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La crise des Gilets Jaunes, trois mois après [Analyse]

La crise des Gilets Jaunes, trois mois après [Analyse]

par | 4 mars 2019 | Économie, Politique, Société

La crise des Gilets Jaunes, trois mois après [Analyse]

Par Michel Leblay, patron d’émission sur Radio Courtoisie ♦ Depuis le 17 novembre 2018, les samedis se succèdent avec une même actualité, quasi exclusive : les manifestations des Gilets jaunes. Certes, les rassemblements qui affectent une grande partie du territoire touchant des villes moyennes et petites paraissent moins importants ces dernières semaines qu’ils ne le furent au début. Néanmoins, les chiffres annoncés par le ministre de l’Intérieur sont, pour le moins, sujets à caution ne serait-ce que par la dispersion des foules sur l’étendue du territoire.


Edouard Husson dans un article publié le 26 février 2019 sur le site Atlantico (Plus inquiétante que la vague des populistes, la vague des orphelins de la politique ?) observait qu’un compte Nombre Jaune, sur Facebook fournissait des chiffres de manifestants pour la totalité du territoire assortis de preuves (dont des photos et des vidéos) pour assurer leur véracité. Ainsi pour l’acte XV (le 23 février) l’évaluation était de 124 000 manifestants contre 46 600 pour le ministère de l’Intérieur. Pour l’acte XVI, le 2 mars, le ministère de l’Intérieur recensait 39 300 manifestants et Nombre jaune, 92 000 à 18h.

Les caractères du mouvement

Assurément, aux environs de 100 000 manifestants ne constitue pas, à l’échelle du pays, une mobilisation massive. Mais ce qui est essentiel est le caractère répétitif de ces démonstrations, fort longues dans le temps au regard des précédents mouvements sociaux observés au XXe siècle, qu’il s’agisse des grèves de 1936, celles insurrectionnelles de 1947-1948 et celles de mai 1968. L’autre caractère essentiel du Mouvement des Gilets jaunes en comparaison de ces conflits est sa nature. Il n’a pas pour cadre l’entreprise et il n’oppose pas une revendication ouvrière à un patronat. C’est le pouvoir politique qui est directement mis en cause. Comme le soulignent certains à juste raison, il s’apparenterait plus à une jacquerie avec les marques de notre époque, c’est-à-dire qu’il rassemble un ensemble de catégories sociales diverses : ouvriers, employés, artisans, petits patrons…. Il se situe hors des organisations syndicales, fort méfiantes à son égard, détaché d’éventuelles convergences avec les formations politiques même si certaines, particulièrement La France Insoumise, tentent de l’accaparer, sans profit électoral apparemment. Il est aussi sans assise au sein du monde intellectuel. Celui-ci au contraire, pour la partie dominante qui impose ses vues, nourrit à l’égard du mouvement un sentiment de rejet à l’instar de beaucoup de commentateurs du monde médiatique.

Si la revendication d’ensemble touche aux conditions de vie, la diversité de ces catégories partie prenante explique que dans leur déclinaison, ces revendications soient diverses voire contradictoires. Cet aspect montre aussi pourquoi toute organisation représentative est malaisée à mettre en place sauf qu’apparaisse un chef charismatique, susceptible de fédérer un ensemble disparate. C’est notamment à cet endroit qu’il est possible de constater les limites des commentateurs médiatiques qui épiloguent à longueur d’antenne sur l’incapacité du mouvement à se structurer. Compte-tenu de sa nature, il ne peut pas se structurer par le bas. En revanche, c’est à ce niveau que des réseaux numériques ou réseaux sociaux occupent une place déterminante. Il faut observer à cet égard que l’histoire, comme toujours, est faite de paradoxes. Les réseaux numériques sont l’une des technologies qui caractérisent la mondialisation présente. Ils servent aussi à ceux qui par la nature de leurs revendications en contestent les effets.

En s’attaquant aux médias, les Gilets Jaunes ont posé un acte authentiquement révolutionnaire

Nul ne peut réellement prévoir comment le mouvement évoluera et la manière dont il s’achèvera. Néanmoins, il concentre l’attention du champ médiatique et, pour y faire face, il capte toute l’énergie du pouvoir politique.

