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« Cosmos » de Michel Onfray

« Cosmos » de Michel Onfray

Eric Delcroix, juriste, écrivain, essayiste.

Michel Onfray, un itinéraire inachevé vers le matérialisme.
Le non-dit de l’ontologie du Mal.

Déjà, il était regrettable que le Traité d’athéologie (2005) se termine dans un pathos antifasciste de convenance sans rapport avec le thème du livre. Le premier tome de Cosmos, pour une ontologie matérialiste est tout aussi décevant. Nous sommes en présence du même idéalisme moralisateur infectant là encore le discours, bien hors de propos.


Car si Michel Onfray y parle explicitement d’ontologie, pour ceci ou pour cela, il s’abandonne implicitement à une ontologie du mal. Peut-on se dire athée si l’on croit au Diable ? La question était déjà posée par Bougakov, dans Le Maître et Marguerite. En effet, de façon obsessionnelle Cosmos, sans rime ni mesure, revient sans cesse sur le Mal personnifié par les fascistes et les hitlériens – sans que l’on sache trop pourquoi, de façon incohérente, Hitler apparaît ici, Himmler là ou Mengele au coin d’un concept, avec inévitablement Treblinka en perspective picturale métaphorique. Ainsi on voit restaurée la morale chez celui qui intitule, ce nonobstant, sa conclusion « La sagesse, une éthique sans morale »… Il ne suffit pas de justifier la culture du vol chez les Tziganes pour sortir de l’éthique avec morale (page 95). Vous et moi, en écrivant cela, nous serions bons pour la correctionnelle !

Je rejoins Onfray dans l’admiration de Lucrèce, mais l’auteur de Cosmos a encore bien du chemin à faire pour se laisser aller au libertinage intellectuel, si décapant…

Cosmos défend les animaux, oui mais…

 Mais cette défense des animaux se faisant à l’exclusion du Mal, elle oublie que ce sont les nationaux-socialistes allemands, suppôts du Mal, qui votèrent la première loi complète de protection des animaux, la Tierschutzgesetz (1933), événement très important dans l’histoire de l’évolution du regard sur l’animal et relevé comme tel par Luc Ferry dans Le Nouvel Ordre écologique (1992). Pour Ferry, « c’est à la volonté personnelle d’Hitler que nous devons aujourd’hui encore les deux législations les plus élaborées que l’humanité ait connue en matière de protection de la nature et des animaux ».

Ce constat échappe à Onfray, soi-disant matérialiste trop vite égaré dans des considérations dictées par un idéalisme moralisateur inavoué. Il ne voit pas qu’il le dispute aux chrétiens honnis ! Au passage, il débite le christianisme de la tauromachie, dont les racines plongent bien au-delà, dans une antiquité antérieure. Aussi dénie-t-il, apparemment par parti pris, toute sincérité à l’interdiction papale de Pie V (1567) qui voyait dans la corrida bel et bien une résurgence des jeux du cirque.

Plutôt que de regarder les choses pour ce qu’elles sont, Onfray préfère, dans sa ligne bien-pensante, citer un nommé Patterson, qui a assimilé « les rapports entretenus entre les hommes et les animaux à ceux des nazis avec les juifs ». L’obsession est si grave que Cosmos butte là sur une question éthique : par dérogation, « le chien du gardien de camp de concentration … à Auschwitz » ne serait-il pas une sale bête ?

Curieusement, dans sa défense des animaux contre la souffrance, Cosmos ne dit pas un mot contre l’abattage rituel, cachère ou hallal. L’insolence, même libérée de Saint-Germain-des-Près, a ses limites ; peut-être cela permet-il d’être édité chez Flammarion.

 Cosmos et l’art

Michel Onfray est fasciné par l’art conceptuel, c’est son affaire, certes, mais de là à divaguer, il y aurait peut-être aussi des nuances à apporter au discours de Cosmos, pour une ontologie matérialiste.

Déjà un mauvais départ sur l’artiste en concept : « Le sublime surgit dans la résolution d’une tension entre l’individu et le cosmos » (toute la cinquième partie du livre est intitulée « Le sublime »). Ça doit être quelque part encore de l’ontologie, mais pour le libertin de tradition, ce genre de considération n’est que du néant à la sauce scolastique !

Pour légitimer son attrait pour l’art contemporain le plus convenu, celui inauguré par Marcel Duchamp (avec son urinoir devenu œuvre d’art de par son exposition par le soi-disant artiste) au début du XXe siècle, notre athée sublime ose tout : « Nietzsche annonce la mort de Dieu, donc la mort du beau – comme idole majuscule ».

Mais, inévitablement, l’auteur revient à son obsession : les suppôts du Mal s’entichaient de Caspar David Friedrich (1774-1840) : « Les nazis, obsédés par la virilité qui leur faisait défaut [?], associèrent sa peinture au romantisme viril concentré sur le local, parfait antidote idéologique au romantisme féminin soucieux d’universel ».

La pensée de Michel Onfray ne semble pas s’inscrire hors des conventions héritées du monothéisme. Sagesse ? En tout cas pas sans une morale dans laquelle Onfray est embourbé.

Eric Delcroix
15/11/2015

Michel Onfray, Cosmos, Flammarion, collection Docs, Témoignage, mars 2015, 528 pages.

Correspondance Polémia – 23/11/2015

Image : Michel Onfray et son ouvrage.

Éric Delcroix

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