Nucléaire iranien : s'inspirer de la géopolitique de Richelieu (édito 12/06)

mercredi 25 mars 2009

A l’heure du « choc des civilisations » la vraie question qui se pose est de savoir si celui-ci est davantage préoccupant à l’intérieur ou à l’extérieur de nos frontières.
N’est-il pas paradoxal, voire irresponsable, que certains chefs politiques français soient favorables à la construction de mosquées sur notre territoire, tout en impliquant militairement la France dans les conflits à direction américaine du Proche-Orient ? Ne serait-il pas plus raisonnable, dans une logique de politique réaliste, telle que fut celle de Richelieu, de s’opposer à l’islamisation de la France sans pour autant adopter une attitude inutilement belliqueuse vis-à-vis des régimes musulmans du Proche-Orient ? Une telle mise en perspective peut servir de grille d’analyse dans la question du nucléaire iranien.


Explications :

1. L’examen qui suit sur le développement du programme nucléaire iranien laissera de côté les aspects techniques et juridiques de la question pour se borner à l’analyse politique des intérêts des principaux protagonistes – l’Iran, les Etats-Unis, l’Etat d’Israël – et la France.

2. Objectivement l’Iran ne manque pas de raisons de développer un programme nucléaire : civil d’abord, pour conserver une partie de ses ressources pétrolières pour l’exportation et développer une technologie nouvelle ; militaire, le cas échéant, dans la mesure où au cours de son histoire récente l’Iran a fait l’objet d’une guerre d’agression dans les années 1980 de la part de son voisin irakien, à l’époque soutenu par les puissances occidentales ; compte tenu du fait aussi que deux de ses voisins – l’Afghanistan et l’Irak – ont été envahis par les forces américaines et leurs alliés ; enfin, parce que ses principaux voisins sont d’ores et déjà dotés de l’arme nucléaire : la Russie au nord, le Pakistan à l’est, l’Etat d’Israël à l’ouest et, bien sûr, les Etats-Unis présents militairement, à travers leurs forces terrestres, navales ou aériennes, à l’est, à l’ouest, au nord et au sud de l’Iran.

3. Ce programme nucléaire iranien (civil et/ou militaire) est évidemment contraire aux intérêts des Etats-Unis, l’Iran étant la principale puissance de la région échappant à leur contrôle direct ou indirect ; pour autant, le choix de la riposte en termes de sanctions diplomatiques et économiques, voire d’actions militaires, que peuvent choisir d’y apporter les Etats-Unis est loin d’être facile : par l’intermédiaire des groupes chiites l’Iran exerce une influence importante en Irak, au Liban et dans d’autres pays du Proche-Orient et son rayonnement sur l’ensemble du monde musulman est incontestable. La presse anglo-saxonne n’ignore pas, d’ailleurs, ces réalités :
http://www.polemia.com/contenu.php?iddoc=1164&cat_id=32

Aussi l’option diplomatique étudiée par la commission Baker, ancien secrétaire d’Etat du premier président Bush, peut à de nombreux égards apparaître plus raisonnable que l’option militaire alors même que les Etats-Unis sont déjà en difficulté en Irak et en Afghanistan.

4. Le point de vue de l’Etat d’Israël et de ses soutiens est sensiblement différent. Réuni à Paris le 17 novembre, le congrès juif mondial a pris une ferme position contre les prétentions nucléaires iraniennes en qui il voit la plus grande menace contre les juifs depuis la dernière guerre mondiale. Point de vue que semble avoir repris Ségolène Royal.

L’Etat d’Israël, il est vrai, s’inscrit depuis 1948 dans un environnement régional d’Etats hostiles nombreux et en développement démographique. L’Etat d’Israël a traditionnellement compensé ces déséquilibres géopolitiques par un armement à la fois classique et nucléaire (de 200 à 400 ogives) beaucoup plus puissant que celui de ses voisins.
Il a aussi livré de nombreuses guerres : « préventives », aux yeux de ses partisans, « d’agression », aux yeux de ses adversaires, notamment la guerre des Six Jours, qui lui attira la désapprobation de la France du général de Gaulle, en 1967, et, plus récemment, en juillet/août 2006, la guerre au Liban lui valant la réprobation de larges pans des opinions publiques internationales.

Reste que si les gouvernants israéliens jugent indispensable une intervention militaire contre les sites nucléaires iraniens, ils la conduiront sans doute : avec le concours des Etats-Unis s’ils le peuvent, seuls, avec le consentement tacite américain, sinon. Une telle action ne manquerait pas d’avoir des répercussions majeures au Liban et placerait sans nul doute dans une position délicate le contingent français de la FINUL.

