Internet, ou la liberté

mercredi 3 mars 2010

Après la loi Hadopi, voici la loi Loppsi. Internet est l’espace de tous les dangers, à contrôler d’urgence. Aussi dangereux que nos libertés ?

La toile d’araignée va-t-elle paradoxalement devenir un symbole de liberté ?

Internet en est certainement un pour les innombrables araignées du Net que sont les internautes. La liberté d’expression aux dimensions planétaires qu’il autorise est en revanche d’autant plus insupportables pour les pouvoirs qu’ils sont plus dirigistes et plus désireux de contrôler l’opinion. On le voit bien en Chine, où les dirigeants communistes tentent de limiter l’accès à l’information. On le vérifie aussi en France, où toutes les instances du politiquement correct travaillent aujourd’hui à baliser et maîtriser cet espace d’autonomie qui leur échappe.

Les prétextes ne manquent pas : Internet représenterait une aubaine inespérée pour les filières du terrorisme islamique, les réseaux pédophiles et les officines néo-nazies, comme on sait particulièrement nombreuses et actives en France, et qui distillent dans l’ombre le venin de la Bête immonde aux communautés internautiques. Il se trouverait donc des monstres tapis parmi les inoffensives araignées du Net. Ce n’est pas complètement faux : on trouve sur la toile, comme partout, le meilleur et le pire. Mais le prétexte, relayé par les médias gardiens de l’orthodoxie « citoyenne », dissimule un objectif inavouable : le monopole de l’opinion publique. Internet apparaît en effet comme une fenêtre ouverte sur un univers médiatique depuis longtemps confiné, dont le politiquement correct réglait jusqu’à présent la température. Voilà longtemps que la liberté de la presse, en France, n’était qu’un mot destiné à impressionner les gogos.

J’avais été saisi d’une douce hilarité en découvrant, en 2003, dans le métro parisien, de grands placards publicitaires qui figuraient Christine Ockrent gisant une balle entre les deux yeux, victime imaginaire de non moins imaginaires adversaires de cette fameuse liberté de la presse. Il fallait oser grimer en championne de la liberté d’expression cette personnalité éminente de la nomenklatura médiatico-politique, qui conjugua si brillamment les qualités de femme de ministre et de présentatrice du journal télévisé ! Dans un autre pays, on eût au contraire considéré cette confusion des genres comme une grave menace pour la liberté d’expression. Pas dans la république socialiste soviétique française…

Une fenêtre ouverte sur une pièce confinée peut laisser entrer de l’air sain ou de l’air pollué, mais c’est toujours un air nouveau, qui modifie la température ambiante et bouscule le vieil ordre, pour peu qu’il vienne à venter. Or, à l’extérieur de l’univers politiquement correct, ce ne sont pas les bourrasques et l’air frais qui manquent. La tentation est donc grande de refermer la fenêtre, à défaut de pouvoir complètement la murer.

C’est ce que tente de faire le pouvoir en préparant des lois inapplicables. Après Hadopi, qui sous prétexte de protéger les intérêts des artistes défend essentiellement ceux des maisons de disques, nos élus viennent de voter une nouvelle loi liberticide répondant au sobriquet de Loppsi. Elle s’abrite, comme souvent, derrière un alibi sécuritaire : il s’agirait de lutter contre la pédophilie et le terrorisme islamique. Mais la sécurité est-elle le seul souci de nos gouvernants ? Force est de constater que les tentatives pour contrôler l’espace de libre expression qu’est Internet se multiplient.

N’importe qui peut dire n’importe quoi !

Contrôler Internet, c’est contrôler l’information. Les exemples abondent d’indiscrétions qui, diffusées sur la toile, ont bénéficié d’une publicité nationale et même internationale qu’elles n’auraient jamais connue sans cela.

Aurait-on jamais vu, sans Internet, les images vidéo de l’agression dont fut victime un jeune homme, en avril dernier, dans un bus de nuit de la RATP, par des encagoulés qui le traitaient de « sale Français » ? En l’occurrence, la première réaction des autorités a consisté, non pas à rechercher d’abord les malfrats, mais l’origine de la fuite, puisque la vidéo provenait de la caméra du bus : un policier fut placé en garde-à-vue. Le premier qui dit la vérité…

Le débat sur la réalité de la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique – que l’on y croit ou pas – aurait-il pu s’engager ailleurs que sur le Net, alors que la « grande presse » ne diffuse que les arguments des tenants du réchauffement anthropique ? Sans le Net, les catholiques français auraient-ils pu, grâce aux efforts de Frigide Barjot (*), faire connaître leur soutien au pape Benoît XVI lorsqu’il fit l’objet d’attaques virulentes ? Aurait-on pu faire reculer le lobby homosexuel sur l’affaire du baiser de la lune (lire page 9) ? Plus récemment encore, les forces de l’ordre eussent-elles découragé le projet de « Kiss in » sur le parvis de Notre-Dame de Paris, monté par des associations homosexuelles militantes, si le Net n’avait pas permis de se fédérer aux opposants à cette provocation ?

Dans une étude consacrée à La tyrannie médiatique  (et gratuitement disponible sur la toile…), la Fondation Polémia donnait un exemple des corrections qu’Internet peut apporter à la propagande et aux bobards les mieux montés ; au lendemain de l’écroulement du régime de Saddam Hussein en Irak, alors que les télévisions du monde entier diffusaient les images d’une foule de Bagdadis en liesse accueillant les Américains sur une place de Bagdad, des millions d’internautes reçurent le décryptage de ladite image : « il avait suffi pour cela de remplacer les plans serrés, donnant une impression de foule, montrés par les télévisions, par des plans larges montrant 300 personnes, sinon 300 figurants (sur une ville de 5 millions d’habitants), exprimant leur joie programmée… sur une place largement vide. »

Que les pouvoirs publics le veuillent ou non, Internet est devenu un instrument incontournable du débat public, qui n’a sans doute pas encore pris toute sa place – d’où l’inquiétude qu’il engendre dans les cercles de la pensée unique. Or – et c’est heureux –, malgré les lois Hadopi et les lois Loppsi, les dimensions planétaires du réseau et les outils techniques dont disposent les internautes rendent – pour l’instant – le contrôle quasiment impossible.

L’araignée tient Big Brother en échec.

« Mais c’est grave, Internet, n’importe qui peut dire n’importe quoi ! », s’écriait Françoise Giroud, l’une des innombrables icônes du politiquement correct, peu de temps avant sa mort. C’est ce droit-là qu’il s’agit aujourd’hui de défendre contre le conformisme liberticide.

Eric Letty

Monde et Vie 823

20/02/2010

Correspondance Polémia

03/03/2010

(*) Note de la rédaction: Frigide Barjot (jeu de mot sur « Brigitte Bardot »), de son vrai nom Virginie Merle, née à Boulogne-Billancourt, est une humoriste et chroniqueuse mondaine, épouse de Basile de Koch ; elle co-dirige avec lui le groupe Jalons.

Image: La toile d’araignée va-t-elle paradoxalement devenir un symbole de liberté ?

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