« Il n'y a pas de vague rose », entretien avec Guillaume Bernard, politologue

lundi 11 juin 2012

Voici une première analyse du premier tour des élections législatives présentées par le politologue Guillaume Bernard.
Polémia reviendra sur le sujet avec d’autres analyses d’Andrea Massari , Michel Geoffroy et une étude complète d’Etienne Lahyre à l’issue du deuxième tour.

Polémia

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Les résultats du premier tour des élections législatives permettent de dessiner le contour de la future Assemblée nationale. L'analyse de Guillaume Bernard, politologue, maître de conférences (HDR) à l'ICES (Institut catholique d'études supérieures)*.

Que vous inspire le fort taux d'abstention ?

Aux élections législatives, l’abstention ne cesse de progresser depuis une trentaine d’années. Il semble que celles de 2012 soient marquées par un record (43 %, trois points de plus qu’en 2007). Cela traduit une réelle désaffection des Français vis-à-vis des politiques.

Cependant, il est courant que les électeurs considèrent que l’orientation politique du pays a été tranchée lors de l’élection présidentielle ce qui conduit, notamment, à la démobilisation du camp ayant perdu celle-ci. Les élections législatives qui suivent celle du chef de l’Etat confirment donc ce choix. C’est ce qu’il est convenu d’appeler le « phénomène majoritaire ».

Au regard des premiers résultats, le PS a-t-il les moyens de gouverner confortablement ?

A l’évidence, il n’y a pas de vague rose comme en 1981. Le PS et l’UMP sont au coude à coude à environ 35 % chacun. Mais, le PS atteint 40 % avec ses alliés écologistes et radicaux. Au soir du second tour, il est donc probable que le PS aura la majorité. Cependant, il n’est pas certain qu’il atteindra le chiffre fatidique de 289 députés lui permettant d’avoir, à lui seul, la majorité. Il peut donc se retrouver dans une situation proche de celle de 1988.

Toutefois, il n’y aura pas de « cohabitation » au sein de la gauche, puisque, d’une part, le PS pourra compter sur la fidélité des écologistes (à qui il a cédé une soixantaine de circonscriptions qui se traduiront, vraisemblablement par une quinzaine de sièges) et, d’autre part, il pourra, avec ses alliés, se passer du Front de Gauche.

L'UMP a t-elle réussi à contenir son reflux ?

Le résultat de l’UMP est ambigu. A la fois il perd 5 points par rapport à 2007 et, en même temps, il atteint le même score que le PS seul. En outre, il a, pour l’instant, évité l’éclatement (même si l’émergence des courants en son sein ne se développera que dans les mois ou les années qui viennent).

Toutefois, il n’arrivera certainement pas à obtenir la majorité parlementaire et une cohabitation entre le PS et l’UMP est vraiment très peu probable. Il est vrai que, si à la base, les députés UMP sortants voulaient conserver leurs sièges, les ténors de ce parti n’y tenaient pas beaucoup (préférant laisser les affres du gouvernement à la gauche).

L’avenir dira comment l’UMP se repositionnera sur l’échiquier politique : qui en prendra la direction mais, surtout, quel discours adoptera-t-elle ? En particulier, il est probable que, d’un point de vue programmatique, l’une des questions cruciale sera de choisir entre pour ou contre la « stratégie Buisson ».

En outre, d’un point de vue électoral, le fait que l’UMP ne participe plus (depuis les cantonales de l’année dernière) au « front républicain » contre le FN (tout en refusant d’appeler à voter ou de se désister en sa faveur) est un signe à la fois des tiraillements internes et de la difficulté à déterminer une ligne politique claire.

Le FN peut-il espérer remporter des circonscriptions ?

Avec presque 14 %, le score atteint par le FN est sans doute l’un des meilleurs qu’il ait jamais obtenu à une élection législative (son maximum de près de 15 % ayant été atteint en 1997 lors d’une législative déconnectée d’une présidentielle). En tout cas, il gagne au moins deux points par rapport à 2002 et multiplie sont score par trois par rapport à 2007. Mais, ce qui est surtout nouveau, c’est que l’hémorragie qu’il connaissait régulièrement après une présidentielle a été stoppée (puisque, habituellement, son score était quasiment divisé par deux d’une élection à l’autre).

Cependant, cela ne veut pas dire que le FN aura des élus. Dans le cadre d’un scrutin majoritaire uninominal à deux tours, il est handicapé par le fait que la droite refuse toute alliance avec lui. Dans les cas où le candidat du FN est arrivé en tête (il y en a cinq) et surtout, si le second tour est une triangulaire, il est possible qu’il y ait quelques élus pour ce parti. Mais, il risque d’y avoir une situation qui peut être considérée comme étonnante, à savoir que le Front de gauche, avec deux fois moins de voix que le FN, aura des députés (une quinzaine ?) et ce dernier peut-être aucun.

Le Front de Gauche est-il prisonnier de Jean-Luc Mélenchon ?

Jean-Luc Mélenchon avait défié Marine Le Pen à Hénin-Beaumont. Tout en progressant en nombre de voix dans cette circonscription, il a connu une véritable défaite puisqu’il ne sera pas présent au second tour (il ne peut pas se maintenir en n'atteignant pas 12,5% des inscrits), tandis que la Présidente du FN arrive largement en tête.
Au niveau national, le Front de Gauche connaît une très importante érosion puisqu’il perd le tiers de son score de la présidentielle. Le rapport de force contre le FN tourne à l’avantage de ce dernier qui pèse deux fois plus le Front de Gauche.
Cependant, celui-ci aura, sans aucun doute des élus (peut-être un groupe parlementaire) grâce à l’ancrage local du Parti communiste.

Le Centre a-t-il encore un avenir ?

Il est certain que le Modem est, aujourd’hui, moribond. Le fait que François Bayrou ne soit pas certain d’être réélu en est le signe manifeste. Cependant, le Centre et le Modem ne sont pas (plus ?) nécessairement identifiables. Le premier pourrait renaître au sein ou en marge de l’UMP (autour de Jean-Louis Borloo ?) si ce dernier connaissait une désagrégation.

*Guillaume Bernard a notamment, codirigé les ouvrages suivants : Les forces politiques françaises, Paris, PUF, 2007 ; Les forces syndicales françaises, Paris, PUF, 2010.

Auteur : Direct Matin
11/06/2011

Correspondance Polémia – 11/06/2011

Image : Comptage des bulletins le 10 juin 2012 dans un bureau de vote à Marseille

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