La question du dollar revient à l’ordre du jour. En 2011 le G8 et le G 20 devraient se saisir de la question du rôle des différentes monnaies dans les réserves mondiales. Et aux Etats-Unis mêmes, Ron Paul, le nouveau président de la commission monétaire de la chambre des représentants est un adversaire de la réserve fédérale et un partisan du retour à l’étalon or. Ainsi les nuages s’accumulent au dessus d’Obama et de Wall street. Pour éclairer le débat, Polémia livre à ses lecteurs une contribution historique de Michel Leblay sur « La balance des paiements des Etats–Unis et les crises financières : un demi siècle d’histoire »
Polémia
La balance des paiements des Etats-Unis et les crises financières - un demi-siècle d’histoire
L’évolution de l’économie mondiale est marquée, ces dernières années, par une succession de crises financières affectant l’équilibre budgétaire, l’emploi et le commerce extérieur des Etats. Les évènements trouvent, généralement, leurs origines dans un ensemble de causes. En économie, suivant l’optique de l’analyste ou les théories de référence, le champ des hypothèses est large et contradictoire. Pourtant, dans les ébranlements du système financier international et leurs conséquences économiques, il paraît peu contestable que la place faite au dollar après la seconde guerre mondiale et la manière dont les Etats-Unis l’ont entendue, au fil des années, ont joué un rôle déterminant.
Ce texte vise à présenter quelques constatations sur les variations de la balance des paiements des Etats-Unis des années soixante à nos jours au regard des évènements majeurs qui ont pesé, durant cette période, sur le système financier international.
Au préalable, il est proposé quelques précisions :
L’analyse est ordonnée en deux parties et quatre époques :
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Première Partie
1/ L’altération du système : des accords de Bretton Woods à la non convertibilité or du dollar
Après l’abandon de l’étalon or en 1914 (« Gold standard »), un nouvel ordre monétaire international fut institué par les accords de Gênes de mai 1922. Les délégués des trente quatre pays réunis dans cette ville italienne adoptèrent, en l’absence des Etats Unis, le principe du « Gold Exchange Standard » (système d’étalon de change-or). Deux monnaies, la livre sterling et le dollar étaient convertibles en or. Si la valeur des monnaies des autres pays était définie par rapport à l’or, ces pays avaient la possibilité de constituer leurs réserves de change dans l’une des deux devises convertibles et de libeller leurs échanges dans l’une de ces deux devises. La crise de 1929 et ses conséquences conduisirent à l’abandon du système. Le gouvernement britannique suspendit la convertibilité or de la livre sterling, le 20 septembre 1931, et l’administration américaine celle du dollar, le 19 avril 1933.
Au regard de cet échec et conscientes qu’un ordre monétaire stable était une condition nécessaire pour la reconstruction des pays ravagés par la guerre et leur développement économique, quarante quatre nations alliées conclurent, le 22 juillet 1944, les accords de Bretton Woods par lesquels elles établissaient un système monétaire international (SMI). Le « Gold Exchange Standard » qui en résultait était fondé sur la primauté du dollar, convertible en or à son cours du 31 janvier 1934 : 35 dollars l’once ; la parité, fixe, des autres monnaies (elles ne pouvaient varier que dans une fourchette de +/- 1%) était définie par rapport au dollar (théoriquement elles pouvaient être gagées sur l’or). Le dollar devenait ainsi la monnaie de paiement international.
Deux institutions furent créées :
A défaut d’un organisme en charge du commercial international, comme il était prévu, un accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) fut signé à la conférence de La Havane, le 30 octobre 1947.
Ce système monétaire international imposait, pour son bon fonctionnement, une liquidité suffisante en dollars pour assurer le règlement des échanges internationaux et leur croissance qui résultait de celle de l’économie mondiale. La balance des paiements des Etats-Unis reflète ce mécanisme de diffusion du dollar.
A l’origine, il y eut le plan Marshall, qui fournit aux bénéficiaires les capitaux nécessaires à leurs achats.
A partir des années cinquante, profitant de leur position monétaire privilégiée, les Etats-Unis développèrent leurs investissements à l’étranger par simple accroissement de leurs engagements en dollars, multipliant ainsi leur masse en circulation. Ce phénomène commença à susciter des appréhensions conduisant, au début des années soixante, aux premières attaques spéculatives contre le dollar. La nouvelle administration américaine du Président Kennedy, qui engagea, par ailleurs, une politique économique expansionniste, réagit en proposant, en 1961, à six partenaires (Allemagne, Belgique, Italie, Pays Bas, Royaume Uni, Suisse) la création d’un « pool » de l’or afin de maintenir la parité or du dollar.
