Législatives : une démocratie bien peu représentative !

lundi 11 juin 2012

Le peuple vire à droite mais la gauche va probablement avoir la majorité, le tout dans un contexte de forte abstention et d’atonie. François Hollande va devoir apprendre à danser sur un volcan.

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Législatives : c’est le thermomètre qui fait le résultat

Polarisation autour du PS, résistance de l’UMP : le premier tour des élections législatives est sans surprise car il est déterminé par le mode de scrutin majoritaire et le calendrier électoral. L’enjeu local se limite à choisir entre des personnalités implantées. L’enjeu national consiste à donner une majorité plus ou moins large au président nouvellement élu. 2012 ressemble à 2007, à 2002 et à 1988.

L’abstention ne cesse de progresser : 42,77% en 2012, trois points de plus qu’en 2007 (39,66%).

La verticale du pouvoir français : le député, dernière roue du carrosse

Remontons le fil du pouvoir. L’élection des députés est prédéterminée par celle du président de la République. L’élection du président de la République est elle-même délimitée par la présélection des médias qui établissent la courte liste des « présidentiables », c’est-à-dire ceux qui sont présentés comme pouvant accéder au deuxième tour de l’élection avec des chances d’être élus : Chirac, Barre, Mitterrand en 1988, Chirac, Balladur, Jospin en 1995, Chirac, Jospin, Bayrou en 2002 (Jean-Marie Le Pen n’ayant pas droit à un second tour loyal), Sarkozy, Royal, Bayrou en 2007, Sarkozy, Hollande (par défaut de DSK) en 2012.

40% des inscrits pour le PS et l’UMP : la quasi-totalité des sièges

Le système assure la pérennité du PS et de l’UMP. Le score cumulé de ces deux formations peine pourtant à dépasser le tiers des inscrits (un peu moins de 40% avec leurs alliés), ce qui leur permet néanmoins de s’assurer de la quasi-totalité des sièges.

Présidentielles + législatives = six mois de perdus

Depuis 6 mois les Français subissent une campagne électorale qui n’en finit plus et qui est sans prise sur les événements. Le déficit budgétaire se creuse par rapport aux prévisions. Le déficit commercial s’aggrave, condamnant à la vacuité tout discours sur la croissance qui ne pose pas la question du retour aux frontières. La Cour de cassation rend les délinquants clandestins inexpulsables en application d’une décision de la Cour de justice européenne (CJE) en vertu d’une directive européenne prise sous présidence… Sarkozy. Le tout sur fond d’émeutes ethniques à Villiers-le-Bel.

Tectonique des plaques : la gauche se modère

Malgré l’embellie de la présidentielle – obtenue grâce à un soutien médiatique exceptionnel – le Front de gauche recule et perdra des sièges. La baudruche Mélenchon se dégonfle à Hénin-Beaumont. C’est un PS, plutôt recentré, qui domine totalement l’espace politique à gauche.

Tectonique des plaques : la droite se radicalise

Par rapport à 2007, l’évolution est spectaculaire : le centre disparaît, le MODEM tombe à 1,5%, au lieu de 7,6% en 2007, et risque de perdre ses trois députés. A contrario, le FN passe de 4,6% des suffrages à 13,6% : un bouleversement qui change la donne et l’attitude de l’UMP.

Nadine Morano, en difficulté, fait appel aux électeurs FN au nom de nos « valeurs ». Jolie variante de « Viens chez moi y-a du feu ».

Surtout, l’état-major de l’UMP renonce au « Front républicain » avec le PS. Ce qui peut donner un peu d’oxygène au Front national. Et quand Moscovici déclare que « l’UMP s’enfonce politiquement et moralement », il est inaudible.

Le courant national va revenir à l’Assemblée nationale

Au vu des résultats du 10 juin 2012, l’élection de Jacques Bompard, patron de la Ligue du Sud, qui dispose d’importantes réserves de voix (en provenance du FN comme de l’UMP) est quasi certaine. Député du Front national de 1986 à 1988, Jacques Bompard s’apprête ainsi à recueillir les fruits de sa persévérance, de son travail, de son enracinement local et de sa fidélité politique.

Il est possible qu’il ait pour voisin, tout en haut à droite de l’hémicycle, Marine Le Pen, qui peut espérer gagner à Hénin-Beaumont, tout comme Marion Le Pen à Carpentras, Gilbert Collard à Saint-Gilles (ancienne commune Front national), voire Florian Philippot à Forbach.

Les « Pirates », une des rares nouveautés de la campagne

Attaché aux libertés de téléchargement, hostile aux excès du droit de propriété intellectuelle, favorable à la démocratie directe, le parti Pirate a fait son entrée dans l’arène politique française. Là où il a fait réellement campagne (et pas seulement virtuellement) il a rassemblé entre 1% et 2% des suffrages, ce qui le place en tête des petits, devant l’extrême gauche : une affaire à suivre dans la perspective des élections européennes. Avec l’aide des partis frères suédois et allemand, les pirates français pourraient trouver une niche auprès des électeurs urbains, de gauche ou écologistes, bobos ou technophiles, qui ne manqueront pas d’être déçus par la présidence Hollande et le gouvernement Ayrault.

Attention deuxième tour !

Les médias et les sondeurs sont partis des résultats du premier tour pour faire des projections de deuxième tour. C’est un exercice aléatoire, le second tour corrigeant souvent le premier comme en 1967, 1978, 1988, 2007. Ceci étant, l’atonie de l’opinion est telle qu’un sursaut de la gauche pour amplifier sa victoire ou de l’UMP pour rétablir la situation est peu probable. D’autant que Hollande et Ayrault, mais aussi Copé et Fillon, se satisfont parfaitement de la situation actuelle…

France profonde versus France représentée

Reste que le décalage entre la France profonde, celle du travail et des périphéries, et la France représentée, celle des centres urbains, des élites mondialisées et des minorités ethniques, va s’accentuer. Sur le site Atlantico, l’énarque Eric Verhaeghe, ancien président de l’APEC (l’Association pour l’emploi des cadres), souligne que « le mode de scrutin des législatives empêche toute représentativité des “catégories populaires” qui sont plutôt à droite » et pose la question suivante : « Jusqu’à quand nos institutions s’offriront-elles le dangereux luxe de ne pas refléter l’expression du pays ? »

L’homme normal, François Hollande, va devoir apprendre à danser sur un volcan !

Andrea Massari
11/06/2012

Voir articles de Polémia :

« Il n'y a pas de vague rose », entretien avec Guillaume Bernard, politologue
Le retour de la gauche : le vol du bourdon
Dix enseignements sur le premier tour de l'élection présidentielle de 2012
Tirage au sort ou élection ? Démocratie ou aristocratie ? Qui est légitime pour faire ce choix de société ? Le peuple lui-même ou ses élus ?
UMP-FN : le rapprochement, c'est maintenant ?
L'étrange victoire de Marine Le Pen
La fin des modérés
François Hollande un président élu minoritaire ?
Terra Nova/Buisson : pourquoi les stratégies électorales des candidats Hollande et Sarkozy étaient les bonnes malgré les nombreuses critiques
Vers un big-bang politique ?

Et de Atlantico.fr :

Législatives : la République a-t-elle définitivement exclu le peuple?

Correspondance Polémia – 11/06/2012 e

Image : le PS au secours de Ségolène Royal

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