Le piège mortel du mondialisme de l'Union européenne : 2/3- La dette

jeudi 3 mai 2012

Antraigues poursuit son analyse. Dans une première partie il a traité de l’ultralibéralisme et de ses contraintes économiques. Dans cette deuxième partie, il aborde le sujet de la dette, conséquence mécanique de l'ouverture des frontières et de l'abandon de la souveraineté monétaire, et pourtant utlisée comme prétexte pour de nouveaux abandons de souveraineté...

Polémia

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Le piège de la dette

▪ Comment masquer au bon peuple le lien direct entre, d’une part, la disparition accélérée de l’industrie et de l’agriculture française, et, d’autre part, l’ouverture totale des frontières de la France et le fait que sa monnaie soit surévaluée ?

  • - Comment lui masquer le lien entre ce qui précède et le montant de la dette publique (en particulier entre l’augmentation du chômage qui en résulte et celle des dépenses sociales) ?
  • - Comment lui masquer, en outre, le lien entre le montant de cette dette et le fait que, depuis 1973, l’état français s’est interdit de créer de la monnaie pour son propre compte, et a donné au système bancaire privé le monopole de la création monétaire (Loi n° 73-7 du 3 janvier 1973 sur la Banque de France ; cette disposition, qui n’engageait alors que la France, ayant été reprise dans le Traité de Maastricht et, bien sûr, gravée dans le marbre par le Traité de Lisbonne) ? On reviendra plus loin sur cette disposition clé, qui non seulement n’a aucune justification économique, mais est même par essence extraordinairement pernicieuse.
  • - Comment lui masquer enfin le lien entre le caractère effectivement existentiel pour la France de sa dette et le fait qu’elle ait abandonné sa souveraineté monétaire (ainsi qu’on le verra plus loin, il est structurellement impossible de piéger dans l’endettement un pays qui a gardé sa souveraineté monétaire) ?
  • - Comment lui faire avaler que l’Union européenne protège la France et que, au sein de cette Union européenne protectrice, la France est de plus tout spécialement protégée par son appartenance à la zone euro ?
  • - Comment lui faire avaler que sortir de l’euro ne pourrait qu’aboutir à un effroyable chaos, alors que, sur l’ensemble des pays développés, c’est la zone euro, prise globalement, qui est depuis une décennie à la traîne ?
  • - Comment lui faire avaler que, en définitive, la solution ce serait encore plus d’Europe (c’est-à-dire encore plus d’abandon de souveraineté), ceci étant combiné à une « réduction du train de vie de l’Etat » qui, comme par hasard, se retrouverait porter uniquement sur ses fonctions régaliennes ?

▪ Tel est aujourd’hui le défi proposé aux grands médias – ou plus exactement à leurs commanditaires.
Tel est donc aussi le défi imposé aux deux partis « de gouvernement », l’UMP et le PS : il suffit pour cela de feuilleter leurs programmes, dont les propositions, en apparence fortement différentes (elles visent tout de même des électorats différents), sont aussi incantatoires l’une que l’autre en l’absence de toute marge de manœuvre dans le contexte institutionnel actuel, et éludent aussi soigneusement l’une que l’autre les véritables problèmes.

▪ Une mention spéciale pour Jean-Luc Mélenchon, visiblement mis en avant par les médias pour stériliser les voix des électeurs de plus en plus nombreux qui sentent bien que le poids du capitalisme international est devenu intolérable, et que la France court à la catastrophe sans restauration d’un minimum de protectionnisme. Par leur caractère extrêmement confus, par leur outrance, par leur irréalisme, ses propositions sont d’une telle innocuité que leur large diffusion ne pose effectivement aucun problème. Son protectionnisme, par exemple, serait un « protectionnisme européen internationaliste »…
Certes, dans son programme, un certain nombre de dispositions institutionnelles actuelles sont dénoncées, mais les seules initiatives envisagées se situent au niveau de l’Europe, et même autant que possible du monde, ce qui est un gage certain d’inefficacité : il est aujourd’hui évident qu’il n’y a plus rien à espérer de discussions au niveau de l’UE et des instances internationales dans des délais compatibles avec la gravité de la situation de la France, surtout en l’absence de toute menace d’actions au niveau national.
Et puis rien de tel que des discours de type lutte des classes pour réveiller les bons vieux clivages droite/gauche à l’occasion d’élections…

▪ La campagne électorale, ce n’est pas seulement le temps de parole attribué aux candidats et à leurs représentants. C’est aussi, et c’est peut-être même surtout, tous les commentaires et analyses (les « décryptages ») délivrés (par des « politologues », des « spécialistes de l’économie », …) lors d’un certain nombre d’émissions (dont C dans l’air est sans doute la plus remarquable). Marine Le Pen , à laquelle un certain nombre de qualités sont par ailleurs concédées, se voit bien sûr assez régulièrement attribuer le bonnet d’âne à la rubrique « crédibilité économique ».

