L'Afrique en Europe / Colloque organisé par l'Institut de géopolitique des populations, le 23 avril 2009, Introduction et Conclusions

mercredi 6 mai 2009

A/ Introduction

Je commencerai par une citation, tirée du Monde, une fois n’est pas coutume, d’un livre tout récent d’un auteur britannique, John Liffe, consacré à l’Afrique. Notre auteur y écrit : « Depuis la nuit des temps, la démographie est le fil rouge de l’histoire de l’Afrique ». Tout y est. Tout est dit, tant pour ce qui concerne le passé que l’avenir, notre avenir commun.

En effet, comment assurer au XXI° siècle une coexistence aussi pacifique que possible entre une Europe riche, mais vieillissante, et une Afrique désespérément pauvre, mais à la fécondité explosive ? Comment prévenir que chassés par la misère, les guerres civiles permanentes et maintenant les changements climatiques, l’Afrique ne soit inexorablement poussée à déverser ses hommes en trop sur les rivages d’une vieille Europe d’abord débordée  puis submergée?. Voilà pour l’une comme pour l’autre le grand défi qui s’ouvre dans ce début de siècle. Les enjeux sont colossaux, pour chacune, en termes de survie économique, sociétale, politique et géopolitique. Le choix est clairement entre un dramatique naufrage conjoint et un avenir difficilement arraché à un destin forcément tragique

Car on sait aujourd’hui que l’immigration massive, quoiqu’en aient dit de bons esprits, n’est nullement une panacée ni une potion magique, ni pour l’Europe, ni pour l’Afrique. Le remède est pire que le mal. L’immigration de masse, faut-il le rappeler, est terriblement coûteuse et déstabilisante, que ce soit en termes d’identité, de coûts budgétaires ou sociaux, sans parler des inextricables problèmes d’intégration. La crise économique actuelle qui ne cesse de s’aggraver ne pourra manquer de rendre intolérable ce qui était déjà insupportable.

Et que l’on ne vienne pas nous dire, comme on ne cesse de le faire sempiternellement, que le problème de l’Afrique est surtout économique. Il est d’abord et avant tout de nature démographique. Mais le langage convenu, associé à la pensée unique, se refuse à admettre cette réalité pénible.

En fait, depuis quelques années, l’Afrique se développe, bien qu’à un rythme insuffisant. Quelques « locomotives », peu nombreuses, Nigéria, Afrique du Sud, Gabon tirent la moyenne africaine vers le haut alors même que les autres, plus nombreuses, reculent ou stagnent. Mais d’une part, il s’agit d’une croissance « à la russe » : elle repose largement sur l’exploitation forcenée par les pays développés ou émergeants, - Chine au premier rang -, de ressources naturelles devenues rares et non renouvelables, pétrole, lithium, uranium, bois, or diamants, et non sur la création d’une agriculture efficiente ou d’une industrie moderne. En fait, le mode de développement économique de l’Afrique reste  désespérément primaire.

Bien plus, les maigres gains économiques, calculés en termes de revenu par tête, sont instantanément « dévorés » par une croissance démographique qui reste une des plus élevée au monde. D’où la stagnation chronique du niveau de vie.

Combinée aux guerres civiles chroniques, à l’insécurité physique, à la corruption endémique, à l’incorrigible mauvaise gouvernance, cette misère pousse les Africains toujours plus nombreux et désespérés en quête de salut vers l’Europe, d’où des flux migratoires toujours plus gonflés.

Dernière recette, ou dernière chimère, après une aide publique toujours plus généreuse et toujours plus inefficace, la solution ne serait-elle pas désormais dans le co-développement ? Noble pensée et jolie formule, mais cette fausse fenêtre donne en fait sur une voie sans issue. Car voilà que d’éminents experts, Mme Withold de Wendel au premier rang , une savante s’il en fût, nous enseignent - ce que l’on soupçonnait déjà - à savoir que le développement même modeste ne fait que renforcer les courants migratoires. Car ceux qui avant ne savaient pas ou ne pouvaient pas, savent et peuvent désormais émigrer vers des cieux plus cléments, les nôtres en l’occurrence. La boucle est bouclée et le piège de la pensée unique se referme sur lui-même. Ne comptons pas sur le co développement pour réduire les flux migratoires.

Alors que faire ? Si la croissance démographique non maîtrisée est le problème central de l’Afrique, - et donc de l’Europe par contre coup-, c’est sur ce problème crucial qu’il faut faire porter l’effort et nulle part ailleurs. Tant qu’il ne sera pas abordé et réglé, comme Chine et Japon ont réussi à le faire, rien ne sera réglé.

