Dans un livre important, Brésil – Un mensonge global (En quête d’un éditeur ! 223 pages), l’essayiste et psychothérapeute Charles Granfeu, qui vit sur le continent sud-américain depuis vingt ans, propose une analyse fouillée de la « dictature du judiciaire » qui règne au Brésil.
Depuis 2018, une judiciarisation systématique de la vie politique brésilienne a été mise en place, au nom de la démocratie, afin d’« éradiquer la droite en la criminalisant ». Les médias de grand chemin n’ont évidemment pas rendu compte de cette « dictature politiquement correcte du judiciaire » dont la compréhension est d’autant plus nécessaire qu’elle pourrait bientôt advenir en France…
Un continent plutôt méconnu
Par-delà les stéréotypes courants véhiculés sur l’Amérique latine, dont celui d’une « terre promise du gauchisme transcendantal » n’est pas le moindre, l’auteur observe que, depuis une dizaine d’années, « les peuples latino-américains ne semblent plus si enthousiastes vis-à-vis du “socialo-coolisme” et de la révolution festive du “Cuba libre” ».
« Les populations sud-américaines, comme dans beaucoup d’autres pays du monde, ressentent la nécessité de réintroduire une pensée et des valeurs conservatrices dans le jeu politique », au moment où « les universités sont littéralement noyées sous le tsunami wokiste ». C’est manifestement là qu’il faut chercher l’explication du grand silence des médias de grand chemin précédemment évoqué.
Un autre élément d’importance dans l’évolution de ce continent est la pénétration économique de la Chine qui s’accompagne d’un affaiblissement de la présence des États-Unis.
Au Brésil, la population subit une perte d’identité et une dissolution des valeurs du fait de la globalisation « progressiste », tandis que prospèrent la corruption d’État, les mafias de la drogue et l’insécurité quotidienne (en 2016, 61 600 morts par homicide pour 203 millions d’habitants !).
L’offensive des juges brésiliens contre l’exécutif
« Depuis 2019, date du début du gouvernement Bolsonaro, a commencé au Brésil au nom de la défense de la démocratie, la mise en place progressive, mais implacable, d’une véritable dictature », dans le plus grand silence des grands médias internationaux.
L’acteur majeur de ce régime judiciaire est le Suprême Tribunal fédéral (STF), qui correspond à ce que serait une fusion du Conseil constitutionnel et de la Haute Cour de justice en France. Les onze juges qui le composent, nommés à vie par le Président de la République, sont réputés amateurs de bonne chère et de vins fins et « connus pour vivre dans un luxe absolu ».
Au Brésil, le vote est intégralement réalisé par le biais d’urnes électroniques, ce qui conduit de nombreux Brésiliens à suspecter « un système de fraude systémique ». Sous des prétextes fallacieux, le STF a toujours rejeté un projet de loi qui associerait au vote électronique un vote imprimé qui permettrait à l’électeur d’en vérifier la validité.
Bolsonaro n’est à l’origine qu’un député isolé qui ne se reconnaît dans aucun parti. Catégorisé à l’extrême droite et fervent anti-communiste, il défend les valeurs chrétiennes et la libre entreprise. Il commence la campagne présidentielle sans argent, en parcourant tout le pays, tandis qu’un de ses fils en rend compte dans les réseaux sociaux. « Bolsonaro, on ne sait comment, s’est transformé en un phénomène médiatique soudain, surprenant et presque incompréhensible, personne ne l’attendait. »
En septembre 2018, il échappe de peu à la mort après une tentative d’assassinat au couteau. Après son arrestation, son agresseur, « un homme simple » qui a été membre d’un parti de gauche, reçoit l’assistance de trois avocats d’un cabinet prestigieux avant d’être finalement interné en psychiatrie.
Malgré de graves séquelles, Bolsonaro est largement élu à la présidence le mois suivant, « à la surprise de tout le “système” ». Quelques semaines plus tard, le STF ouvre une enquête dite des « Fake news » (une infraction qui n’existe pas) en vue de combattre la désinformation dont il serait l’objet, cumulant ainsi, de façon anticonstitutionnelle, les rôles de victime, procureur, enquêteur et juge !
