Guerre à l'Iran : mais où sont donc les intérêts de la France ?

mardi 29 septembre 2009

Sur l’Iran le bruit des tambours médiatiques annonce celui des tambours de guerre. En fixant un quasi-ultimatum pour décembre 2009, Nicolas Sarkozy semble prêt à associer son gouvernement à une action guerrière contre l’Iran. Mais est-ce bien conforme aux intérêts de la France ?


1-La préparation de l’opinion à la guerre contre l’Iran est manifeste

– Pendant plus d’un mois les grands médias occidentaux ont commenté les résultats des élections iraniennes présentées comme frauduleuses alors que les fantaisies électorales du président Karzaï en Afghanistan n’ont guère fait l’objet de longs commentaires.

– Le régime iranien est couramment présenté comme « islamo-fasciste », ce qui est dépourvu de signification autre que polémique ; le président iranien Ahmadinejad est, lui, souvent comparé à Hitler, ce qui n’a pas davantage de sens historique ou culturel ! Il s’agit là de banales opérations de diabolisation.

– C’est dans ce contexte que la « découverte » de la mise en construction d’une usine près de Qom est utilisée pour affoler les populations : la fable du danger des « armes de destruction massive » (ADM) qui a si bien marché pour justifier la guerre contre l’Irak est reprise. Or l’usine de Qom n’en est qu’au stade du… génie civil.


2-Sarkozy va-t-en-guerre

La thématique anti-iranienne est une thématique « occidentale », c'est-à-dire israélienne, américaine et britannique. Nicolas Sarkozy y a rallié le gouvernement français – et même fait de la surenchère - en déclarant le 23 septembre qu’un Iran doté de la bombe nucléaire « C’est inacceptable ». « Pourquoi opposer le dialogue et des sanctions au cas où le dialogue ne prospère pas ? s’est interrogé Sarkozy. Je suis bien obligé de regarder, le dialogue ne prospère pas. Il y aura une date limite. Dans mon esprit, c’est le mois de décembre. » Cette surenchère verbale légitime par avance l’option d’une guerre préventive : américaine (« toutes les hypothèses sont sur la table » pour Obama) ou israélienne (le gouvernement Netanyahu-Lieberman y préparant l’opinion), guerre que la France s’apprête à légitimer sinon à soutenir militairement. Or l’Iran ne menace pas la France.


3-Les limites de la lutte contre la prolifération nucléaire

Bien sûr, en tant que puissance nucléaire la France n’a pas intérêt à la prolifération nucléaire. Moins il y a de puissances nucléaires, plus les pays qui sont dotés de l’arme nucléaire ont un avantage relatif. Ce raisonnement, la Russie et la Chine le tiennent aussi.

Pour autant cela n’a pas justifié hier une guerre préventive contre l’Inde et le Pakistan lorsque ces deux puissances asiatiques se sont équipées de l’arme nucléaire. Cela n’a pas davantage entraîné une guerre préventive contre Israël lorsque l’Etat juif s’est doté (avec l’aide de la France !) de plusieurs centaines de têtes nucléaires.

Evidemment, il y a là l’une des origines des ambitions (ou des arrière-pensées) nucléaires de l’Iran ; tous ses voisins sont dotés d’armes atomiques : la Russie au nord, la flotte américaine au sud, le Pakistan à l’est, Israël à l’ouest.


4-L’Iran : un vieux pays qui veut jouer un rôle régional


L’Iran – la Perse – est une des plus vieilles civilisations du monde. Ses dirigeants successifs depuis un siècle – les Pahlavi, Mossadegh ou les ayatollahs – veulent lui donner un rôle de puissance régionale au Proche-Orient. Ce rôle ne menace pas la France située à des milliers de kilomètres dans une autre zone géopolitique. La France peut même trouver un intérêt à un Iran indépendant : un fournisseur de matières énergétiques qui ne dépend pas des Anglo-Saxons et un client. C’est l’analyse qu’avaient faite les présidents De Gaulle, Pompidou et Giscard d’Estaing.

