La balance des paiements des Etats-Unis et les crises financières - un demi-siècle d'histoire (Deuxième partie)

jeudi 13 janvier 2011

Deuxième Partie

 

Après l’analyse, dans une première partie, des deux premières époques définies dans l’introduction (de Bretton Woods à la non convertibilité or du dollar et la décennie soixante-dix et ses ruptures), cette seconde partie conduira des années quatre-vingt jusqu’au début de la crise financière de 2007-2008.

1/ Une Amérique aux apparences triomphantes s’enfonçant dans les déficits

La décennie, courant des élections américaines à la chute du communisme en Europe centrale et orientale, fut marquée par la présidence de Ronald Reagan incarnant une suprématie américaine retrouvée, assise sur une conception libérale de l’économie (« l’économie de l’offre ») en rupture avec celle de l’Etat providence.

Dans les faits, l’on constate une forte dégradation de la balance commerciale à partir de 1982, entraînant celle des transactions courantes. La hausse des taux entraîna une réévaluation du dollar renchérissant sensiblement le prix des produits à l’exportation. En compensation de ce déficit des transactions courantes le compte en capital et le compte financier (mouvements de capitaux à court et à long terme, variation des réserves de change) enregistrèrent un solde positif. Dans ces mouvements financiers vers les Etats-Unis, les investissements de portefeuille constituaient la première composante puis venaient les capitaux à court terme et les investissements directs. Les Etats-Unis déficitaires en dollars se refinançaient en dollars.

Deux crises financières affectant l’équilibre général du système allaient marquer cette décennie au milieu de laquelle fut conclu un nouvel accord sur la parité des monnaies.

• la crise de la dette mexicaine

  • Elle débuta le 13 août 1982, jour où le Mexique annonça qu’il ne pouvait plus faire face à ses échéances. La crise se propagea à l’ensemble du système financier international l’exposant, pour la première fois, au risque d’une crise dite « systémique ». Le montant des dettes contractées par le Mexique, le Brésil et l’Argentine auprès des banques américaines atteignaient, en moyenne, près de 135% du niveau des fonds propres de celles-ci. Cette crise avait deux causes principales : la brusque hausse des taux d’intérêt américains qui renchérissait le coût des emprunts et une baisse des prix des produits exportés. Le FMI accorda des prêts aux pays concernés afin qu’ils puissent honorer leurs engagements.

• l’accord du Plazza

  • Signé le 22 septembre 1985 par les Etats-Unis, le Japon, la République Fédérale d’Allemagne, le Royaume Uni et la France, l’accord avait pour objectif une dépréciation du dollar vis-à-vis du DM et du yen afin de réduire le déficit de la balance commerciale américaine (3,5% du PIB) et, corrélativement, les excédents commerciaux du Japon. Le dollar baissa fortement (à la fin 1986, il atteignit son niveau le plus bas depuis 1979) et pour enrayer sa chute un nouvel accord fut conclu à Paris, le 22 février 1987 (accords du Louvre).

le krach du 19 octobre 1987

  • A la suite des accords du Louvre, l’on assista à une remontée des taux d’intérêt à long terme qui s’accéléra au cours de l’été 1987. Concernant l’évolution du marché boursier, la valeur de l’indice Dow Jones fut multipliée par 2,3 entre le début de l’année 1983 et la veille du krach du 19 octobre, dans un contexte de baisse des prix du pétrole. Craignant que la hausse des taux ne finisse par pénaliser les investissements et provoquer un retournement de la conjoncture, les gestionnaires de portefeuilles, à l’annonce du déficit de la balance commerciale américaine, le 19 octobre au matin, donnèrent des ordres de vente. L’indice Dow Jones allait baisser en une seule séance de 22,6%. Le mouvement fut amplifié par la génération automatique d’ordres, programmée selon l’évolution des cours. La crise se propagea à l’ensemble des bourses (baisse de Londres et de Hong Kong en octobre 2007 respectivement de 26,4% et de 45,8%) du fait de la mondialisation des marchés de capitaux et de l’interdépendance entre les marchés des changes, de taux et d’actions.
  • Devant cette situation et voulant éviter une crise semblable à celle de 1929 où la contraction de la liquidité bancaire fut considérée comme déterminante dans sa diffusion, la Réserve Fédérale (le nouveau gouverneur Alan Greenspan avait été nommé le 11 août 1987), prêta massivement des liquidités, notamment aux maisons de titres, menacées de faillites. La parade aux crises semblait, alors, avoir été trouvée.

