Lois liberticides dites mémorielles

jeudi 27 novembre 2008

Le 18 novembre, la mission d’information créée le 25 mars dernier à l’Assemblée nationale et présidée par Bernard Accoyer a déposé son rapport. Elle devait répondre à trois questions : Quels rapports le Parlement entretient-il avec l’histoire ? Est-ce à la loi de qualifier les faits historiques ? Les lois « mémorielles » sont-elles nécessaires ?

Avant d’en arriver à ses conclusions, relevons tout d’abord que la feuille de route (*) de cette mission était, volontairement ou non, tronquée dès le départ puisqu’elle présentait la loi Gayssot, la première des lois appelées pudiquement « lois mémorielles » destinées à défendre une vérité historique, sous le libellé suivant : « Loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe » ; cette appellation très officielle omettait donc tout simplement le véritable objet de cette législation innovante, celui de qualifier de délit, par son article 9, la contestation de l'existence des crimes contre l'humanité tels que définis par le Tribunal de Nuremberg. D’ailleurs, les juges, eux, ont très bien compris le sens de la loi et, depuis 1990, ils ne se sont pas privés de faire appel allégrement à cet article 9 pour condamner historiens, universitaires, chercheurs, hommes politiques ou plus simplement particuliers révisionnistes à de lourdes peines, allant parfois jusqu’à la prison ferme.

En raison des multiples débats qui se sont ouverts dès le début des travaux préparatoires au vote de cette loi totalitaire, contraire aux principes de la liberté d’expression et de recherche – de nombreuses personnalités intellectuelles ou politiques la désapprouvant – on aurait pu penser que cette mission aurait saisi l’opportunité qui lui était offerte pour conclure à l’abrogation de cette loi scélérate. Eh bien non, les trente-deux membres, à l’unanimité, se sont limités à recommander de ne plus adopter à l’avenir de lois « mémorielles » mais ont exclu de revenir sur celles qui ont déjà été promulguées. Joli coup d’épée dans l’eau ! Une fois encore, nos députés ont tiré une cartouche à blanc.

On trouvera ci-après, d’abord sous la plume de Yves Argoaz, un commentaire sur l’attitude de Pierre Nora, académicien et historien bien en cour et président de « Liberté pour l’histoire », suivi de quelques-uns des arguments et observations avancés par Anne-Marie Le Pourhiet, juriste, docteur en droit, professeur agrégé de droit public à l'Université Rennes-1, vice-présidente de l'Association française de droit constitutionnel (AFDC) et de la Société des professeurs des facultés de droit (SPFD), membre suppléante du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), lors de son audition à la table ronde n°6 de la mission, le 14 octobre. 
R.S.

A/ Pierre Nora et « Liberté pour l'histoire » renoncent à exiger l'abolition de la loi Gayssot, principal outil législatif « scélérat » permettant au pouvoir politique de censurer l'historien lorsque ses travaux déplaisent au Souverain.

Tout le monde avait salué le bon sens et le courage des 19 historiens qui, en décembre 2005, ont lancé une pétition demandant l'abolition de la loi Gayssot (du 13 juillet 1990) en même temps que divers autres textes accordant une reconnaissance officielle rétroactive à des événements historiques faisant l'objet de contestation par les parties intéressées, selon le camp dans lequel elles se rangent (celui des descendants des présumées victimes ou des présumés bourreaux). Le génocide des juifs, le génocide des Arméniens, divers ethnocides et génocides résultant de l'esclavage, de la colonisation et de la décolonisation, avec de possibles demandes d'indemnisation à la clé, ont ainsi, tour à tour, fait l'objet d'une demande de reconnaissance politique et judiciaire pénalisant leur éventuelle contestation ou minimisation.

La loi Gayssot avait permis de faire condamner divers auteurs, universitaires, politiques, ou simples citoyens, ayant fait montre de scepticisme ou ayant contesté publiquement la version reconnue officiellement de divers aspects de la deuxième guerre mondiale (non seulement les crimes jugés à Nuremberg, mais aussi la répression des actes de résistance à Oradour et Tulle, entre autres). Peu ont été ceux qui, à l'époque, ont osé s'élever avec vigueur contre la scélératesse de la majorité des députés qui, au moment des départs en vacances (le 13 juillet), ont imposé aux Français une loi liberticide allant à l'encontre de la sacro-sainte liberté d'expression gravée au cœur de notre charte des droits de l'homme. Nous venions de subir, après divers scandales révisionnistes montés en épingle par la presse, l'odieuse affaire de la profanation de Carpentras (dont l'enquête a donné des résultats aussi étranges qu'insatisfaisants), et les contestataires des crimes des vaincus de la deuxième guerre mondiale avaient bon dos.