« Cette investigation est le début d’une mécanique persécutoire implacable qui permettra jour après jour d’étendre les pouvoirs du STF, de détruire l’équilibre institutionnel entre les pouvoirs, en empiétant scandaleusement sur les attributions du législatif et de l’exécutif. »
« Le procédé s’étant avéré efficace, le STF va ouvrir d’autres investigations, toutes aussi illégales et inconstitutionnelles les unes que les autres » à l’encontre des partisans de Bolsonaro. « L’appareil médiatique, les partis politiques de gauche et l’institution judiciaire s’articulent dans un trio machiné. »
En dépit de son immunité parlementaire, un député « bolsonariste » est ainsi accusé de terrorisme et condamné à neuf ans de prison ferme pour une insulte verbale à l’encontre d’un ministre du STF.
Accusé de tous les maux durant la pandémie de la Covid, « Bolsonaro aura été un des seuls présidents au monde à se positionner lucidement et officiellement en faveur de la liberté de choix de traitements (y compris alternatifs), contre les mesures radicales de l’OMS et, notamment, contre la vaccination obligatoire ».
Malgré tout, sa popularité augmente, d’autant que ses résultats économiques sont très bons malgré la pandémie.
Durant la campagne présidentielle de 2022, le STF met en place « une incroyable entreprise de démolition et d’inhibition électorale de Bolsonaro », tout en se livrant « à un favoritisme sans vergogne de la campagne de Lula », libéré de prison en 2019 par le biais d’un « subterfuge » juridique « totalement surréaliste » avant d’être déclaré éligible.
Bolsonaro se voit ainsi interdire, entre autres atteintes à l’équité démocratique, de diffuser des images de ses manifestations ou de ses discours à l’ONU et de mentionner les condamnations de Lula (qui peut, de son côté, le calomnier sans preuve), tandis que les réseaux sociaux qui le soutiennent sont surveillés et même censurés en toute illégalité.
En mai 2022, le Tribunal Suprême électoral (TSE), issu et dépendant du STF, invite 68 ambassadeurs étrangers pour vanter les mérites du système électoral brésilien. En réaction, « Bolsonaro décide de réunir les mêmes 68 ambassadeurs pour divulguer une autre information, moins élogieuse ». Cette réunion servira ultérieurement de prétexte pour le déclarer inéligible, en l’accusant notamment « d’attaques antidémocratiques contre le système électoral brésilien » !
« Le 13 octobre 2022, un ministre du STF invente un nouveau crime, celui de “désordre informationnel”, qui permet de censurer des informations notablement véridiques si elles sont unilatéralement jugées comme susceptibles de créer un “désordre” dans la société ! »
Le 30 octobre 2022, Lula est déclaré victorieux avec 50,90 % des suffrages. Le même jour, les élections législatives voient pourtant la victoire de la droite et du centre droit à une majorité écrasante.
Conformément aux accords passés avec le TSE, Bolsonaro demande que ce dernier transmette aux techniciens des forces armées les données techniques des urnes électroniques afin de pouvoir certifier qu’aucune fraude n’a été commise. Cette demande n’obtient pas satisfaction en dépit de trois demandes des forces armées.
En novembre 2022, des manifestations de masse ont lieu devant les casernes pour demander aux militaires de jouer leur rôle en tant que garants de l’indépendance et de la séparation des pouvoirs, conformément à l’article 142 de la Constitution.
« Comprenant que chacun de ses gestes, que chacune de ses paroles seront déformés et interprétés comme des attaques à la démocratie, Bolsonaro entre dans une période de mutisme présidentiel. » Fin décembre 2022, deux jours avant l’intronisation de Lula, il prend l’avion pour la Floride.
Le Nouvel ordre judiciaire
Le 8 janvier 2023 a lieu devant le « Capitole brésilien » une manifestation qui dégénère de manière équivoque. « On a donc une prétendue tentative de coup d’État, perpétrée par une foule d’une moyenne d’âge entre 40/50 ans, dont un nombre non négligeable de ces personnes a plus de 60 ans, sans armes, venues pour un grand nombre d’entre eux en couple ou en famille, qui grâce aux largesses des forces de sécurité et du propre ministre du cabinet de la sécurité présidentielle, et souvent grâce à leur incitation, envahissent le congrès national et le STF tous deux vides, sans leader, sans stratégie d’occupation de l’espace politique, sans discours de prise de pouvoir, ni force armée constituée et dont le mouvement est contrôlé en moins d’une heure » après le début de l’intervention des forces de l’ordre. Ces événements constituent « une opportunité unique pour légitimer un projet typique du durcissement totalitaire en cours ».