2/ De la fin de l’histoire à une crise financière, prélude au nouvel agencement du monde

Débutant sur les promesses d’une fin de l’histoire qui trouverait son accomplissement dans la démocratie et l’économie de marché, ce temps des illusions s’achèvera par une nouvelle crise financière dont les conséquences, à ce jour, ne sont jugulées ni dans leurs réalités, bien sûr, mais ni, cette fois-ci, dans leurs apparences.

L’effondrement du communisme dans l’aire soviétique, provoqué par la seule volonté des peuples qui le subissaient, semblait assurer la prééminence des idéaux américains et laissait espérer aux Etats-Unis l’extension de ceux-ci à l’ensemble de la planète, sous leur égide. Mais, dans un autre espace géographique, un régime communiste, tout en maintenant son pouvoir politique absolu, transformait sa pratique de l’économie. La Chine, convertie selon ses normes à l’économie de marché, bouleversa en moins de deux décennies la donne internationale en devenant le principal compétiteur de la première puissance mondiale et de l’Occident, dans son ensemble.

Tout au long de cette période allant de 1990 à 2007, le déficit de la balance des transactions courantes des Etats-Unis (essentiellement, celui de la balance commerciale) a crû dans des proportions conséquentes. Seule, l’année 1991 marque un excédent du fait des transferts unilatéraux correspondant au financement de la guerre du Golfe.

De 1990 à 2007, le PIB des Etats-Unis progressa de 65% en dollars constants (valeur 2005 (1)). Les exportations et les importations augmentèrent respectivement de 100% et de 171%. Ces chiffres montrent la perte manifeste de compétitivité de l’industrie manufacturière américaine mais aussi une ouverture de l’économie sur l’extérieur plus rapide que le rythme de croissance de la production intérieure. Concernant les transferts financiers, le montant des acquisitions d’actifs américains par des non-résidents passa de 192 455 millions de dollars à 2 012 803 dollars, soit une multiplication par 9,46, à l’inverse les investissements des Etats-Unis à l’étranger d’une valeur de 112 509 millions de dollars en 1990 atteignirent 1 384 976 millions de dollars en 2007 (valeur du dollar 2005), soit une multiplication par 11,31 (2).

La hausse considérable de ces mouvements de capitaux reflète la forte expansion de la liquidité, source d’une croissance démesurée du crédit. Il y a là, entre autres, les effets du déficit des transactions courantes de la balance des paiements américaine.

Il est important de préciser les deux manières d’action sur la monnaie durant cette période.

• La politique monétaire traditionnelle

  • Elle relevait de la Réserve Fédérale, dirigée par Alan Greespan. Deux objectifs ont guidé cette politique. Le premier, la maîtrise de l’inflation a permis de ramener à 2% par an, en moyenne, l’augmentation du niveau général des prix. Le second, , plus périlleux, a visé à maintenir un taux de croissance élevé quel que soit l’état du cycle économique. A cette fin, dans les phases de crise et de risque de récession, les autorités monétaires américaines, par la baisse de leurs taux d’intervention, ont largement accru la liquidité disponible.
  • Le niveau atteint par les taux (3) inférieurs, à certains moments, à la croissance de la production intérieure brute, a favorisé l’endettement, en particulier celui des ménages dont le taux d’épargne n’avait pas cessé de baisser depuis les années quatre vingt dix.
  • L’une des critiques qui peut être adressée à Alan Greenspan fut son attention insuffisante vis-à-vis de l’augmentation de la valeur des actifs (actifs financiers et immobiliers). L’inflation n’a été appréhendée que dans sa définition normalement retenue, celle de la hausse des prix à la consommation. Or, dans un pays où les ménages recourent au crédit hypothécaire, cette croissance du prix des actifs a engendré un effet de richesse qui, en l’absence d’épargne, incitait à contracter de nouveaux emprunts pour investir ou consommer. Lorsque le financement de l’économie par les marchés de capitaux occupe une place essentielle, des marchés très spéculatifs, de plus, la valorisation du patrimoine est précaire et sujette aux aléas de la conjoncture.
  • Il faut aussi constater que les succès enregistrés en termes de prix de biens et de services n’eurent pas pour seule cause l’action de la Réserve Fédérale. Outre l’augmentation de la productivité aux Etats-Unis, il convient de souligner l’incidence des importations à faible prix des nouveaux pays industrialisés, la Chine, principalement. Le résultat quant à la progression des prix eut pour revers l’atteinte au secteur industriel américain.