Quelques ordres de grandeur

▪ L’accroissement annuel de la dette publique a été d’environ 140 milliards en 2009 et 2010, 100 milliards en 2011, et était d’environ 50 milliards depuis 2002. Rappelons que cette dette est elle-même aujourd’hui d’un peu plus de 1700 milliards, le PIB de la France étant d’environ 2000 milliards (voir par exemple http://www.insee.fr/fr/themes/info-rapide.asp?id=40 pour la situation fin 2011 : dette « au sens de Maastricht » de 1717,3 milliards, correspondant à 85,8% du PIB).
Cela signifie que, à recettes fiscales constantes, et sans création monétaire au profit de l’Etat (ce qui nous est interdit par le Traité de Lisbonne), il faudrait dégager environ chaque année une cinquantaine de milliards d’économies pour simplement stabiliser la dette en pourcentage du PIB.

Le brutal accroissement de la dette publique à partir de 2009 est directement lié au fait que 200.000 emplois industriels ont été perdus en France en 2010 (contre « seulement » entre 50.000 et 100.000 par an les années précédentes) : ceci du fait de l’effet de ciseau qui en est résulté, par diminution des recettes et augmentation des dépenses sociales et de soutien de l’activité.
Les dépenses et les recettes étant de l’ordre de 1000 milliards, l’ampleur de cet effet de ciseau s’explique aisément, mais cet effet jouerait en sens inverse si la compétitivité de la France s’améliorait, avec un ordre de grandeur des gains attendus permettant d’espérer réellement une amélioration significative de l’évolution de la dette publique.

Une forte augmentation de la compétitivité de la France, que seule peut rendre possible une dévaluation significative de sa monnaie, associée à un certain nombre de mesures protectionnistes et à de la création monétaire au profit de l’Etat serait donc tout à fait de nature à désamorcer le problème de la dette. Mais ces deux voies d’action nous sont aujourd’hui interdites institutionnellement.

Il ne reste donc plus que les plans d’austérité, dont il n’y a strictement rien à espérer du point de vue de la diminution de la dette, bien au contraire, du fait de la contraction des recettes qui en résulte inévitablement. Il y a là-dessus un consensus de tous les prix Nobel d’économie qui se sont exprimés sur l’efficacité des plans d’austérité imposés un peu partout aux pays en difficulté de la zone euro (on pourra, par exemple, sur Internet lire les décapantes chroniques de Paul Krugman), et le moins que l’on puisse dire est que les faits leur donnent raison.

▪ Sur les 1.100 milliards (environ) de dépenses publiques annuelles il y a assurément des économies à réaliser, mais force est de constater que les seules cibles réellement visées sont les fonctions régaliennes de l’Etat, qui ne comptent que pour moins de 300 milliards : voir ci-après le tableau extrait du formulaire de déclaration des revenus 2010 que nous avons tous reçu au printemps dernier. Rien ne permet d’affirmer que le coût de ces fonctions régaliennes se situe à un niveau trop élevé (certains budgets, comme ceux de la justice et de la sécurité, sont même particulièrement indigents), il ne cesse de diminuer depuis 2005 et, de toute façon, il n’est en aucune façon susceptible de permettre de dégager une cinquantaine de milliards d’économies par an.

Budget 2011. A quoi servent nos impôts?

Enseignement et recherce                                                                         87,00
Collectitvités territoriales                                                                         58,00
Charge de la dette                                                                                    45,40
Défense                                                                                                    37,40
Union Européenne                                                                                     18,20                                    Sécurité                                                                                                 16,80
Solidarité, insertion et égalité des chances                                                12,40
Gestion des finances publiques et des ressources                                       11,70
Travail et emploi                                                                                      11,60
Ecologie et développement durable                                                            9,50     
Ville et logement                                                                                       7,60
Justice                                                                                                       7,10
Autres missions                                                                                         40,77
Total dépenses (en milliards d'euros)                                                    364,40
Dépenses hors collectivités territoriales et dette                                      260,00

Est-il vraiment surprenant de constater que, depuis 2005, la diminution des effectifs de la fonction publique d’Etat a été plus que compensée par une augmentation de la fonction publique hospitalière et, surtout, par l’augmentation de la fonction publique territoriale, et que personne ne s’interroge sur cette dernière ? C’est ainsi qu’un récent rapport de la Cour des comptes a fait ressortir que l’importante diminution des effectifs de la police d’Etat avait été annulée par l’augmentation de ceux des polices municipales (avec toutes les interrogations que cela suscite sur la qualité du recrutement, et tous les risques de communautarisation que l’on peut imaginer…).