Mais ne voilà-t-il pas que toutes sortes de mémoires lésées, sous-estimées, déformées, bafouées ou victimes de l'indifférence, s'engouffrent dans la brèche. « Pourquoi eux et pas nous ? » s'interrogent les descendants d'esclaves, de colonisés, les expatriés de l'histoire, les bombardés, nucléarisés, expulsés, rapatriés, trahis, vendus au « sens de  l'histoire », parfois rachetés à bas prix par la Françafrique post-coloniale…

C'en est trop, estiment bon nombre d'historiens. Il faut mettre fin à cette « concurrence des mémoires » sans fin qui dresse les communautés du souvenir les unes contre les autres. Il faut séparer le travail, neutre, de l'historien du besoin de commémoration qui rassemble telle ou telle communauté derrière une symbolique du souvenir douloureux et l'oppose éventuellement à une autre communauté qui cultive, tout aussi légitimement, ses propres « souvenirs ».

D'où l'appel des historiens qui, à juste titre, se veulent au-dessus de la mêlée mémorielle… L'Histoire, disent-ils, est tout autre chose que le culte de la mémoire. Elle ne s'apparente à aucun culte. Elle étudie, revoit et révise sans cesse ses champs d'investigation. Elle est révisionniste par nature. Les tabous de la mémoire, surtout lorsqu'ils s'appuient sur des textes de loi, lui sont étrangers et nuisibles. Sans priver les communautés mémorielles du droit au souvenir spécifique qui les caractérise, il faut abolir la sanctuarisation des souvenirs privés (spécifique à tel ou tel groupe) à l'échelle publique, nationale, voire européenne. La récente proposition de la commission Kaspi préconisant de mettre fin à la prolifération des journées commémoratives (massacre des juifs, abolition de l'esclavage, etc.) et de limiter les commémorations nationales à deux ou trois grands événements comme le 14 juillet, le 11 novembre et le 9 mai, fête de la réconciliation et de l'unité européenne, s'inspire du même souci (cf. « Le Parisien », 9/11/08 <http://www.leparisien.fr/politique/le-rapport-qui-veut-limiter-les-commemorations-09-11-2008-304409.php>).

Bien entendu, les partisans de la censure rejettent une telle effronterie supposée faire sauter tous les tabous qu'ils avaient retranchés derrière des lois punitives. 31 personnalités, dont Serge Klarsfeld et Claude Lanzmann, ont manifesté leur hostilité à l'abolition du dispositif liberticide Gayssot.

Mais ils se heurtent à d'importantes résistances, dont celle du spécialiste de droit constitutionnel, Anne-Marie Le Pourhiet, qui demande, comme de nombreux autres illustres Français, tel le prix Nobel d'économie Maurice Allais, l'abolition de cette censure indigne d'un pays démocratique. (…)

La surprise, cependant, vient de Pierre Nora, président de l'association « Liberté pour l'histoire » et signataire de la pétition de 2005 qui réclamait l'abolition de la loi « Gayssot ». Lors d'un récent passage à la télévision sur ce thème (« Ce soir ou jamais », France 3, 20/10/08), il affirma : « Non, on ne réclame pas l'abrogation de la loi Gayssot, car abroger aujourd'hui la loi Gayssot ce serait donner un encouragement, littéralement, à ce contre quoi luttait la loi Gayssot. »

Ce faisant, Monsieur Nora, spécialiste des « lieux de mémoire », cautionne à nouveau ce qu'on peut sans exagération appeler les privilèges mémoriels de quelques-uns, les mémoires qui sont un peu plus égales que les autres, pour reprendre la formule orwellienne, les turpitudes de l'histoire que l'on veut assener plus fort que toutes les autres, les génocides absolutisés au point de cacher tous les autres ou de les ravaler au rang de mythes comme la Saint-Barthélemy, la Vendée sous la Terreur ou les massacres des Indiens des Amériques. Mais surtout, Monsieur Nora se range du côté des inquisiteurs, de ceux qui fourbissent, affinent et imposent le délit d'opinion dans un pays qui ne cesse de crier le nom de Liberté pour la bafouer un peu plus chaque jour.

Désormais, après un tel recul, les appels de l'association « Liberté pour l'histoire » ne sont plus crédibles. La liberté de l'historien, professionnel ou amateur, ne se partage pas, ne se mesure pas, sauf bien sûr à l'aune de la science expérimentale qui est la sienne.

Au nom de la liberté véritable, nous appelons nos lecteurs à refuser de signer les appels de cette association (comme le récent Appel de Blois) et à exiger que soit appliqué sur toutes les terres d'Europe le droit à la liberté d'expression pleine et entière en abolissant définitivement la loi inique et scélérate qui l'anéantit.