• Les réserves de change (4)

  • Afin de maintenir un taux de change qui leur soit favorable pour assurer un excédent significatif de leur balance commerciale mais aussi, pour certains d’entre eux, en vue de se prémunir contre d’éventuels mouvements spéculatifs, les nouveaux pays industrialisés d’Asie de même que les exportateurs de matières premières (OPEP, Russie…) ont constitué, à partir des années 2000, des réserves de change considérables. Un phénomène de cette ampleur n’a été possible que grâce aux facilités d’échanges de capitaux entre les différentes places financières.
  • S’agissant du dollar, la croissance des réserves de change est liée, pour l’essentiel, à l’accumulation des déficits de la balance des transactions courantes américaine (les pays d’Asie, au taux d’épargne élevé, ont bénéficié aussi de l’apport de capitaux privés). Les déficits ont donc été le facteur récent d’expansion de la liquidité mondiale.
  • Du point de vue de l’action sur la monnaie, dans l’optique précédente, celle de la Réserve Fédérale, l’attention se porte sur l’évolution de la masse monétaire, c'est-à-dire sur l’ensemble des moyens de paiement utilisables (5) : en revanche, l’augmentation des réserves de change relève d’une intervention qui affecte, d’abord, la base monétaire (6). Il s’ensuit une incidence sur le volume de la masse monétaire à la fois dans le pays qui augmente sa réserve et dans celui de la devise recherchée.
  • Dans la pratique, la Banque centrale de Chine, rachète, par exemple, les dollars d’un exportateur chinois (détenus, par nature, sur des comptes de dépôts dans des banques commerciales aux Etats-Unis). En contrepartie, elle émet de la monnaie nationale au bénéfice de l’exportateur par inscription au crédit du compte de sa banque en Chine (7). Grâce à ses dépôts en dollars, la Banque centrale chinoise pourra acquérir des actifs américains. Elle crée ainsi de la monnaie en dollars, à partir de sa propre base monétaire, puisque, par le paiement de ses achats, elle alimente le compte numéraire du vendeur.

Dans le déroulement des événements, deux crises importantes  ont précédé celle de 2007-2008 :

• la crise dite « asiatique » de 1997-1999 (8/9)

  • Elle débuta par la dévaluation du bath thaïlandais, le 2 juillet 1997 et se termina par celle du real brésilien, le 13 janvier 1999. Entre temps, survinrent le krach de la bourse de Moscou, le 17 août 1998 et la quasi-faillite, en septembre, du fonds spéculatif LTCM (10).
  • Du fait d’une hausse de leurs taux d’inflation, liée, pour une part, à une croissance trop élevée des investissements à un moment où se contractaient leurs exportations, la Thaïlande, la Corée du Sud, l’Indonésie, la Malaisie durent déprécier leurs monnaies. Le transfert de capitaux qui s’ensuivit fut à l’origine d’une hausse des indices boursiers aux Etats-Unis et en Europe. Puis, la forte baisse du prix des matières premières, en 1998, entraîna la chute de la bourse de Moscou. Cet évènement ébranla le système financier mondial, notamment, au travers du fonds LTCM et de ses engagements. Crée en 1994, il avait recouru à un endettement massif (11) pour réaliser ses investissements, ce que l’on appelle « l’effet de levier ». Afin de prévenir les risques, il avait souscrit, en particulier sur le marché russe, des contrats à terme garantis par des banques qui fermèrent lors de crise.
  • Constatant la situation financière dramatique du fonds et l’exposition au risque de contrepartie de grandes banques américaines et de quelques banques européennes dont LTCM était le client, la Banque Fédérale de New York (l’une des banques constituant le système de la Réserve Fédérale créé en 1913) obligea ces établissements à reconstituer le capital du fonds, conjurant la menace qui pesait sur les marchés financiers.
  • L’une des conséquences de cette crise fut la décision des pays asiatiques de constituer des réserves de change suffisantes afin de faire face à d’éventuels mouvements spéculatifs à l’encontre de leurs monnaies.
  • La crise a traduit l’instabilité structurelle d’un système où les capitaux nomades passent instantanément d’une place à l’autre au gré des krachs et des opportunités. De plus, la décision d’investissement et le risque afférent ressortissent, le plus souvent, de modèles mathématiques qui ne sauraient reproduire l’ensemble des éléments composant un contexte.