Sinon, Il faut chercher autre chose. Mais quoi ? Et bien, honnêtement personne n’en a pas la moindre idée. Si ce n’est continuer à faire mollement ce que l’on a toujours fait, un peu plus d’aide par ci, un peu d’humanitaire par là . Ca ne mange pas de pain même si cela ne règle rien, le tout enrobé dans le noble discours humaniste de rigueur. Nous barbotons ici en peine hypocrisie

Mais ce que nous pouvons parfaitement anticiper, et c’est ce que nous allons nous efforcer de faire maintenant, est ce que pourraient être, ce que seront à coup sûr, les conséquences pour l’Europe d’une invasion démographique de l’Afrique, invasion pacifique certes, mais invasion quand même. Le Camp des Saints est-il pour demain?

Yves-Marie Laulan 
Pésident de l’Institut de Géolitique des Populations
Colloque du 23 avril 2009



B/ Conclusions : l’avenir de l’EurAfrique

1°/ L’histoire de l’homme présente de très nombreux exemples de la colonisation  d’un pays, d’une région ou même d’un continent avec substitution progressive de la population d’origine par une population venue d’ailleurs, laquelle exerce naturellement peu à peu des effets d’influence, de transformation et, de façon ultime, de domination, dans les domaines les plus divers, économiques, sociétaux, linguistiques,  religieux et, bien sûr politiques.

On songerait ici par exemple au Texas colonisé par les Espagnols au 17° siècle puis chassés par les colons américains de Houston au début du 19° siècle. Mais avant même cet épisode, ce serait la colonisation du continent américain par l’arrivée de colons britanniques du Mayflower, celle de l’Amérique latine à la suite de Cortez et de Pizzare, de l’Afrique du Sud où les Zoulous venus du Nord ont chassé ou massacrés les ethnies africaines d’origine pour être à leur tour refoulés par les colons Boërs avant de prendre leur revanche avec l’admirable Mandela dans la 2° moitié du XX° siècle. On retrouverait le même processus , mais en pire, au Zimbabwé.

Mais au fond, il en est allé de même pour l’Algérie anciennement française puis devenue l’Algérie algérienne pour cause démographique. On en dirait autant du Kosovo ou les colons albanais ont fini par surclasser les habitants d’origine serbe  pour  obtenir tout récemment l’indépendance politique.

Dans tous ces exemples, sans exception, les phénomènes démographiques ont joué le rôle essentiel, un rôle sans appel. Tôt ou tard, la population la plus nombreuse, la plus dynamique démographiquement, à la fécondité la plus élevée, finit inéluctablement par l’emporter et imposer sa loi à la population d’origine à la fécondité anémiée. On reconnaitra ici sans peine en pointillé les traits de l’Europe en ce début de XXI° siècle.

En fin de compte, la leçon de l’histoire est claire : qu’elle soit pacifique ou violente, une immigration massive est quasiment toujours porteuse d’une menace politique à terme.

2°/ Pour ce qui concerne le cas européen, et plus particulièrement français, ce qui frappe le plus dans la situation actuelle est le caractère massif et étonnamment rapide du phénomène d’implantation d’une  population allogène.

Songeons que l’installation des Romains dans la Gaule de César n’a concerné qu’une poignée d’individus et encore sur plusieurs siècles avant que la Gaule ne devienne romaine. L’invasion de l’Angleterre saxonne par les chevaliers normands de Guillaume le Conquérant ne concernait qu’un tout petit nombre d’individus armés, il est vrai, de la force militaire. Des études anthropomorphiques récentes ont ainsi montré que génétiquement parlant la population britannique au XX° siècle ne comportant qu’un très faible pourcentage d’éléments venus d’ailleurs, pas plus, semblerait-il, de 3 à  4 % de la population d’origine installée dès la préhistoire.

En Europe, en ce début du XXI° siècle, là où il fallait naguère des siècles, les mutations démographiques s’effectuent en quelques années. On est manifestement en présence d’un phénomène démographique sans précédent dans l’histoire européenne. Il est également évident que le caractère exceptionnel du phénomène n’a pas encore pénétré la conscience des responsables politiques européens ni d’ailleurs celle d’une bonne partie de  l’opinion publique.