L’analyse du compte financier de la balance des paiements américaine traduit la croissance de cette position en dollars. Le solde annuel des actifs américains acquis à l’étranger (2) par rapport à ceux acquis par l’étranger aux Etats-Unis atteignait en 1960 1 805 milliards de dollars (3) le chiffre s’élevait à 2 833 milliards en 1961, puis à 4 053 milliards en 1963 et à 6 007 milliards en 1964. La tendance s’infléchit à partir de 1965.
Au regard d’une situation à la source de déséquilibres monétaires internationaux, le Général De Gaulle, inspiré par Jacques Rueff, marque son inquiétude lors de sa conférence de presse du 4 février 1965. Il affirme, notamment, que l’utilisation du dollar comme instrument de règlement des échanges internationaux permet aux Etats-Unis, le pays le plus riche et le plus puissant, de s’endetter dans sa propre monnaie, échappant ainsi à la contrainte extérieure.
1968 et 1969 marquèrent les premiers signes d’une inversion dans le processus de création de dollars. Ces années là, la balance commerciale des Etats-Unis se dégrada de manière très sensible, traduisant une perte de compétitivité de l’économie américaine grevée par une hausse de l’inflation et le coût de la guerre du Vietnam. Après un redressement en 1970, le premier déficit, substantiel, apparaîtra en 1971. D’un surplus d’investissement au travers du compte financier, la balance des paiements va évoluer en quelques années vers un déficit des transactions courantes, en augmentation continue, à quelques rares exceptions près, générateur d’une expansion de la masse de dollars en circulation.
Il faut remarquer que la croissance des positions en dollars allait être à l’origine de la création d’un nouveau marché, entre non résidents, celui des eurodollars où, par le jeu du crédit, la monnaie était créée indépendamment des autorités américaines. Néanmoins, cette création restera limitée au regard de l’ampleur prise par les déficits des Etats-Unis.
Durant toutes ces années, la contrainte essentielle demeurait, la convertibilité en or du dollar, à laquelle la France recourut. Certes la masse de dollars en circulation était encore limitée au regard des proportions qu’elle prendra dans les décennies suivantes. Il n’empêche que le rapport entre le stock d’or détenu par les Etats-Unis et les avoirs étrangers en dollars était de l’ordre de 2 en 1957, il était de 1 en 1960, aux environs du tiers en 1968 et d’un cinquième en 1971 (4).
La France quitta le pool de l’or en 1967. Les Etats-Unis y mirent fin le 17 mars 1968. Deux marchés allaient, alors, coexister : celui entre institutions financières où la parité d’échange demeurait à 35 $ l’once et un marché libre.
La croissance des déficits et la perte de confiance vis-à-vis du dollar qui en résultait amenèrent le président Nixon à suspendre, le 15 août 1971, la convertibilité or du dollar, supprimant ainsi toute référence métallique dans les échanges internationaux.
2/ Le temps des ruptures : crises et nouvelles conceptions économiques et financières
« Le dollar c’est notre monnaie et c’est votre problème ». Attribuée à John Connally, le secrétaire au Trésor de l’administration Nixon, de 1971 à 1972, cette remarque est emblématique de l’attitude des Etats-Unis quant aux conséquences de leur politique monétaire.
Dans un contexte d’inflation élevée (7,4% en moyenne durant la période 1970-1980 pour une croissance de 3,3% du produit intérieur brut (5), la balance des paiements fut marquée par des mouvements erratiques dont la tendance de fond était un déficit commercial fortement amplifié dans les trois dernières années de la période. Il était compensé, plus ou moins, par une progression des exportations de services mais surtout par une croissance substantielle des revenus d’investissements, liée à l’implantation internationale des entreprises américaines (ces revenus étaient de l’ordre de 5 à 6 milliards de dollars à la fin des années 60 pour atteindre respectivement 20,4 milliards de dollars en 1978 et 30,8 milliards de dollars en 1979).
Cette époque marqua un basculement des Etats-Unis dans leur mode d’insertion dans l’économie mondiale. Ils s’ouvrirent plus largement à celle-ci (le rapport entre la valeur des échanges commerciaux et le PIB passa de 7,8% en 1970 à 17% en 1980, les flux financiers de 1,6% à 4,9% (6), mais, précédemment exportateurs de marchandises et de capitaux, ils devinrent débiteurs.
Quatre évènements caractérisèrent cette phase essentielle dans l’évolution d’une économie mondiale dominée par les Etats-Unis.
• l’abandon des parités fixes et le flottement général des monnaies
• les crises pétrolières de 1973 et 1979
• la conversion à un nouveau paradigme économique
• les transformations des marchés de capitaux
Michel Leblay
21/11/2010
Notes :
Voir : Deuxième partie
Texte intégral en PDF, cliquer ici
Correspondance Polémia – 13/01/2011
Image : Délégation américaine à la Conférence de Bretton Woods, accords du 22 juillet 1944.