• la « bulle internet »

  • Elle s’est formée à partir de 1995, date à laquelle les investisseurs s’orientèrent vers les valeurs dites « à haute technologie », lançant ainsi un nouveau mythe : la « nouvelle économie ».
  • Elle correspond au schéma d’une spéculation financière classique. Au milieu des années 1990, les investisseurs, profitant d’une épargne mondiale importante et d’une baisse des taux, se tournèrent vers le secteur des services de télécommunication dont nombre de sociétés étaient cotées sur le marché électronique du NASDAQ (12) à New York. Plusieurs éléments paraissaient justifier cet engouement : le développement de l’Internet, des fusions et des alliances conclues entre de grands groupes, le besoin des entreprises multinationales de disposer de réseaux de communication performants, le passage à l’an 2000… Dans cet environnement favorable furent créées de nouvelles sociétés dont la dimension était limitée, certes, mais qui pouvaient, par ce fait, révéler une grande capacité d’innovation.
  • Face à une remontée des taux d’intérêt à long terme et au regard d’un secteur d’activité qui nerépondait pas aux anticipations (endettement trop élevé, capacités excédentaires, faillites…), les investisseurs procédèrent à des ventes massives à partir de mars 2000 entraînant une chute des indices boursiers sur les différentes places.
  • Deux autres évènements devaient affecter les marchés : les attentats du 11 septembre 2001 et le « scandale » Enron.
  • Afin d’éviter la récession, la Réserve fédérale baissa ses taux de manière drastique entre 2002 et 2004 favorisant encore la croissance de l’endettement. Avec la recherche d’instruments de plus en plus sophistiqués pour diluer le risque et lui échapper, dans un système de spéculation continue, il ne pouvait en résulter qu’une nouvelle crise.

Cette crise (13) que pouvait laisser augurer le contexte précédemment décrit, survint en 2007. Elle eut pour origine immédiate la défaillance d’emprunteurs, peu solvables, ayant contracté des crédits hypothécaires considérés comme risqués (14). Ces emprunteurs avaient bénéficié des différentes dispositions législatives et réglementaires découlant du Community Reinvestment Act de 1977 dont l’objet était de favoriser un accès égal au crédit.

Dans un marché aux liquidités abondantes, aux taux d’intérêt bas, où les prix de l’immobilier étaient en constante progression et les critères d’attribution des prêts assez lâches, les crédits furent largement accordés par les institutions financières qui accrurent ainsi leur activité.

Afin de transférer le risque associé aux crédits distribués et profitant de la liquidité des marchés, les banques, au moyen de montages complexes, ont cédé les prêts à des structures qui financèrent leurs acquisitions par l’émission de titres (« titrisation »). Le mécanisme fut étendu à d’autres types de crédits. De nouveaux instruments furent créés qui permettaient de garantir les détenteurs de titres contre les risques supportés.

L’augmentation des taux décidés par la Réserve Fédérale à partir de 2005 (15) a conduit à l’insolvabilité de nombreux emprunteurs du fait, en particulier, qu’une part des crédits hypothécaires avaient été souscrits à taux variable c'est-à-dire que le taux était révisé en fonction de l’évolution du taux de référence du marché .

La crise débuta dans le courant de l’été 2007, les défauts de paiement étant en croissance sensible depuis quelques mois. Une défiance s’instaura, alors, sur le marché des prêts de liquidités entre banques compte-tenu, notamment, des appréciations des agences de notation laissant prévoir une montée des risques. Face à la dégradation du marché de l’immobilier, les produits financiers qui en dérivaient ne pouvaient susciter que la crainte des opérateurs.