5. Dans cette affaire, la question qui doit être posée est celle des intérêts de la France.
Observons d’abord qu’en tant que puissance nucléaire elle n’a pas intérêt à la dissémination de cette arme ; car tout accès d’un nouveau pays à l’arme atomique diminue son avantage relatif. Néanmoins, ce point de vue n’a pas conduit, par le passé, la France à s’appuyer sur le traité de non-prolifération nucléaire de 1968 pour tenter d’empêcher d’accéder à l’arme nucléaire certains pays comme l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord… ou l’Etat d’Israël.

Au demeurant, depuis Hiroshima et Nagasaki, l’arme nucléaire a jusqu’ici été conçue comme arme de dissuasion et d’équilibre des forces, et non comme arme d’agression. Et aucun de ses détenteurs n’y a eu jusqu’ici recours.

On voit mal, d’ailleurs, quelle menace – à supposer qu’il dispose de vecteurs géostratégiques adéquats – l’Iran pourrait faire peser sur la France : même s’il est traversé par les divers courants d’une révolution islamique pas encore totalement stabilisée, l’Iran reste un pays de grande civilisation qui a toujours entretenu des relations de coopération avec la France : si la révolution khomeyniste a brutalement interrompu l’accord franco-iranien sur le projet Eurodif d’enrichissement d’uranium (déjà), lancé à l’époque du Shah d’Iran dans les années 1970, les entreprises françaises sont aujourd’hui très présentes à Téhéran : notamment les banques, les firmes automobiles et Total, vecteur de notre indépendance pétrolière. Ce n’est pas d’ailleurs tout à fait un hasard si la France (comme la Russie ou la Chine) est présente en Iran, justement parce que ce pays, contrairement à l’Arabie Séoudite ou au Koweït (et désormais à l’Irak), échappe à la domination anglo-saxonne sur ses ressources. Un conflit militaire avec l’Iran ne serait donc manifestement pas conforme à l’intérêt de la France.

Ajoutons que la notion de « guerre préventive » – qui peut prévaloir dans certains cercles américains ou israéliens – est loin d’être satisfaisante. Non seulement pour des raisons morales mais aussi pour des raisons pratiques : toute guerre « préventive » crée un climat de méfiance et a tendance à en engendrer d’autres ; c’est un peu le cycle infernal dans lequel se débat l’Etat d’Israël : chaque guerre, même gagnée, contribuant à rendre inéluctable la suivante et entretenant les cycles diaboliques provocation/répression, humiliation/vengeance et terrorisme aveugle/assassinats ciblés.

De ce point de vue là les Etats-Unis avaient eu la sagesse de renoncer à la logique de la guerre préventive que leur permettait le monopole de l’arme nucléaire face à l’URSS en 1946 et à la Chine pendant la guerre de Corée. Certes, cela n’a pas empêché le développement de conflits périphériques, mais le monde, y compris occidental, a sûrement gagné en s’épargnant deux guerres mondiales de plus !

Ajoutons que, comme puissance moyenne, la France, mais aussi l’Union européenne, ont intérêt au développement d’un monde multipolaire où d’autres grandes puissances, comme la Russie, ou des puissances régionales, comme l’Iran, viennent équilibrer l’omnipotence de l’hyper-puissance américaine.

Dans cette affaire du nucléaire iranien la France et l’Union européenne doivent avoir d’abord en tête de faire prévaloir la sagesse et leurs intérêts. Et leurs opinions publiques doivent être vigilantes face aux possibles manipulations. Les officines de communication qui ont inventé l’affaire des couveuses de Koweït City, la fable de l’Irak 4e armée du monde, le mythe de l’épuration ethnique du Kossovo et le mensonge des armes de destruction massive (ADM) de Saddam Hussein sont encore capables de sidérer les esprits :
 http://www.polemia.com/campagne.php?iddoc=1283&cat_id=61

Bref, s’il faut « aller dans l’Orient compliqué avec des idées simples », comme disait le général de Gaulle, il nous semble que la déconnexion des problèmes intérieurs et extérieurs liés à l’islam, le souci des intérêts légitimes de la France et de l’Europe, la recherche de l’équilibre des puissances peuvent aujourd’hui servir de boussole. Le monde n’a pas commencé en 1945. La politique internationale ne se résume pas à la lutte du bien contre le mal. La vision souveraine de Richelieu, la logique d’équilibre des puissances des traités de Westphalie et de Vienne, la conception européenne traditionnelle du droit de la guerre et du droit des gens doivent redevenir des sources d’inspiration d’une politique étrangère indépendante et équilibrée plus soucieuse des intérêts de la France et de l’Europe que de ceux des autres.

Polémia

11/12/06

 

 

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