Au-delà des causes circonstancielles à l’origine du mouvement qui tiennent à l’attitude du Président de la République,à ses propos souvent inopportuns et à un gouvernement qui s’est arc bouté de manière incompréhensible sur une taxe pour complaire à une fraction supposée de son électorat amer après la démission d’un ministre durant l’été, cette révolte sociale à des causes profondes.

Il existe ainsi, au moins, des facteurs économiques et d’autres sociologiques.

Dix courtes observations sur le mouvement des Gilets Jaunes

Les facteurs économiques explicatifs du mouvement

En ce domaine, plusieurs éléments se sont cumulés au fil des ans, agissant les uns sur les autres.

  • Tout d’abord, la rupture du modèle économique des Trente glorieuses intervenue au milieu des années soixante-dix

S’il a pris l’apparence de la crise pétrolière de 1973 à laquelle s’est ajoutée celle de 1979, un examen plus approfondi des données économiques, non seulement pour la France mais pour les autres grands pays occidentaux montre une baisse du taux de croissance du produit intérieur avec des variations selon ces pays mais surtout de l’un des principaux moteurs de celui-ci : le taux de croissance de la productivité. Ainsi, pour la France, avec là aussi des variations selon les années, ce taux de croissance de la productivité est passé de 5% en 1971, 6,7% en 1972, 5,8% en 1973, 5,1% en 1974, 2,4% en 1990, 1,3% en 2010, 0,8% en 2015, 0% en 2016, 1,3% en 2017 (source OCDE). Pour mémoire, de 1949 à 1973, le taux de croissance annuel moyen du produit intérieur a été de 5,4% pour une croissance annuelle de la productivité du travail de 5,6%.

  • Des transformations dans les structures de production et de consommation

Les économies développées sont caractérisées, entre autres, par une demande croissante de services, les uns à forte valeur ajoutée, les autres, plus nombreux, nécessitant des compétences beaucoup plus modestes et globalement faiblement rémunérées. Ces économies où domine le secteur tertiaire ont vu l’emploi dans l’agriculture et dans l’industrie manufacturière diminué plus que proportionnellement à leur part dans le produit intérieur du fait de la mécanisation, déjà en cours depuis longtemps, et surtout de l’introduction des robots dans les processus de production industrielle.

  • La concurrence des pays nouvellement industrialisés à bas coûts de production

Nous sommes là au cœur du phénomène de la mondialisation. Certes, depuis le début de la révolution industrielle, une montée de l’internationalisation des échanges a déjà été observée notamment à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle dans les années qui précédèrent la première guerre mondiale. Cette concurrence internationale s’exerçait entre pays au niveau de développement relativement comparable.

A la fin des années soixante et au long des années soixante-dix, ce fut d’abord l’importation de produits japonais, notamment des automobiles, des appareils électroniques…. Assurément, le Japon avait basculé dans l’ère industrielle à la fin du XIXe siècle sous l’ère Meiji mais il concurrençait là des produits de consommation occidentaux. Puis vinrent les quatre dragons (Corée du sud, Hong-Kong, Singapour, Taiwan) et, surtout, à la fin du siècle, la Chine et son immense potentiel qui bouleversait la donne.

Déjà, au sein d’économies où la part du secteur tertiaire ne cessait d’augmenter, il résulta de cette nouvelle concurrence internationale, des transferts de production vers des pays à bas coûts et une rétraction du secteur industriel, l’Allemagne mise à part, principalement.

Comprendre les racines du renouveau et de la puissance de l’Allemagne

  • Le changement de paradigme économique et la libéralisation des marchés de capitaux

L’arrivée à la tête du gouvernement britannique, en 1979, de Margaret Thatcher avec une nouvelle majorité conservatrice devait constituer un tournant dans la vision économique dominante. Il faut souligner que l’économie du Royaume-Uni était en position fort difficile à l’époque. Le pays qui avait accompli pendant la seconde guerre mondiale un effort colossal suivi par un politique inspiré par le gouvernement travailliste de l’après-guerre avait moins profité que ses partenaires de la croissance des Trente glorieuses.