Dans la foulée, le ministre de la Justice annonce la création d’une garde nationale dépendant directement de la présidence et composée d’agents recrutés dans le civil « à partir de critères propres ». Fort de cette garde prétorienne, l’intéressé entend « délaisser la lutte contre le crime organisé (notamment le narcotrafic) et recentrer l’effort policier sur le contrôle politique au nom, bien sûr, de la défense de la démocratie ».
Dans le même temps, une répression de grande envergure vise les « financeurs et organisateurs des attaques du 8 janvier 2023 ». Au nom de la lutte contre le « fascisme bolsonariste », « un véritable climat de terreur » s’instaure dans le pays, y compris contre des personnes ayant participé financièrement de façon modique ou s’étant exprimées sur les réseaux sociaux, même si elles n’étaient pas présentes à Brasilia ce jour-là.
En juin 2023, le TSE se prononce, sans présence de la défense et sans débat, pour l’inégibilité de Bolsonaro.
En février 2024, 33 proches de l’ancien Président sont arrêtés pour de « supposées planifications de coup d’État qui n’ont pas eu lieu, donc une accusation doublement inique, sans matérialité et sans fondements ».
L’espoir vient des USA
Depuis l’élection de Donald Trump, les relations entre les États-Unis et le Brésil sont au plus bas. Le ministre du STF Alexandre de Moraes a vainement exigé que Twitter lui transmette des informations privées sur des utilisateurs, en violation de la politique de la plateforme, ce que Google, Facebook, Whatsapp et Instagram ont de leurs côtés accepté. En avril 2024, le juge a même inculpé Elon Musk et condamné le réseau X à une forte amende, ce qui a conduit ce dernier à considérer la destitution de son accusateur comme un de ses objectifs personnels.
« L’élection de Donald Trump est, sans conteste, devenue un élément incontournable et décisif de la future évolution de la crise brésilienne », dans un pays « où la grande majorité de la population est hostile à ce qui est vu comme l’installation d’un régime à la mode vénézuélienne et nicaraguayenne ».
De son côté, Eduardo Bolsonaro est devenu un intime de la famille Trump et plus particulièrement de son fils aîné, Donald Trump Jr.
***
« Partout en Europe, en Allemagne et au Royaume-Uni, on voit poindre le sale groin du totalitarisme, qui, parce qu’ils ont osé exprimer un avis contraire à la doxa sur les réseaux sociaux, décrète des descentes de police chez de simples citoyens et les arrête à 6 heures du matin à leur domicile, en flagrant délit d’opinion. En France, on ferme la chaîne de télévision C8, tandis que nos chers antifas commencent à se constituer en milices de la doxa du “bien” ».
« Comment est-ce possible ? La réponse à cette question de Candide est : la narrative ». Ce discours déréalisant peut légitimer n’importe quelle absurdité auprès d’individus esseulés évoluant dans une ambiance générale où prévalent l’anesthésie et le divertissement.
« Si la narrative vient se superposer au réel dans une sorte d’illusionnisme magique, le totalitarisme judiciaire lui, remplace la fonction du réel par un régime de la vérité, d’où la vieille et perspicace expression du “ministère de la vérité”. […] Alors il n’y a plus rien d’étrange à voir Alexandre de Moraes assumer les rôles de victime, procureur, enquêteur, juge et exécuteur de la peine… »
« L’expérience totalitaire brésilienne désigne le point de bascule dans lequel les pays occidentaux et particulièrement les pays européens sont entrés il y a déjà des décennies, la captation de la République par une caste constituée sur des alliances organiques qui renie l’essence même de la démocratie, à savoir le peuple. […] Il est bon de se le rappeler, jamais une République ne fut une garantie pour la démocratie, jamais… »
Johan Hardoy
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