A partir de là, les évènements s’enchaînèrent conduisant à la crise financière de septembre 2008. L’ensemble du système financier international est gravement affecté et la situation économique des Etats-Unis, comme celle de nombre de pays européens, est maintenant fortement dégradée.

Les réelles conséquences sont à venir.

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Depuis un demi-siècle, le système financier international est atteint par des désordres successifs au centre desquels se trouvent le dollar, la politique monétaire conduite par les Etats-Unis et leurs déficits commerciaux.

L’Amérique a développé une puissance économique incomparable à partir du XIXe siècle, l’amenant à la suprématie à l’issue de la seconde guerre mondiale. Forte de cette position, elle a fait reconnaître à sa monnaie le privilège d’être la devise de réserve au moyen de laquelle les nations pouvaient régler leurs échanges. Ce statut aurait dû impliquer pour les Etats-Unis une responsabilité particulière quant à la gestion de leur monnaie et l’équilibre de leurs échanges avec le reste du monde. Un regard sur les chiffres montre qu’il n’en fut rien.

Certes, le privilège était assorti, à l’origine, d’une contrainte essentielle : assurer la possibilité d’une conversion en or. Affranchie de cette obligation de son seul fait, l’Amérique a pu poursuivre une politique qui visait moins à une domination impériale qu’à la garantie de sa prospérité, quelles qu’en soient les conséquences pour ses partenaires, ce que reflètent les propos de John Connally. Les crises, malgré leur multiplication, ne conduisirent à aucune remise en cause susceptible de restaurer les équilibres.

Assurément, les déficits extérieurs américains ne sauraient expliquer à eux seuls le délabrement progressif du système monétaire international. Néanmoins, la croissance des engagements américains puis la dégradation de leur solde des transactions courantes eurent, à l’origine, un rôle essentiel. Le solde commercial, devenu déficitaire, a conduit l’administration Nixon à décider du flottement du dollar. Pour se prémunir contre les fluctuations des monnaies, de nouveaux instruments financiers, hautement spéculatifs, ont été créés. Associées au développement rapide des moyens offerts par l’électronique, ces innovations ont rendu possible l’expansion des marchés de capitaux, échangeant instantanément entre eux.

Ainsi se constituèrent les éléments pratiques d’un changement dans la gestion de l’économie. L’action par la monnaie, expression supposée du libéralisme, devint la référence obligée. Elle se substituait aux politiques budgétaires, marque de l’intervention de l’Etat, aux effets considérés comme dommageables. Dans les faits, l’Amérique combina, selon les nécessités, les deux approches.

Si dans la première moitié des années quatre vingt, l’ajustement des taux fut le moyen d’une maîtrise de l’inflation, celle-ci contenue, la Réserve Fédérale eut alors pour objectif de maintenir le niveau de l’activité économique, régulièrement affecté par les crises financières. Cette politique d’intervention par la monnaie, facteur d’une expansion démesurée des liquidités, n’agissait en rien, au contraire, sur les causes des déséquilibres présentés par la balance des paiements. Le déficit des transactions courantes, sans cesse en accroissement, fut utilisé par les partenaires commerciaux en excédent pour constituer d’importantes réserves de change en dollars, créant ainsi de nouvelles liquidités.

Corollaire de la monnaie abondante, l’endettement excessif précipita l’Amérique dans une nouvelle crise qui s’étendit rapidement. Celle-ci s’inscrit dans une suite d’autres crises auxquelles les remèdes apportés ne faisaient que permettre la prochaine convulsion.

La crise que nous traversons affiche un nouvel état des rapports internationaux au regard duquel l’Amérique, atteinte sur le terrain de sa suprématie, l’économie, devra renoncer sinon au privilège, du moins à la manière de l’exercer.

