Après avoir développé son analyse sur l’Europe et l’ultralibéralisme d’une part, et la dette publique d’autre part, Antraigues se livre, dans cette troisième et dernière partie, à un nouvel exercice tout à fait complémentaire aux deux premiers en reliant économie et monnaie à souveraineté.
Polémia
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C’est la monnaie d’une nation qui doit s’adapter à son économie, et non l’inverse ▪ Dans les années 1960 un certain nombre d’économistes ont recherché les conditions à réunir pour que les avantages attendus de la mise en place d’une union monétaire entre plusieurs pays puissent être supérieurs à tout ce qui peut résulter de la perte par chacun d’entre eux de sa politique monétaire propre, et donc des possibilités d’ajustement qu’elle permet.
C’est ainsi qu’ont été définies les conditions à réunir pour qu’un ensemble de pays puisse constituer une « zone monétaire optimale », conditions dont la moindre n’est pas qu’il doit y avoir une parfaite mobilité des personnes, ce qui implique notamment qu’elles parlent toutes la même langue.
On aboutissait en fait à peu près au portrait robot d’un Etat fédéral.
Ces conditions n’étant à l’évidence pas réunies lors de la mise en place de l’euro, et n’ayant manifestement aucune chance de l’être à horizon visible (ne serait-ce que parce que les peuples n’en voulaient pas…), de multiples mises en garde avaient alors été formulées. Aujourd’hui la zone euro est en crise ouverte, après avoir été depuis sa création la zone de plus faible croissance économique sur l’ensemble de la planète.
« La triste vérité est que le système euro semble de plus en plus voué à l'échec. Et une vérité encore plus triste est que, vu comme le système se comporte, l'Europe se porterait sans doute mieux s'il s'écroulait plutôt aujourd'hui que demain (Paul Krugman, prix Nobel d’économie 2008, chronique « Le trou dans le seau de l’Europe», 24/10/2011).
▪ Ce qu’a de vital pour une nation indépendante de disposer de sa propre monnaie est au demeurant si unanimement reconnu que ceci est la règle depuis la disparition des anciens empires coloniaux et de l’Union soviétique. En dehors des Etats trop petits pour avoir une monnaie reconnue sur la scène internationale (les Bahamas ont le dollar, etc.), il n’y a eu que deux exceptions à cette règle :
▪ Nul besoin au demeurant d’être prix Nobel d’économie pour comprendre que c’est la monnaie d’un pays qui doit s’adapter à son économie, et non l’inverse : le simple bon sens suffit.
De multiples facteurs peuvent en effet dégrader, parfois du jour au lendemain, la compétitivité économique d’un pays :
Dans le cas de la France la très importante réévaluation de l’euro par rapport au dollar, dans laquelle elle n’est strictement pour rien, aura nettement plus affecté sa compétitivité que les 35 heures.
En l’absence de toute possibilité de faire varier la valeur de la monnaie il n’y a d’autre solution, pour retrouver cette compétitivité, que d’imposer par décisions autoritaires (car il n’y a plus aucune possibilité d’ajustements quasi mécaniques) l’adaptation de l’ensemble de l’économie (diminution des dépenses publiques, diminution de tous les salaires en nominal, …), ce qui n’est envisageable que dans un pays totalitaire (il ne semble d’ailleurs même pas que cela se soit déjà fait…). C’est pourtant ce qui est demandé aujourd’hui à la Grèce.
Que se serait-il passé si la France n’avait pas eu sa souveraineté monétaire après mai 1968 ? Après 1958 ? Après la guerre de 1939-1945 ?
Lorsqu’une nation a gardé sa souveraineté monétaire, il est structurellement impossible qu’elle se retrouve enfermée dans le piège de l’endettement
En effet, elle emprunte alors dans sa monnaie nationale, dont la valeur s’ajuste (ou est ajustée) à sa situation économique, et en particulier à sa capacité de remboursement. De plus, elle peut souverainement décider de créer autant de monnaie qu’elle le juge nécessaire.
Par contre, lorsque ce n’est pas le cas, elle peut être mise en faillite au sens propre du terme –c’est-à-dire au sens où une entreprise ou un particulier l’est – avec comme conséquence sa dislocation économique, la mise à l’encan de son patrimoine, voire la perte de son indépendance même en tant que nation.
Il n’y a au demeurant qu’à voir ce qui est en train de se passer pour la Grèce, dont le « sauvetage » s’apparente à celui d’une entreprise en dépôt de bilan par un liquidateur judiciaire.
