La croix, la kippa, le voile : remettre les idées à l’endroit

jeudi 23 octobre 2003
Le débat sur la laïcité et le port des signes religieux à l’école - nourri par la mission parlementaire lancée par Jean-Louis Debré et la commission Stasi - s’oriente progressivement vers l’interdiction à l’école de tout signe religieux « visible » et pas seulement « ostentatoire ».

Dans l’esprit des promoteurs de cette décision, cela permettra d’interdire le voile islamique mais aussi la kippa et la croix afin de ne pas sembler « stigmatiser » les musulmans.

Mais cette solution n’en est pas une, car elle revient à mettre sur le même plan des objets, des comportements, des religions qui ne le sont pas.
Et cela sans pour autant régler les problèmes que pose le voile islamique non seulement à l’école mais ailleurs, dans l’ensemble de la société !
Explications :

1 Mettre sur le même plan la croix, la kippa et le voile, c’est un premier mensonge parce que la croix (ou la médaille mariale) sont des objets qui ne correspondent ni à la kippa ni au voile : ce sont des pendentifs tout comme ceux représentant l’étoile de David, les rouleaux de la Torah, les versets du Coran ou la main de fatma.
Observons d’ailleurs qu’une décision inspirée par un laïcisme extrémiste visant à interdire le port de toute médaille religieuse serait difficile à appliquer, car au lieu de concerner (comme le voile islamique) quelques centaines ou quelques milliers de cas, elle viserait, dans leur liberté, leur identité ou leurs habitudes, quelques millions de personnes ! Et à supposer que celles-ci renoncent à l’expression de leurs identités héritées, ne seraient-elles pas tentées de chercher des identités commerciales passagères ? Serait-ce vraiment un progrès ?

2 Mettre sur le même plan la kippa et le voile islamique, c’est un second mensonge. Car s’il peut arriver qu’au lendemain d’une fête religieuse, tel ou tel jeune juif arrive à l’école avec une kippa, il suffit que le chef d’établissement ou le professeur lui demande de la retirer pour que le problème soit réglé. Et il n’y a jamais eu de pression des autorités religieuses juives pour imposer le port de la kippa (qui peut se faire, il est vrai, dans les établissements privés) à l’école publique. Il n’en va pas de même avec le voile islamique dont le port à l’école a fait l’objet de nombreuses campagnes médiatiques relayées sur le plan judiciaire ; campagnes animées, soutenues et financées par les milieux fondamentaliste musulmans, généralement proches de l’U.O.I.F., l’Union des organisations islamiques de France, organisation qui a gagné les élections au Conseil français du culte musulman.

3 Mettre sur le même plan le voile et d’autres signes religieux, c’est un troisième mensonge, car le voile n’est pas seulement un signe d’appartenance à l’islam, un signe de soumission à Allah : il est aussi un signe de soumission de la femme à l’homme et il est enfin l’expression d’une civilisation qui cache le corps humain et enferme la femme.

4 Prétendre régler les difficultés en réglementant le seul port du voile islamique à l’école, c’est un quatrième mensonge car des conflits existent aussi dans les administrations, les entreprises ou les universités, sans oublier désormais les hôpitaux : une dépêche de l’AFP en date du 23 octobre 2003 y était consacrée sous le titre « l’intégrisme musulman complique le travail des hôpitaux » ; le corps de l’article évoquait « les violences verbales ou physiques à l’égard du personnel » émanant souvent de maris accompagnant des femmes voilées, malades ou enceintes.

5 Plus fondamentalement, placer sur le même plan le christianisme, le judaïsme et l’islam est un cinquième mensonge.
Observons d’abord que l’univers religieux ne se réduit pas aux monothéismes : il y a aussi en France des Hindouistes, des Bouddhistes, des Confucéens et il n’y a aucune raison de considérer les religions qu’ils pratiquent comme moins respectables que l’islam.
Précisions ensuite que le christianisme n’est pas un monothéisme brutal, mais une religion de l’incarnation qui a intégré de nombreux éléments du polythéisme européen originel et repris à son compte une large partie de l’héritage païen et de la culture antique.
Surtout, le christianisme est un élément central de la culture et de l’identité française et européenne : comme l’exprime l’historien François Georges Dreyfus : « L’Europe c’est là où on trouve des chapelles romanes, des cathédrales gothiques et des églises baroques ». Pas des minarets : la religion islamique a toujours été étrangère à l’Europe avec laquelle elle a été en conflit pendant 13 siècles, depuis « l’armée des Européens » livrant bataille à Poitiers en 732 jusqu’à la participation de Lord Byron à la bataille de Missolonghi pour libérer la Grèce.
Quant au judaïsme, il est, lui, présent en Europe depuis Rome, à la différence de l’islam ; mais resté longtemps en marge de la cité, il y a moins pesé que le christianisme et son rôle récent dans la pensée européenne doit bien davantage à ses philosophes laïcisés qu’à ses clercs.

6 C’est donc bien la question du voile islamique (pas celle de la croix ! pas celle de la kippa !) qui est aujourd’hui essentielle : elle symbolise la volonté des éléments les plus radicaux de la communauté musulmane d’imposer au-delà de la loi religieuse leur vision du monde et leur vision des rapports hommes-femmes à l’espace public français : cela doit être refusé à l’école, mais aussi à l’université, dans les administrations et les hôpitaux.
Mais si les esprits et les gouvernants ne sont pas prêts à la fermeté nécessaire, alors il faut savoir que la communautarisation de la société française continuera de progresser, fût-ce sous le vernis superficiel d’un discours républicain de pacotille.
Dans ces conditions, les Français d’ascendance ou de religion chrétienne et de civilisation européenne seront, eux aussi, amenés à se poser la question de la défense de leurs libertés - mais aussi de leur communautarisation.


Jean-Yves Le Gallou
23/10/2003
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