par Donald Trump, Viktor Orbán ou tout autre dirigeant labellisé comme « populiste ». Heureusement pour nous, il s’agit d’Emmanuel Macron…
Damien de Coene
26/12/2025


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