Si lourdement endettés que soient les Etats-Unis et d’autres pays en dehors de la zone euro, et si préoccupante que puisse être cette situation à bien des égards (mais pas forcément pour eux…), ce n’est en aucune façon pour eux un problème existentiel, alors que cela en est un pour la France.
Un Etat doit garder le pouvoir de créer de la monnaie pour son propre compte
▪ La création régulière de monnaie est absolument indispensable. Par exemple dans une économie qui croît par exemple de 3% par an, avec une inflation modérée de 2%, une création de monnaie à hauteur de 5% du PIB est nécessaire.
Comment la monnaie est-elle donc créée?
Notons bien que la présentation qui suit n’a pour objectif que de dégager les mécanismes qui interviennent : elle a donc été volontairement simplifiée, et ne prétend en aucune façon à une rigoureuse exactitude technique.
▪ En règle générale deux systèmes coexistent :
Une banque peut prêter autant qu’elle veut, sous les réserves suivantes :
En situation « normale » (c’est-à-dire hors période de crise financière) ces emprunts doivent rester de simples emprunts d’ajustement, ajustements inévitables du seul fait qu’il n’y a pas qu’une banque, et qu’on l’on peut très bien être déposant dans une banque et emprunteur dans une autre. La banque centrale n’intervient qu’en dernier ressort, c’est-à-dire, si tout se passe bien, jamais, mais elle joue tout de même un rôle clé en fixant le taux de ses prêts, qui se retrouve donc être aussi le taux de prêt interbancaire, d’où résulte le loyer minimum de la monnaie nationale, lequel influe sur le cours de cette dernière.
Les emprunts aux autres banques étant donc normalement à un niveau très faible, et les fonds propres n’étant pas destinés à être prêtés, c’est en définitive l’argent des déposants qui est prêté par la banque, y compris les dépôts à vue.
C’est de là que résulte la création monétaire.
Dans le cas où le montant d’un prêt pour n années est couvert par un dépôt d’une durée supérieure, l’emprunteur dispose de ce montant, mais le déposant n’en dispose pas : il n’y a pas de création monétaire.
Si par contre ce montant est couvert par des dépôts à vue, il est disponible à la fois pour l’emprunteur et les déposants : il y a création monétaire.
La simple description de ce mécanisme fait apparaître son instabilité potentielle permanente, son caractère fondamentalement incontrôlable, le fait que les déposants à vue se retrouvent directement exposés en cas de défaillance des emprunteurs, et laisse deviner les innombrables effets pervers qui peuvent en résulter.
On se contentera toutefois ici de citer Maurice Allais, prix Nobel d’économie 1988, qui a clairement identifié ce mécanisme comme étant la cause première de toutes les crises financières qui se sont succédé, la crise de 1929 en étant un cas d’école, et la crise de 2008, qui dure toujours, la dernière en date. Le scénario est toujours le même : phase euphorisante d’explosion du crédit (et donc de la création monétaire), krach, puis phase de récession au cours de laquelle personne ne veut plus prêter à personne.
« En fait, sans aucune exagération, le mécanisme actuel de la création de monnaie par le crédit est certainement le « cancer » qui ronge irrémédiablement les économies de marché de propriété privée. »
« Dans son essence la création de monnaie ex nihilo actuelle par le système bancaire est identique … à la création de monnaie par des faux monnayeurs. Concrètement elle aboutit aux mêmes résultats. La seule différence est que ceux qui en profitent sont différents. »
(Voir aussi par exemple : La crise mondiale d'aujourd'hui - Pour de profondes réformes des institutions financières et monétaires
Le pouvoir financier au cœur de la crise de 2008 : Les analyses prophétiques de Maurice Allais)
La solution proposée par Maurice Allais est d’une extrême simplicité : par des dispositions obligeant les banques à n’attribuer que des prêts couverts par des dépôts à terme au moins égal à la durée du prêt, réserver à l’Etat le monopole de la création monétaire.
On voit qu’il y aurait là une matière intéressante pour la refondation du système financier que le chœur des médias et des partis politiques appelle régulièrement de ses vœux avant les G20.
▪ Comme indiqué plus haut, ce n’est vraiment pas dans cette voie que la France s’est engagée en 1973 puisque, par l’interdiction faite à la Banque de France de prêter à l’Etat, c’est au système bancaire qu’a été donné le monopole de la création monétaire. Cette disposition, dont on vient de voir que le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’est pas incontestable, a ensuite été imposée à l’ensemble des membres de l’UE par le traité de Maastricht.