Reste à savoir ce qui a pu motiver le retournement d'un grand ponte de l'Histoire de France comme Monsieur Nora, alors que les demandes d'abolition de la censure se font de plus en plus pressantes. Est-il en cette matière aux ordres d'Israël, comme l'affirme le site antisioniste « toutsaufsarkozy » ? Absurde vision complotiste. Bien entendu, Israël profite de ce favoritisme mémoriel en Occident pour, derrière le paravent de la victimisation des juifs, poursuivre sa redoutable politique impérialiste au Moyen-Orient en maintenant les Palestiniens dans un état d'inhumaine sujétion et en terrorisant les Etats arabo-musulmans qui seraient tentés de lui résister. Mais il y a d'autres enjeux plus importants : notamment celui qui consiste à maintenir l'Europe dans un sentiment de culpabilité lui interdisant toute velléité d'indépendance, et de conscience « impériale » (à ne pas confondre avec l'impérialisme) qui lui ferait creuser la timide fracture euro-atlantiste, se dégager de l'OTAN et de la tutelle de Washington, et contribuer de façon autonome à la reconstruction d'un nouvel ordre mondial multipolaire…

Pierre Nora est à la fois un souverainiste bon teint et un atlantiste convaincu. Il n'a pas la vocation d'un Soljenitsyne de l'Occident. En tentant de légitimer de son aura d'intellectuel de la République le conditionnement « occidentiste » de l'interprétation historique, il fait acte d'allégeance envers l'idéologie dominante. Mais l'Histoire nous enseigne que les Inquisitions et les polices de la pensée finissent toujours par succomber.

Yves Argoaz
http://esprit-europeen.fr/lectures_ldv.html#nora
17/11/08

 

B/ « De la lumière dans un théâtre d'ombres ». C’est le titre de l’intervention, d’une durée de 9 minutes, que le professeur Anne-Marie Le Pourhiet a prononcée, le 14/10/08, devant la table ronde n°6 de la « Mission d’information sur les questions mémorielles » qui avait pour thème : « Le rôle du Parlement dans les questions mémorielles ». Ce fut une véritable dénonciation de la société française contemporaine. On la trouvera à l'adresse suivante, sous forme de vidéo :
http://unionroyalistebvm.over-blog.com/article-23951424.html

Malheureusement, n’ayant pu nous procurer le texte écrit de l’intervention orale de Madame Le Pourhiet, nous nous limiterons à reproduire quelques mots ou phrases significatifs recueillis à partir de la vidéo :

« novlangue »,  « totalitarisme orwellien », « lavage de cerveaux », « obsession purgative et répressive », « système totalitaire » ;

« les cerveaux des écoliers deviennent ainsi aussi le lieu privilégié d'intervention des lobbies de toute sorte »;

« Beaucoup de parlementaires sont devenus des représentants, peut-être moins de la nation que des lobbies en tout genre, tirant la couverture publique vers leurs intérêts catégoriels » ;

« Je dis toujours que le culturalisme est à l'esprit ce que le culturisme est au corps, une gonflette narcissique fortement antipathique » ;

« J'ai été choquée par une expression qui s'y trouve à plusieurs reprises, l'expression : “politique de la mémoire”. C'est fort, d'utiliser des expressions comme ça ! Je trouve cette expression parfaitement orwellienne, justement ; elle évoque le lavage de cerveaux ; on se demande à quand la création d'un ministère de la mémoire, comme on a créé un ministère de l'identité nationale. Arrêtez-vous, mesdames et messieurs les députés, on va trop loin dans la manipulation de nos mémoires et de nos cerveaux, laissez-nous nous souvenir en paix, peut-être, c'est ce qu'on pourrait vous demander » ;

« Le plus grave (...), c'est la question de la violation de la liberté par les lois à caractère pénal qui sont ainsi votées: c'est, bien sûr, l'atteinte à la liberté d'expression, à la liberté de la presse en général et, bien sûr aussi, l'atteinte aux libertés scientifiques et universitaires en particulier

« Les délits de négation ou de minimisation de ces actes [les génocides] sont des délits d'opinion inacceptables en démocratie libérale. De ce point de vue je reste comme beaucoup de juristes et d'historiens absolument hostile à ce type de délit. Il n'y a pas de bonnes lois mémorielles, pour moi elles sont toutes mauvaises, le parlement doit rester à sa place et s'abstenir de gouverner nos mémoires et nos cerveaux ! » ;

Peut-on néanmoins voir dans cette « Mission d’information » des « coups de canif dans le “politically correct” », si l’on en croit le titre de l’article de Patrick Jarreau dans le quotidien « Le Monde » du 22/11/08. Nous ne pouvons qu’en émettre le souhait.

René Schleiter
Polémia
23/11/08

(*) http://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/mi_questions_memorielles.asp

voir :
Les « lois mémorielles » sous le feu de la contestation
http://www.polemia.com/article.php?id=1427

Appel de juristes contre les « lois mémorielles »
http://www.polemia.com/article.php?id=1374

« Liberté pour l'Histoire », ou la défense exclusive de la loi Gayssot
http://www.polemia.com/article.php?id=1800

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