Certes, l’Iran est devenu une république islamique ; mais ce n’est pas l’Iran qui finance la construction de mosquées en France : c’est le Maroc, la Turquie, l’Arabie Saoudite. Ce n’est pas davantage  l’Iran qui aide les groupes radicaux salafistes (sunnites) qui veulent imposer la burqa dans nos banlieues : c’est l’Arabie Saoudite ; ce qui ne justifie pas pour autant, d’ailleurs, que nous fassions la guerre à l’Arabie Saoudite.

Bien sûr, l’Iran n’est pas blanc/bleu : l’Iran a aidé l’islamisation de la Bosnie d’Itzebegovic, islamisation que le gouvernement français soutenait à l’époque avec ses alliés… américains et britanniques.

Bien sûr, l’Iran est musulman – comme bien d’autres pays – mais la base de la politique est de distinguer logiques intérieures et logiques internationales. N’oublions pas la géopolitique de Richelieu. L’Iran n’est pas notre ennemi.
Voir : « Nucléaire iranien : s’inspirer de la géopolitique de Richelieu »
http://www.polemia.com/article.php?id=1978


5-Israël et la France : des intérêts qui ne se confondent pas

Dans cette affaire, l’ « ultima ratio » (sinon le seul argument) des partisans d’une guerre préventive contre l’Iran, ce sont les intérêts israéliens.

Dans son allocution télévisée du 23 septembre 2009 Nicolas Sarkozy a déclaré que vouloir « rayer Israël de la carte » serait une « monstruosité ». Sans doute, mais, contrairement à la rumeur et à la propagande de guerre, Ahmadinejad n’a jamais déclaré cela.

Dans la phrase incriminée de son discours du 25 octobre 2005 le président iranien n’a pas prononcé les mots « carte », « rayer » ni même « Israël ». La phrase exacte est la suivante : « L’Imam (Khomeini) disait que ce régime qui occupe Jérusalem doit disparaître de la page du temps. » Ce qui renvoit au problème de l’occupation des territoires palestiniens, sujet classique de contestation pour tous les dirigeants arabes et musulmans (voir : http://contreinfo.info/prnart.php3?id_article=1306

Certes, on nous dit aussi qu’Israël est un pays « ami » de la France. Sans doute, même si ce pays « ami » maltraite nos diplomates comme aucun autre pays au monde ne se le permet.

Voir : « La France humiliée par Tsahal »
http://www.liberation.fr/monde/0101576075-la-france-humiliee-par-tsahal

Notons toutefois, selon une formule maintes fois reprises par le général De Gaulle, que les nations n’ont pas d’ « amis », elles n’ont que des intérêts. Il peut, bien sûr, arriver que la France et Israël aient des intérêts communs mais ce n’est pas la loi générale, ni le cas particulier s’agissant de l’Iran.


6-Eviter les guerres préventives, choisir les politiques d’équilibre

Après la deuxième guerre mondiale, des généraux américains (Mac Arthur) plaidèrent la cause d’une guerre préventive contre la Russie et contre la Chine avant que celles-ci ne se dotent de l’arme nucléaire. Truman leur résista et épargna au monde le fléau d’une troisième guerre mondiale. Puis la Chine et la Russie s’opposèrent, permettant au jeu des puissances de s’équilibrer.

Depuis, les Etats-Unis ont choisi de bouleverser l’équilibre au Proche-Orient en livrant des guerres préventives à l’Irak… contribuant par là même à créer le problème iranien.

Et depuis le début de son existence Israël a recouru aux guerres préventives… sans jamais connaître la paix.

Revenons-en à la vieille sagesse européenne : ce qui garantit la paix ce n’est pas l’écrasement des uns au profit des autres ; c’est l’équilibre des puissances.


Polémia
29/09/2009

Image : Armée française





 

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