La victoire de Margaret Thatcher fut suivie en novembre 1980 de l’élection de Ronald Reagan comme président des Etats-Unis. S’ouvrait alors, une ère néo-libérale censée apporter un nouveau souffle à des économies considérées comme étouffées par l’Etat-providence.

Ces économies étant marquées par une forte inflation, l’importation de produits industriels à des prix fort concurrentiels constituait un moyen d’abaisser celle-ci.

Un autre élément a eu un caractère essentiel : la libération des marchés de capitaux. Permise par les progrès considérables de l’électronique qui autorisaient ainsi la réalisation de transferts financiers en temps réel à travers la planète et s’appuyant sur le développement des dettes qui augmentait considérablement la masse des capitaux en circulation, associé à des innovations financières constantes, cette libération devait transformer les équilibres existants. La recherche permanente des rentabilités les plus élevées et le recours privilégié aux marchés de capitaux pour les financements bouleversèrent les approches au regard des conceptions économiques fondant les Trente glorieuses et leur mode de développement industriel.

  • La crise financière de 2007-2008

La libéralisation des marchés de capitaux et leur internationalisation n’ont pas été sans conséquences. Il en est résulté une succession de crises financières dont la première fut celle de la dette mexicaine en 1982. Puis ce fut le krach du 19 octobre 1987, la crise du bath thaïlandais de 1997-1999, la « bulle-internet » de mars 2000 et, finalement, la plus grave crise financière depuis celle de 1929, en 2007-2008. Parmi les causes, figurent l’afflux de capitaux sur les marchés, dû pour une part à des politiques monétaires expansives pour réduire les effets des crises précédentes et la multiplication de produits financiers représentant des actifs virtuels, particulièrement risqués.

  • Pour les pays de l’Union européenne, l’instauration de la monnaie unique

Introduite le 1er janvier 1999, la monnaie unique rassemble aujourd’hui dix-neuf pays au sein de la zone euro. Annoncé comme le fondement d’une nouvelle croissance, réduisant le chômage et augmentant les revenus, l’euro après vingt ans d’existence présente u bilan pour le moins fort décevant pour les pays d’Europe du sud. Si l’Allemagne a largement profité de l’euro au détriment de ses partenaires avec les réformes Schröder du début des années deux-mille et la constitution d’une mittel europa économique avec les pays d’Europe centrale, il n’en est pas de même pour la France, l’Italie, l’Espagne ou la Grèce. Pour la France, la différence de compétitivité avec l’Allemagne s’élèverait au moins à 25% ce qui dans le cadre de monnaies nationales aurait conduit à une dévaluation de même ordre.

Les facteurs sociologiques

Parallèlement aux mutations économiques, le dernier demi-siècle est caractérisé par des bouleversements profonds dans la vie sociale et dans les mœurs. Les cadres traditionnels au sein desquels l’individu évoluait au cours de son existence qu’il s’agisse de la famille, des relations de proximité ou du monde de travail se sont érodés au sens où ils permettaient de s’inscrire dans un destin collectif. L’individualisme est devenu la marque dominante. La communauté villageoise a depuis longtemps disparu ou presque. L’évolution de l’offre économique, répondant à une demande et la mutation des processus industriels ont entraîné la disparition des grandes communautés ouvrières. La famille qui constituait l’environnement élémentaire de l’individu et qui l’accompagnait sa vie durant a subi de plein fouet l’évolution des mœurs et elle a été systématiquement sapée comme l’a été la charpente culturelle sur laquelle l’individu s’appuyait.

Le retour du peuple, communauté de lutte

A cet égard, il faut observer l’importance du rôle joué par une certaine philosophie dont Michel Foucault est l’une des incarnations. Ecole française, elle attira une partie de l’intelligentsia américaine dans les années soixante-dix pour devenir la French Theory ou Théorie française. Elle est emblématique d’une nouvelle conception des rapports sociaux. Après l’échec du marxisme et de sa conception d’une lutte des classes entre les masses ouvrières et une bourgeoisie possédante, Michel Foucault, dans son approche philosophique, abandonna cette vision univoque pour concevoir la société comme traversée par des rapports de domination touchant aux différents domaines de l’existence. Il en est résulté le dogme du droit des minorités tout à fait compatible avec une vision libérale de l’économie. Parmi ces minorités, il faut compter, entre autres, les femmes (en fait quantitativement majoritaire mais censées être opprimées par les hommes), les homosexuels (et les autres formes de sexualité minoritaires) et les immigrés. Non seulement ces deniers devraient être accueillis mais ils auraient un droit à maintenir leurs propres différences culturelles ce qui débouche sur la société dite multiculturelle.