Est-il vraiment surprenant de constater que la subvention de l’immigration (qui pourtant représente un certain nombre de dizaines de milliards) n’a jamais été considérée comme étant une source potentielle d’économies ?

▪ Les ordres de grandeur ci-dessus montrent qu’il n’y a rien à attendre des opérations de privatisation qui sont régulièrement avancées comme l’une des solutions : il n’en résulterait qu’une réduction de la dette de quelques dizaines de milliards d’euros (et même s’il s’agissait de cent milliards, cela ne modifierait en rien la conclusion précédente), et l’Etat français se retrouverait par la suite définitivement privé de sources de revenus significatives (car les entreprises concernées sont parfaitement rentables), voire de secteurs industriels stratégiques (dans le nucléaire, par exemple).

Le pacte de stabilité renforcé

▪ Il est tout de même préoccupant de constater qu’un président de la République française a dépensé une énergie considérable pour que soit mis en place au niveau européen un « pacte de stabilité renforcé » qui, par la politique d’austérité qu’il implique, d’une part ne pourra, comme on l’a vu, qu’enfermer encore plus la France dans le piège de l’endettement, et d’autre part prévoit des sanctions s’apparentant à une mise sous tutelle des pays trop lourdement endettés…

Pire encore, un tel pacte, à supposer qu’il ait déjà été mis en place, n’aurait en rien permis d’éviter la situation actuelle : comme on l’a vu c’est l’hémorragie d’emplois industriels en 2009 qui a entraîné l’explosion du déficit public, et non une quelconque explosion du « train de vie de l’Etat », ou le fait que le système de protection sociale serait brusquement devenu plus protecteur.

Si l’on prend le cas de l’Espagne (en 2007 on parlait encore du « miracle économique espagnol »…), on ne voit pas comment un tel pacte aurait pu éviter la croissance de la bulle immobilière, l’inflation qui en est résultée et qui a dégradé la compétitivité de ce pays et, enfin, l’éclatement de la bulle immobilière en 2008. L’Espagne était d’ailleurs en excédent budgétaire avant la crise…
On aboutirait sans doute à la même conclusion en examinant le cas de l’Irlande (qui elle aussi était en excédent budgétaire), du Portugal, etc.
Il ressort en outre d’un tel examen que chacun de ces pays est un cas particulier, les seuls points qu’ils aient eu en commun ayant été que, ligotés par l’euro comme ils l’étaient, ils se sont trouvés dans l’impossibilité totale d’ajuster leur monnaie aux problèmes particuliers de leur économie, et que c’est la crise des subprimes, dont ils n’étaient en rien responsables, qui a joué le rôle du détonateur.

▪ Que penser donc d’un pacte qui, sous couvert de « sauver la construction européenne », de « sauver la Grèce, le Portugal, l’Espagne, etc. », ne contribuera en rien à améliorer la situation actuelle, bien au contraire, n’aurait en rien pu permettre d’éviter la crise de 2008, mais aboutira bien par contre réduire encore le peu qui reste institutionnellement de souveraineté nationale, et en s’attaquant aux budgets nationaux, à réduire encore un peu plus la partie régalienne de la fonction publique ?

▪ Que penser du fait que l’annonce de ce pacte ait été en son temps « favorablement accueillie par les marchés » ? Etait-ce parce qu’elle était de nature à nous enfoncer encore un peu plus dans le piège ? Etait-ce simplement un satisfecit vis-à-vis d’un acte d’allégeance remarqué ?

Que peut bien signifier le maintien du triple A d’un pays qui a perdu 500.000 emplois industriels depuis 5 ans, qui voit le déficit de sa balance commerciale voler de record en record, qui manifestement ne pourra jamais rembourser sa dette dans le contexte institutionnel qui lui est imposé – mais qui dispose tout de même encore, dans bien des domaines, tant au niveau de l’Etat qu’à celui des personnes privées, d’un patrimoine et d’actifs extraordinairement intéressants ?

▪ Que sont au juste au demeurant ces fameux « marchés » dont on nous a rendus institutionnellement dépendants ? Et si de plus ils étaient manipulables ?

(à suivre)

Voir :

Le piège mortel du mondialisme de l’Union européenne – 1/3- L’Europe et l’ « ultralibéralisme » 
Le piège mortel du mondialisme de l’Union européenne – 3/3- La perte de la souveraineté monétaire

Pour consulter le texte, version PDF, en son intégralité cliquer ici

Antraigues
14/04/2012

 

Correspondance Polémia – 3/05/2012

Image : dette publique :le  point sur les chiffres du débat Hollande-Sarkozy. En cinq ans, de la fin 2006 à la fin 2011, on est passé de 1.152,2 milliards d'euros à 1.713 milliards, soit une progression de 560.8 milliards, plus proche de 600 milliards que de 500… Gérard Horny, publié le 2 mai à 23h23 (Slate.fr)

 

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