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Géométrie variable du devoir de mémoire

Géométrie variable du devoir de mémoire

par | 11 novembre 2018 | Politique, Société

Par Françoise Monestier, journaliste pour Présent ♦ Le devoir de mémoire est-il le même pour toutes les guerres, pour toutes les atrocités ? Un observateur honnête de la vie politique contemporaine serait certainement tenté de répondre à ce questionnement par la négative. C’est ce qu’a récemment fait Françoise Monestier dans Présent.


Les canonisations laïques et républicaines du communiste Maurice Audain par Emmanuel Macron et du communiste Guy Môquet par Nicolas Sarkozy  ont été accomplies au nom du sacro-saint devoir de mémoire dont on nous bassine les oreilles chaque fois que ce dernier met en valeur des événements qui vont dans le sens de l’histoire. Même chose d’ailleurs pour  les discours d’Edouard Philippe sur la « trahison de la France » sous Vichy ou l’éternelle évocation morbide des camps de concentration allemands que l’on retrouve régulièrement dans des livres, des séries télévisées ou des films à grand spectacle. Tout cela au nom du très sélectif  devoir de mémoire qui ne concerne que les événements tragiques de la Seconde Guerre mondiale (en excluant évidemment les massacres communistes de Katyn ou la destruction de Dresde) ou les différentes guerres de décolonisation dont ne sont évoqués que les violences terroristes transformées en actions héroïques quand on insiste sur la « gégène » pratiquée par nos paras. Dans les deux cas, les tireurs de ficelles sont toujours les mêmes : les héritiers de la pensée unique qui ont pris les commandes de l’histoire et des idées politiques depuis 1945 et imposent leurs analyses jusque dans les allées du pouvoir puisqu’ils figurent dans l’ensemble des Comités Théodule censés préparer la commémoration de tel ou tel événement. Dans le même temps, les médias de l’oligarchie qui veillent au grain censurent les vidéos des exécutions sommaires de Daech au motif que ces dernières peuvent choquer et la justice persécute ceux qui y ont fait écho.

L’amnésie au pouvoir

Excellent élève du mondialisme en vogue à Bruxelles, Emmanuel Macron a décidé que la  commémoration de la victoire française de 1918 mettant fin à plus de quatre ans d’une guerre civile européenne qui fit des dizaines de millions de morts, sans compter les mutilés et les « gueules cassées » à vie, ne devait pas être « trop militaire » selon les termes employés par les services de l’Elysée.  Histoire officiellement de ne pas faire de peine à Angela Merkel  qui risque d’ailleurs de ne pas terminer son mandat  à la suite des différents revers électoraux qu’elle vient de subir. A moins d’un an des Européennes, le Président de la République trouve malin de vouloir « peaufiner une image d’Européen œcuménique, de réconciliateur des peuples et de pourfendeur du nationalisme » (Le Bulletin d’André Noel/ N°2582). Il veut surtout, à l’image des Soviétiques qui excellaient dans l’art de pratiquer la censure en gommant, par exemple, les visages des nouveaux pestiférés sur les photos de groupe, ne pas rendre hommage au maréchaux français qui ont triomphé de l’ennemi. Il pratique, en fait, une mutilation de l’histoire et  efface ainsi la mémoire et le souvenir de Philippe Pétain, que  même de Gaulle n’avait pas oublié dans la liste des maréchaux vainqueurs. Et ce n’est pas avec cette grotesque « itinérance mémorielle » à laquelle il va se livrer pendant une semaine que Macron va se racheter aux yeux de millions de Français. Pas de défilé, pas de parade militaire, donc, contrairement à nos voisins anglais, qui, eux rendront hommage à leurs « Tommies ». Comme ils l’avaient d’ailleurs fait en 2015 en célébrant Waterloo alors que, dix ans plus tôt, Chirac et Villepin avaient cédé aux menaces d’un quarteron d’Antillais qui refusaient — repentance oblige — que la France célèbre la victoire d’Austerlitz . La même année cependant, la France participait à la commémoration de Trafalgar. Sans commentaires.