L’évolution du politique

Ces mutations économiques et ces bouleversements sociologiques ont abouti à des changements profonds dans l’offre politique. La gauche, incapable d’apporter des solutions à un contexte socio-économique dégradé, a abandonné le champ du social après s’être ralliée au nouveau paradigme économique qui s’était ébauché à la fin des années soixante-dix. La présidence de François Mitterrand est à cet égard exemplaire. Élu sur un programme néomarxiste, ses gouvernements successifs et plus largement son entourage ont épousé, à partir de 1983, l’évolution en cours dans le monde anglo-saxon en y apportant même leur pierre (voir la thèse de Rawi Abdelal : Le consensus de Paris : la France et les règles de la finance mondial).

Du social, la gauche est passée au sociétal avec une nouvelle stratégie parfaitement exprimée par le cercle de réflexion Terra Nova. La droite de gouvernement, mue par des considérations électorales à court terme, n’a pas su se définir par une pensée propre face à cette nouvelle gauche. D’autant que nombre de dirigeants de la droite ont subi l’emprise du monde intellectuel et médiatique dominant.

Quelle fin à la crise présente ?

En premier lieu, il convient de constater la grande fragmentation de l’offre politique, jamais atteinte depuis le début de la Ve République. La compétition pour la première place lors des prochaines élections européennes, dont se délectent quotidiennement les médias à travers l’analyse de sondages d’opinion, apparaît dérisoire au vu des pourcentages annoncés. Face au mouvement social auquel le pays est confronté, le parti du Président de la République aura-t-il acquis une nouvelle légitimité démocratique s’il ne réunit, même premier, que 22% ou 23% des suffrages exprimés.

Les participations multiples, par le Président, aux débats publics, intégralement retransmis par les chaînes d’information en continu, peuvent impressionner par la forme incontestablement brillante des interventions. Mais l’agilité du propos ne saurait constituer une solution. D’une part, parce qu’il ne faut pas confondre l’artiste et l’homme politique, pour ce dernier le spectacle n’est pas une fin en soi ; d’autre part, parce qu’il s’avère que le discours tenu constitue toujours une réponse à une question particulière et qu’il n’y a aucune réflexion à la hauteur de l’ébranlement que traverse notre société.

Nul ne peut prévoir comment évoluera le mouvement des Gilets jaunes dans les semaines qui viennent. Le Grand débat n’apportera aucune conclusion satisfaisante car le gouvernement n’en a pas. Épuisé politiquement par l’épreuve, il continuera probablement son chemin profitant de l’absence d’une réelle opposition.

Pour autant, la fracture sociale exprimée par le mouvement si bien anticipée par Christophe Guilluy et que confirme sous d’autres aspects Jérôme Fourquet dans son nouveau livre L’archipel français (Nous assistons à un basculement démographique de très grande ampleur) demeurera.

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La réalité économique et sa complexité rendent difficile, il faut le reconnaître, l’instauration de solutions pérennes susceptibles de permettre un emploi stable et rémunéré, au moins décemment. Cependant, il est possible d’agir au moins dans deux voies : les conditions de fonctionnement de l’euro et les relations commerciales avec les pays à bas coûts de production.

Pourtant, comme l’observait Christophe Guilluy dans un article publié le 26 janvier sur le site Atlantico intitulé « Les Gilets jaunes ont gagné la bataille, les élites ne pourront plus faire comme si cette France n’existait pas«  : Les politiques pensent qu’en agglomérant des minorités ils font disparaître une majorité. Or, les minorités restent des minorités, on peut essayer de les agglomérer, mais cela ne fait pas un tout. Il est très intéressant de suivre l’évolution de la popularité de Donald Trump et d’Emmanuel Macron à ce titre.

Michel Leblay
04/03/2018

Source : Correspondance Polémia / Rendez-vous politique de la réinformation du 4 mars 2019

 

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