Baktykoja Izmoukhambetov, né en 1948, est un ancien foreur devenu ministre de l’énergie et président de l’Assemblée législative du Parlement de la République du Kazakhstan. Membre de l’Union des écrivains kazakhs, il a publié ses poèmes dans un livre, Les vagues grisonnantes de la mer Caspienne (Éditions SL Publications / La Manufacture de livres, 214 pages, 20 euros), rendant ainsi hommage à une culture ancestrale trop méconnue en Occident.
Le Kazakhstan
Ce pays d’Asie centrale, d’une superficie équivalente à cinq fois la France métropolitaine, possède des frontières avec la Russie, la Chine, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan. La densité de population est faible, avec vingt millions d’habitants dont une importante minorité de Russes ethniques.
À partir de la seconde moitié du XIXe siècle et durant le régime soviétique, la Russie a entrepris une politique de russification et de sédentarisation des populations nomades locales. Lors de la dislocation de l’URSS, le Kazakhstan est devenu indépendant et Moscou paie désormais un loyer élevé pour l’utilisation du cosmodrome de Baïkonour.
Le russe est très utilisé en milieu urbain mais la langue officielle est le kazakh, qui devrait prochainement s’écrire en caractères latins plutôt qu’en caractères cyrilliques selon une décision des autorités.
Le Kazhakstan, dont les principales ressources proviennent des industries pétrolière et gazière, constitue un enjeu géopolitique majeur pour les grandes puissances. En janvier 2022, des parachutistes russes sont intervenus pour défendre le gouvernement, menacé par un coup d’État fomenté par des oligarques réfugiés en Ukraine et en Grande-Bretagne. Depuis la guerre en Ukraine, les sanctions occidentales contre la Russie ont encore renforcé le rôle de plaque tournante stratégique et commerciale de ce pays.
Un poète des steppes
Le recueil de poèmes kazacks de Baktykoja Izmoukhambetov a tout d’abord été traduit en russe par la poétesse Rena Joumanova, puis de cette dernière langue en français par l’écrivain Thierry Marignac, fin connaisseur de la poésie russe comme en témoigne son blog Antifixion.
Comme l’écrit le préfacier Bakhytjan Kanapianov, le poète kazakh s’inscrit dans une filiation spirituelle inspirée par le tengrisme, la religion animiste des tribus mongoles, qui ne tolère « ni le bavardage, ni l’inanité ».
La résurgence de ce vieux culte turco-mongol animiste du Soleil est d’ailleurs encouragée par les autorités du pays, soucieuses de contrer la montée d’un activisme djihadiste au sein de la population. Depuis l’indépendance, le drapeau du Kazakhstan comporte un aigle — le symbole de Gengis Khan — tandis que le fond bleu turquoise se réfère à la couleur du Tengri.
Fidèle aux anciennes traditions de musique, de chant, de contes et de légendes des nomades mongols, Izmoukhambetov s’appuie sur le rythme et la mélodie de la Dombra, un instrument à cordes ancestral, et sur une scansion née du Kyouï, une forme de chant vibrato des cordes vocales pratiquée par ces peuples.
« Dès le berceau, on entendait le Kyouï à la place du chant,
S’écoulait le son des cordes, comme l’éclat d’un frais courant.
De l’antique Dombra me caressait le son,
Dans l’âme dès l’enfance semant la graine du bon. »
Les thèmes choisis, âpres et réalistes, sont marqués par l’humble origine sociale du poète et par une certaine sobriété de langage propre à l’URSS [Nathalie, chantée par Gilbert Bécaud, parlait « en phrases sobres de la Révolution d’Octobre »].
« Les soviets vers l’égalité de tous s’efforçaient,
Ni de riches ni de pauvres il n’y aurait plus désormais,
Et pour le Kazakh la Patrie n’était plus une mère,
Et le fils des steppes n’était plus personne sur sa terre. »
« N’importe où, rengorge-toi, souviens-toi de qui tu es.
Quand on te demande, de quel sang, qu’est-ce que tu es ?
Compte pour un honneur de représenter la kazakhe ethnicité,
Pour que d’Asiatique sans racines, nul n’ose te traiter. »
Les poèmes évoquent des sujets tels que l’amour et l’amitié, l’amour du pays, l’exil, la gloire des héros, le souvenir des ancêtres et le rude mode de vie des nomades qu’anime le souffle épique des légendes.