Michel Leblay
21/11/2010

Notes :

  1. Ces calculs ont été effectués à partir des informations statistiques du BEA (Bureau of Economic Analysis) - http://www.bea.gov/index.htm
  2. Au regard de ces mouvements qui affectent la position extérieure nette, il faut observer, en prenant pour référence l’année 2007, la différence de composition entre les avoirs extérieurs des Etats-Unis et leurs engagements : dans les premiers dominent les investissements directs et les participations ; dans les seconds prévalent les créances. Ainsi, la position nette des participations était positive (3 000 milliards de dollars), libellée, pour l’essentiel, en devises, et la dette était négative (5 000 milliards de dollars), souscrite presque exclusivement en dollars. Dans ces conditions, des baisses enregistrées sur les places boursières étrangères ou l’appréciation du dollar dégradent la situation des Etats-Unis tandis qu’une baisse des taux dans ce pays valorise la position de ces créanciers – Source Revers de fortune - Gian Maria Milesi-Ferreti – Finances & Développement Mars 2009.
  3. De 6,24% en 2000, le taux des fonds fédéraux a été ramené à 3,88% en 2001 puis, respectivement à 1,67% en 2002, à 1,13% en 2003 et à 1,35% en 2004. Cette baisse des taux est intervenue après un début de décennie marqué par la fin de la « bulle » spéculative sur les valeurs technologiques, les attentats du 11 septembre et l’affaire Enron. Jointe à une politique budgétaire incitative, cette baisse a relancé la croissance avec une incidence négative sur la balance commerciale.
  4. Voir notamment : La Liquidité incontrôlable – Patrick Artus, Marie Paule Viard Pearson Education France ; divers bulletins « Flash Economie » de Natixis..
  5. La masse monétaire a trois composantes au moins : M 1 – les billets, les pièces et les dépôts à vue ; M 2 – M 1 + les dépôts à terme dont l’échéance est inférieure ou égale à deux ans ; M 3 – M 1+ M 2 + les instruments négociables sur le marché monétaire émis par les institutions financières monétaires. Depuis le 23 mars 2006, la Réserve Fédérale ne publie plus l’agrégat monétaire M 3.
  6. La base monétaire, dans une économie ouverte, est constituée par les réserves de change de la Banque centrale, les actifs en monnaie nationale qu’elle détient, les billets qu’elle émet et les réserves des banques dans ses livres.
  7. Afin de neutraliser tout ou partie de l’incidence sur la masse monétaire de cette création de monnaie, la Banque centrale peut émettre des titres ou des bons (l’une des problématiques tient à la différence entre les taux offerts par la Banque centrale chinoise et ceux sur les marchés du dollar) ou augmenter le taux des réserves obligatoires. Il faut mentionner, aussi, la crise dite des « Savings & Loans », concernant les banques de dépôts spécialisées dans le crédit hypothécaire. Une crise de l’immobilier en 1990 entraîna la faillite de plusieurs centaines d’entre elles.
  8. Cette crise et ses implications pour les Etats-Unis sont exposées dans Le nouveau XXIe siècle – Jacques Sapir.
  9. Voir aussi l’article de Maurice Allais – La crise mondiale d’aujourd’hui – 1998.
  10. Il est intéressant de noter que parmi les associés du fonds figuraient Myron Scholes et Robert Morton Prix Nobel d’économie en 1997 pour leur modèle mathématique d’évaluation des options (voir supra).
  11. En 1998, ses positions sur les marchés obligataires s’élevaient à un nominal de 100 milliards de dollars au regard de fonds propres limités à 4 milliards de dollars.
  12. Ouvert en 1971, le NASDAQ (National Security Dealers Association, fut le premier marché électronique d’instruments financiers. Dédié aux échanges d’actions, il est le second en volume d’opérations traitées derrière le New York Stock Exchange.
  13.   Voir La crise des subprimes - Rapport de Patrick Artus, Jean-Paul Betbèze, Christian de Boissieu, Gunther Capelle-Blancard.
  14.   Ces crédits ont été dénommés « subprimes » parce qu’ils ont été accordés à des emprunteurs à risque, contrairement aux « primes » qui concernaient des emprunteurs offrant les meilleures garanties.
  15.   Le taux des fonds fédéraux était de 1,35 % en 2004, il est passé à 3,22 % en 2005 puis 4,97 % en 2006 puis 5,02 % en 2007.

Voir : Première partie

Texte intégral en PDF, cliquer ic

Correspondance Polémia – 13/01/2011

Image : Plazza Hotel à New York où a été signé l’accord dit « du Plazza » le 22 septembre 1985, retenant notamment la dévaluation du dollar.

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