Les conséquences d’un tel abandon sont évidentes :
« En abandonnant au secteur bancaire le droit de créer de la monnaie, l’Etat s’est privé en moyenne d’un pouvoir d’achat annuel représentant environ 5,2% du revenu national » (Maurice Allais, La Réforme monétaire, 1976).
Est-il nécessaire de préciser que c’est à partir de 1973 que la dette publique française a commencé à croître ? Le graphique suivant (qui recoupe le fait que, ainsi que l’a rappelé Marine Le Pen, le montant actuel de la dette est à peu près le montant cumulé des intérêts depuis 1973) est particulièrement significatif
(le graphique peut être vu dans la version PDF, en page 14)
NOTE (*) : La dette à la fin 1979 était en réalité de 82,8 milliards d’euros, soit 21% du PIB ; mais en tenant compte de l’inflation, cela fait aujourd’hui 239 milliards d’euros.
▪ La justification avancée de l’interdiction faite à l’Etat de créer de la monnaie pour son propre compte est que, par les excès de création monétaire qui pourraient en résulter, leur laisser ce droit serait potentiellement facteur d’inflation. Ceci n’est pas forcément inexact, mais que dire alors de la création de la monnaie par le crédit qui, elle, est fondamentalement incontrôlable ? On est vraiment dans le n’importe quoi.
De plus le volume de la création monétaire n’est qu’un facteur d’inflation parmi d’autres.
Comme les précédentes, la crise de 2008 a été la conséquence d’une explosion des crédits, et donc de la création de monnaie. Il n’y a pas eu pour autant, dans la période précédant cette crise, d’augmentation significative de l’inflation.
Peut-on sérieusement soutenir qu’une création monétaire au profit de l’Etat de quelque % du PIB, qui suffirait à désamorcer le problème de la dette, serait facteur d’hyperinflation ?
Dévaluation et inflation
▪ Comme on l’a vu, l’euro est passé de 0,85$ à 1,4$, ce qui a mécaniquement fait s’effondrer d’autant la compétitivité de la France, mais n’a nullement entraîné une baisse du coût de la vie, alors même que la France importait déjà la majeure partie de sa consommation.
Inversement on ne voit pas dans ces conditions pourquoi, sauf dans le cas très particulier des hydrocarbures, il résulterait d’une dévaluation consécutive à l’abandon de l’euro l’inflation massive que nous promet l’infantilisante propagande actuelle.
La Grande-Bretagne, en 2008, a dévalué de 30%, et il n’en est pas résulté une inflation de 30%. Par contre, du jour au lendemain, sa compétitivité s’est améliorée de 30%.
▪ En ce qui concerne les produits fabriqués en tout ou partie dans les pays à bas salaires, qui représentent aujourd’hui une part essentielle de notre consommation (il suffit de regarder les étiquetages extérieures et intérieurs des produits que l’on achète), leur prix de revient est si bas que leur prix de vente peut en être largement découplé.
En fait il dépend surtout du prix que le consommateur est prêt à payer, lequel n’est autre que celui qu’il avait l’habitude de payer jusqu’alors : pour de multiples raisons on est très loin, dans la réalité, de la situation théorique de concurrence totalement libre et non faussée censée résulter de la déréglementation actuelle, qui aboutirait effectivement à rapprocher les prix de vente des prix de revient.
Ceci explique pourquoi ni les délocalisations, ni les réévaluations de la monnaie n’ont été suivies d’une diminution du coût de la vie.
En cas de réévaluation de sa monnaie, c’est simplement le bénéfice du vendeur qui s’accroît. En cas de dévaluation, c’est évidemment l’inverse, et l’on conçoit aisément que cela aille à l’encontre d’intérêts financiers extrêmement puissants.
Voir :
Le piège mortel du mondialisme de l’Union européenne – 1/3- L’Europe et l’ « ultralibéralisme »
Le piège mortel du mondialisme de l’Union européenne – 2/3- La dette
Pour consulter le texte, version PDF, en son intégralité cliquer ici
Antraigues
14/04/2012
Correspondance Polémia – 3/05/2012
Image : le Franc germinal (loi du 17 germinal an XI ou 7 avril 1803), rétablissement d’une monnaie en France par Bonaparte, nécessaire au lendemain d’une période agitée.