Il était une fois une jeune princesse kalmouke, captive des Kazakhs, à qui le khan accorda le privilège de choisir son époux parmi les vainqueurs. La fière prisonnière répondit qu’elle se donnerait à l’archer capable d’atteindre d’une flèche un foulard attaché sur un rocher. Nul guerrier n’y parvint, la cible étant trop lointaine. La belle se jetta alors dans le lac où elle se noya : « En ce lieu une pierre miraculeuse se dressa. »
Des récits enflammés magnifient le cheval, car « pour le Kazakh le coursier, fidèle compagnon demeure ». Des courses très populaires opposent les meilleurs d’entre eux :
« Dieu quelle attaque ! Le cheval bai est devant,
Ayant dépassé l’alezan,
Il charge comme la tornade, comme l’orageuse pluie.
Le noir est en mesure, mais il s’est rendu, lui aussi. » »
Les tragédies du XXe siècle, le régime communiste et la Grande Guerre patriotique restent évidemment dans les mémoires. L’auteur est très fier d’être le fils d’un vétéran de la Seconde Guerre mondiale.
Le Golodomor
Entre 1931 et 1933, une collectivisation forcée, planifiée par le régime soviétique, a entraîné une grande famine — le Golodomor — qui a décimé près d’un million et demi d’habitants, soit environ un quart de la population du Kazakhstan, dont plus d’un tiers des Kazakhs et près d’un dixième des Européens vivant dans le pays.
Le grand public connaît davantage le Holodomor en Ukraine, qui a causé près de quatre millions de morts par famine. D’autres régions d’URSS, situées dans le Caucase du Nord et la Basse et Moyenne Volga, ont également été marquées par cet événement tragique. À la différence du Kazakhstan principalement peuplé de nomades, des centres importants de production céréalière suscitaient des conflits entre les paysans et l’État soviétique qui appliquait une politique mortifère de « dékoulakisation ».
Par la suite, une partie des élites politiques et intellectuelles d’Ukraine, du Kouban (où vivaient de nombreux Ukrainiens) et même de Biélorussie fut soupçonnée de connivence avec les paysans et réprimée par le régime stalinien, sous prétexte de lutter contre le nationalisme contre-révolutionnaire.
En 2022, dans le contexte du conflit russo-ukrainien, le Parlement européen a qualifié le Holodomor de génocide, tout en demandant « à la Fédération de Russie, en tant que principal successeur de l’Union soviétique, de présenter des excuses pour ces crimes ».
En 2023, l’Assemblée nationale a adopté une « proposition de résolution portant sur la reconnaissance et la condamnation de la grande famine de 1932-1933, connue sous le nom d’Holodomor, comme génocide ».
« Et plus tard les koulaks on a “dékoulakés”,
Les bolchéviques, leur drapeau ont levé
Et tout le peuple a souffert, a pleuré
Sous le joug d’une main sans pitié.
À l’est et au nord de nos contrées,
Où impitoyablement la faim s’abattait,
De malheureux flots de réfugiés
Aux lointains confins erraient.
(…) Les ossements de millions de gens enterrés
Dans la terre d’Arka éternellement,
Et des polygones — vers l’Orient
D’un malheur impossible à corriger. »
« Tuait net le César de la Faim.
Et le survivant s’empressait de détaler plus loin,
Comme l’antilope saïga, souffrante, blessée,
Pour qui est un ennemi, chaque être à deux pieds.
Plus de camps nomades, un silence étouffant,
Les enclos vides, les trépas de partout aveuglants.
Le “chemin radieux” du kolkhoze — pour ceux qui restaient
Le bétail confisqué, la poitrine la douleur déchirait. »
« Le pouvoir oppressait, plus la force de supporter,
Ignorant les suppliques, quoi qu’on puisse demander.
Altaï, Tarbataï, veuillez me pardonner,
Dieu fasse que du droit chemin, je ne sois pas détourné ! »
***
Appuyé sur cette longue mémoire, le sentiment national kazakh reste aujourd’hui bien vivant. La poésie est inséparable de l’âme des peuples !
« Nos coutumes et notre langue nous avons protégés,
Avec foi en nos aïeux nous regardons vers l’avant,
La reconnaissance nous avons arrachée,
Le peuple kazakh est connu de tous maintenant. »
« En arrière les chagrins laissés,
Son âme le peuple a conservé.
Vers la gloire et la prospérité
Il marche d’un pas assuré ! »
Johan Hardoy
20/10/2025
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