Voile Islamique : conflit religieux ? Non, choc de civilisations !

jeudi 11 décembre 2003
Le débat sur le voile islamique a été marqué par la confusion.

Confusion sur le sens des objets : comment a-t-on pu assimiler un pendentif discret comme la croix au voile islamique qui cache le visage ?
Confusion sur la place des religions : comment a-t-on pu placer sur le même plan l’islam - en conflit constant avec l’Europe depuis quatorze siècles - avec le judaïsme qui y est implanté depuis l’empire romain et l’helléno-christianisme qui est un élément fondateur de son identité ?
Confusion sur le sens des mots : pourquoi s’échiner sur la distinction byzantine entre le « visible » et l’ « ostentatoire » ?
Confusion sur le choix des hommes enfin : pourquoi avoir confié la présidence de la commission des sages à Bernard Stasi, dont le livre « L’immigration, une chance pour la France » paru en 1984 apparaît aujourd’hui comme un tissu d’erreurs sur l’islam et l’intégration ? Et pourquoi avoir écarté de cette commission Ernest Chénière, le courageux principal de Creil, qui posa le problème dès 1989 et qui est aujourd’hui placardisé par l’éducation nationale ?

Mais la confusion la plus grave est de croire que l’affaire du voile relève d’un conflit religieux alors qu’il s’agit d’un choc de civilisations.

Expliquons-nous ! La conception de la femme de l’orient musulman est radicalement différente de celle de l’occident européen.

L’orient musulman fait de la femme une éternelle mineure, ne disposant pas de droits juridiques égaux à ceux des hommes ; il la conduit à vivre recluse dans l’intimité du foyer et à cacher son visage par le port du haïk, du tchador ou de la burka.
L’orient musulman d’ailleurs dans son art - à l’exception de certaines miniatures persanes - ne connaît pas la représentation de la figure et du corps humain. De ce point de vue, la destruction des grands bouddhas d’Afghanistan n’est pas un accident de l’histoire ; ce qui est un accident de l’histoire, c’est qu’ils aient pu durer jusqu’au 20ème siècle !
A contrario, l’occident européen a toujours reconnu la dignité et la liberté de la femme, de la Grèce et Rome à nos jours, en passant par le Moyen Âge et l’amour courtois. Cette conception s’est accompagnée d’une représentation permanente du corps humain - et notamment du corps féminin - à travers la sculpture et la peinture qui expriment, aujourd’hui encore, dans nos grands musées, la quintessence de la civilisation européenne. C’est d’ailleurs cela - cette liberté et cette beauté du corps - que continue d’illustrer, que cela plaise ou non, la publicité à travers le talent des photographes et l’imagination des créatifs.
De ce point de vue, ceux qui opposent la « pudeur » des jeunes filles musulmanes voilées à « l’indécence » des affiches publicitaires ont à la fois raison et tort. Tort de vouloir culpabiliser l’occident européen fidèle à lui-même dans la représentation du corps humain. Raison d’opposer effectivement deux conceptions radicalement antinomiques de la condition humaine.

C’est dire que la solution au problème du voile islamique n’est pas facile. Au-delà des discours convenus sur la « laïcité » et sur l’« intégration », deux options et deux seules sont envisageables :

1. La première option, celle qui a toujours été historiquement celle de la République, c’est l’option assimilationniste. Elle vise à imposer à tous la règle commune : celle de la majorité de la population de civilisation européenne. Elle suppose des règles fermes et sans faux-semblants : ce n’est pas avec des demi-mesures que la Turquie de Kémal Ataturk ou la Tunisie de Ben Ali sont venues à bout du voile islamique. C’est en le stigmatisant clairement qu’elles l’ont éradiqué. Les dirigeants politiques français sont-ils prêts à une telle fermeté ?

2. La deuxième, c’est l’option communautaire. Elle consiste à prendre acte des différences de civilisation et à les accepter. Accepter que des femmes portent le voile islamique si cela correspond à la conception de la civilisation à laquelle elles se rattachent. Mais accepter aussi que celles qui le refusent aient la liberté de le faire, et que tous ceux qui sont attachés à d’autres valeurs puissent refuser que les mœurs de l’orient musulman s’imposent dans l’entreprise qu’ils dirigent, l’hôpital où ils soignent, le collège où ils enseignent et l’école où leurs enfants sont scolarisés.
La liberté de préférer le voile islamique pour les unes doit alors être accompagnée de la liberté de le refuser pour les autres. En termes clairs : il est anormal de poursuivre devant les tribunaux, voire de condamner - comme c’est le cas aujourd’hui - des hommes ou des femmes qui refusent le voile islamique là où ils exercent des responsabilités, car c’est leur liberté.

Bref, si le corps social français n’a pas la force d’interdire partout le voile islamique, qu’il accorde au moins à ceux qui en ont encore le courage la liberté de le refuser !

Quelle que soit l’option finalement retenue, la présence, sur le sol français, de masses sans cesse plus nombreuses issues du monde arabo-musulman bouleverse les données fondamentales de l’identité française. Y compris dans la conception républicaine des droits de l’homme, qui tendent à perdre leur caractère d’universalité face à un monde musulman où droits de l’homme et droits des femmes apparaissent incompatibles.
Il serait temps d’en tirer toutes les conséquences !


Jean-Yves Ménébrez
9/12/2003
Texte adressé aux pages « Opinions » du Figaro
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