Ce que nous voile le voile :

lundi 5 juillet 2004
Sous ce titre plutôt racoleur, Régis Debray adresse une note à la commission STASI. Premier paragraphe : « Sur la question secondaire parfois dite du foulard ». De quoi déjà faire tiquer le lecteur ! Car cette question est symptomatique, certes, mais pas secondaire : se laisser islamiser ou pas, ce n’est pas accessoire que diable ! En réalité, celui qui aurait le bon sens de réagir sera éclairé plus loin : il se fera traiter de « laïque d’arrière-train auquel une très hypothétique et minoritaire emprise religieuse voile la très effective et omniprésente emprise télévisuelle » (p. 23).

Bref, la télévision serait plus dangereuse pour la liberté de conscience que l’Islam. Déjà le ton est donné : plutôt la fatwa que les médias.

Il ne s’agit pas d’occulter le matraquage idéologique de la télévision française, ni la vulgarité d’un grand nombre de ses émissions ; toutefois le plus médiocre des lycéens de terminale refuse de s’identifier aux participants du « Loft » les jugeant « trop débiles » ; l’attrait de la nouveauté passée, ils se lassent des réality-shows.

Comment Régis Debray ose t-il dès lors comparer les méfaits bien réels de ces émissions (nous n’en disconviendrons pas) à la manipulation orchestrée par cette religion de tristesse et de haine qu’est l’islamisme ? La vulgarité d’un Ruquier à l’intelligence diabolique d’un Tariq Ramadan ?

Sans compter qu’islamisme et emprise télévisuelle peuvent se combiner. Ainsi, lors des émissions religieuses du dimanche matin sur France 2, dans le cadre desquelles l’islam occupe une place de plus en plus grande, certains responsables et participants répandant d’énormes mensonges afin de mieux attirer divers paumés dans leurs filets.

Reprenons la lecture de Régis Debray, qui pose la question de la législation sur le voile. En bon dialecticien, il expose d’abord les objections à la loi, en désignant ses éventuels effets pervers, puis les arguments en sa faveur pour trancher sur un sain diagnostic : « Le port du voile peut être tenu pour un acte militant avec une dimension de propagande missionnaire doublée de discrimination sexuelle… » (p. 15), et finalement se prononcer en faveur de la législation « nécessaire compte tenu de la faible autorité de l’institution scolaire ». Le lecteur reprenait confiance ; pas pour longtemps : pas un mot sur le voile à l’université, simple oubli ? Et la rue ? Nous y voilà justement ! : « Personne fort heureusement, déclare Debray, ne discute d’exclure les jeunes filles voilées du métro, des cybercafés, des squares, des autobus… (p. 21) Eh bien si, justement !

Pourquoi le citoyen Français subirait-il quotidiennement dans les villes l’agression de cet uniforme politique destiné à faire croire que la femme est un être inférieur, dont le corps est objet de désir par conséquent de honte ?

Au cas où l’on n’aurait pas bien compris, Régis Devray se fait plus explicite : « Il n’y aurait qu’avantage pour la France à reconnaître par des mesures symboliques positives des droits culturels jusqu’ici négligés : capacité dans les lieux de travail de choisir son jour de fête selon les traditions religieuses, facilitation en ville du permis de construire et de financement des Mosquées » (p. 20).

Et comme la laïcité n’est pas une obligation légale dans l’entreprise – contrairement aux écoles, tribunaux, ministères – il faudrait y ajuster les moments de pause en fonction des périodes de jeune ou de retraite, dégager de discrets lieux de prière, menacer les habitudes alimentaires du personnel » (p 26)…

On peut s’interroger sur l’efficacité et la rentabilité de pareilles entreprises ! Ce que Régis Debray baptise « gestion souple » risque d’aboutir à une sinistre pagaille comme à une tiers-mondialisation de notre pays. Dans un sursaut de lucidité, il entrevoit tout de même les difficultés qu’une pareille tolérance pourrait entraîner dans certains secteurs comme le système hospitalier et s’empresse d’ajouter, comme honteux d’un pareil bon sens : « Il y aura sans doute des compromis progressifs » (p. 29) . Lesquels ? Envisager dans les cantines scolaires le choix entre le porc et le non-porc. Eviter autant que possible de faire coïncider les grandes dates d’examen avec les grandes fêtes chrétiennes juives ou musulmanes (p 31). C’est gommer un peu vite le passé chrétien de l’Europe et de la France : « Fille aînée de l’Eglise » – rien d’étonnant à ce que Régis Debray se réjouisse déjà de la présence d’aumôniers musulmans dans les forces armées !

Ce que revendique l’auteur, c’est une société multiculturelle, tout simplement. Pourquoi pas, mais alors pourquoi avoir écrit (p. 20) que la France ne peut se payer le luxe du multiculturalisme ? Pas très cohérent tout cela pour un agrégé de philosophie !

D’ailleurs, après avoir évoqué (p. 23) la « très hypothétique et minoritaire emprise religieuse », manifestement ignorant de la démographie galopante des populations musulmanes, il mentionne tout de même les prédications de guerre ethnique et religieuse en Europe à partir de 2030. Alors peut être pas si secondaire, la question du foulard…

En attendant, l’investissement de la modique somme de 1 200 millions euros « sera nécessaire à la réhabilitation des banlieues. Condition d’intégration indispensable mais non suffisante ». C’est donc reconnaître implicitement que l’échec scolaire et la délinquance ne sont pas dus seulement à un manque de crédit. On songe au tonneau des Danaïdes !

Décidément, Régis Debray a toujours de bonnes idées.
Il est le promoteur de l’enseignement du « fait religieux » à l’école (terme qui renvoie un peu trop clairement à la sociologie de Durkheim, mais passons…). On pourrait s’attendre à ce que ces cours soient dispensés en terminale par les professeurs de philosophie et que la même place soit faite aux trois religions monothéistes : judaïsme – christianisme – islam. Il n’en est rien : cela est enseigné en seconde par les professeurs d’histoire et, à parcourir certains manuels de cette discipline, on s’aperçoit vite que la part la plus belle est faite à l’islam. Par ailleurs, nombreux sont les enseignants qui sont aptes à parler du judéo-christianisme et toujours prêts à « bouffer du curé » se réfugient dans l’exotisme en privilégiant la religion de Mahomet pour la vanter sans la connaître.

Seul aspect positif de ce livre : ses vingt dernières pages. Revenant sur la question de la loi visant à interdire le foulard à l’école, Régis Debray démontre fort brillamment qu’il serait vain de disserter de la laïcité indépendamment de son tuteur : l’Etat Républicain. En effet, la laïcité ne se soutient pas d’elle même. On est en droit de s’interroger sur son avenir lorsqu’elle repose sur un Etat sans armée, sans service militaire, un « Etat prestataire de services qu’à des usagers et non des citoyens ». « Le guichetier, tout le monde le sollicite, personne ne le respecte » (p. 42). Après l’angélisme, la lucidité ?


I.L.
POLEMIA
5/07/2004


« Ce que nous voile le voile – La République et le sacré » de Régis Debray, Gallimard 2004, 54 p., 5,5 €.
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