Ce caractère exceptionnel est illustré par les informations tirées d’une toute récente étude de l’INED, sous la plume de Mme Tribalat, démographe respectée et reconnue. Cette publication de l’INED montre que la proportion de jeunes d’origine étrangère est passée de 11,6% en 1968 à 18,1 % en 2005, notamment en Ile-de-France où elle est passée de 16 % à 37%. En d’autres termes, sur les bases actuelles, bientôt le quart, peut-être un jour le tiers, de la population française sera d’origine étrangère (dont une très forte proportion naturellement provenant du Maghreb ou d’Afrique noire, souvent musulmane)

Le tableau est clair. Sur la base des tendances démographiques actuelles, on assistera à la  coexistence d’une population européenne d’origine stagnante et vieillissante et à la fécondité anémiée, et de flux migratoires croissants à la fécondité dynamique. Il en ressort que l’Europe comporte déjà, et comportera encore davantage, une composante démographique d’origine africaine d’abord significative, puis importante, enfin élevée voire très élevée. A moins que cette situation ne change du tout au tout sous l’effet de facteurs imprévisibles. Mais, en matière démographique, les miracles sont rares.

3°/ Alors que peut-il se passer dans cette EurAfrique en gestation dont nous voyons déjà se dessiner les prémices sous nos yeux ? Personne n’en peut rien savoir bien sûr et nous serons donc réduits à imaginer quelques conséquences et scénarios plus ou moins probables.

a) Notons en premier lieu que personne n’a évoqué aujourd’hui la crise économique profonde dans laquelle la France, et l’Europe, sont en train de s’enfoncer sans que personne ne puisse raisonnablement en prévoir l’issue. Tout  ce que l’on peut dire est qu’il est fort peu probable que cette crise reste sans influencer les flux migratoires à venir et l’intégration des Africains déjà résidants chez nous.

b) L’Europe de Schengen, celle de la libre circulation des personnes, ne résistera probablement pas à terme à l’inégale répartition de la population africaine sur le territoire européen (avec plus de 50% en France). Les pays voisins, notamment, l’Allemagne, seront-ils enclin à accepter chez eux les Africains trop nombreux implantés en France ? Rien n’est moins sûr.

c) Sur le plan économique, comme il a déjà été remarqué dans nos précédents colloques, il est manifeste que la montée en puissance dans la population active d’une proportion de plus en plus forte de travailleurs africains peu ou pas qualifiés ne  peut que tirer vers le bas la productivité moyenne du travail, avec une influence négative sur la croissance.

d) En corolaire, il paraît vraisemblable que les coûts sociaux résultant de l’immigration, puis de l’intégration d’immigrants africains ne peuvent que s’alourdir d’année en année.

e) En dehors de ce constat à caractère général, un premier scénario optimiste, celui que portent en eux plus ou moins consciemment les «immigrationnistes » - ils sont nombreux dans les médias et parmi nos « élites »- veut que cette population d’origine africaine ou étrangère jeune, vigoureuse et dynamique, va insuffler un sang nouveau dans les veines appauvries de la vieille Europe. Dés lors celle-ci va se redresser, reverdir  et connaître un véritable printemps démographique, mais aussi économique, culturel  et politique. L’Europe va refleurir.

Le spectacle de nos écoles et de nos banlieues donne néanmoins à penser qu’il pourrait peut-être en aller différemment.

f) Ici, je ne peux faire mieux qu’évoquer des souvenirs personnels. J’ai été, en effet, voici près d’un demi-siècle, jeune économiste frais émoulu de l’université, nommé par le Fond monétaire international chargé de mission pour Haïti . J’allais dans ce pays attachant, que je connais bien, tous les trois mois au moins sinon davantage, et cela pendant plusieurs années. Je disais alors à ma secrétaire que « l’homme irait à coup sûr dans la lune, mais qu’Haïti ne se développerait  jamais ». Prophétie, hélas, tristement réalisée de nos jours. Car Haïti est encore aujourd’hui une sorte d’enfer tropical aux terres épuisées, où les villes sont de perpétuels cloaques odorants, où la population paupérisée au-delà de l’imaginable vit au quotidien dans la peur et le désespoir. Et cela en dépit d’une aide internationale constante.

Que s’est-il donc  passé pour en arriver là après plus de deux siècles de décolonisation et d’indépendance ? Eh bien, on ne sait pas au juste.  Mais  les historiens locaux soulignent qu’ après la libération d’Haïti au début du 19°siècle de l’oppression française, grâce à Toussaint Louverture, les métis ont chassés les blancs, puis les noirs de Papa Doc Duvalier, et de bien d’autres encore, ont chassé les métis. On en est là.

Pourrait-il en aller de même dans l’EurAfrique de demain ? Bien sûr que non. Cette hypothèse paraît absurde. Mais l’exemple d’Haïti et le parcours chaotique de l’Afrique  post coloniale incitent  quand même à la réflexion. 

Yves-Marie Laulan 
Pésident de l’Institut de Géolitique des Populations
Colloque du 23 avril 2009

Voir :
http://www.polemia.com/article.php?id=2131
http://www.polemia.com/article.php?id=2132

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