Commémoration de l’armistice de 1918 : cynisme et récupération !

Non au repentir collectif

Macron n’est ni plus ni moins  que le disciple  (avoué ou inconscient ?) de Nicolas Offenstadt,  ce représentant emblématique des historiens  de gauche pour qui « toute commémoration est arbitraire ».  Membre du Conseil scientifique  des commémorations de la Première Guerre mondiale et du comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire, ce proche du très gauchiste Patrick Boucheron déclarait, voici quelques années, aux journalistes de Médiapart : « L’un des risques pour le Centenaire est de mythifier l’unité nationale en pensant que tout le monde était convaincu de la justesse de sa cause. » Sous la présidence Sarkozy, Offenstadt avait fait parler de lui en s’opposant aux cérémonies visant à faire de Lazare Ponticelli, le dernier poilu alors en vie, un héros de la nation alors que, « en même temps », il pondait un rapport sur la réintégration des fusillés des mutineries  de 1917. Il fait partie de ce lot d’historiens qui ont fait passer les poilus de 14 du statut de héros à celui de victime et refuse de faire de 14-18 l’élément central d’un grand roman national. Bref, il est l’homme dont semble s’être inspiré Macron pour nous vendre ce centenaire au rabais.

La mémoire du musée de l’Armée

La dislocation des Empires centraux et la chute de l’Empire ottoman qui avaient été précédés par le renversement de Nicolas II et la prise du pouvoir par les bolcheviks et l’armée rouge ont donné lieu à des affrontements et à des guerres civiles  dont on mesure les effets funestes encore aujourd’hui. Dans une exposition exceptionnelle « A l’Est, la guerre sans fin : 1918-1923 », le musée de l’Armée présente plus de 250 originaux de traités, cartes, films d’archives et autres uniformes de soldats grecs, roumains  ou finlandais. On trouve même  le clairon qui sonna l’armistice, la tenue d’un soldat cosaque de 1917 ou le képi du maréchal Franchet d’Esperey, grand artisan de la victoire de la Marne en 1914 et  général en chef des armées  alliées d’Orient. Une mention spéciale pour le fanion du bataillon assyro-chaldéen constitué en 1920  et qui, rattaché à la Légion syrienne, s’engagea dans les combats en Cilicie contre les Turcs. L’original du Traité de  Lausanne  du 24 juillet 1923, qui annule le traité de Sèvres  et ses sanctions contre l’Empire ottoman, rappelle les transferts de populations entre la Turquie et la Grèce. Les curieux pourront voir avec intérêt le Traité de Moscou  du 16 mars 1921 entre la Russie de Lénine et la Turquie kémaliste… alors que la République turque ne sera proclamée que le 29 octobre 1923 !Ce texte définit encore aujourd’hui les frontières de la Turquie et de la Russie. La Croix de la Liberté  décernée au Maréchal Pétain  par le gouvernement estonien en 1919 a miraculeusement échappé à la censure. Les néfastes accords Sykes-Picot, dont on paie encore les conséquences aujourd’hui, sont présentés dans l’exposition .Tout comme d’ailleurs  une tenue arabe de Lawrence d’Arabie qui ne parvint pas à faire triompher la cause d’un Etat arabe indépendant.

Quantité de documents, de photos et d’archives audiovisuelles permettent de voir les dégâts commis aussi bien par l’Armée rouge en Pologne ou en Ukraine qu’en Hongrie par  les disciples du fanatique Bela-Kun. A signaler quantité d’affiches anticommunistes qui raviront les collectionneurs. En voyant à l’entrée de l’exposition le film  des 160.000 soldats  français et alliés qui, lors du défilé de la victoire, remontèrent, le 14 juillet 1919, l’Avenue de la Grande Armée jusqu’à l’Arc de Triomphe, conduits par les maréchaux Joffre et  Foch tandis que Pétain précédait les Poilus, on déplorera d’autant plus la triste pantalonnade de Macron.

Françoise Monestier
11/11/2018

Source : Correspondance Polémia

Crédit photo : Jean-Pol Grandmont [CC BY-SA 3.0], via Wikimedia Commons

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