Kosovo : le double échec de l’ONU et de l’OTAN

samedi 27 septembre 2003
« Bâtir un Kosovo, stable, multiethnique et pacifié » : telle était la finalité de la guerre du Kosovo qui s'est soldée en 1999 par le retrait des forces serbes, l'installation de la Mission d'administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK) et le déploiement d'une force militaire, la KFOR.
Pourtant, dès l'été 99, la réalité a été tout autre sur le terrain. Des milliers de Serbes (au moins 150 000 Serbes sur les 250 000 que comptait cette province) mais aussi des Roms ont été contraints de fuir le Kosovo pour chercher refuge en Serbie et Monténégro. À ce jour, moins de 2 % d'entre eux sont retournés chez eux. Ce qu’explique en ces termes Michel Collon, réalisateur des « Damnés du Kosovo » : « Les médias ne nous parlent plus du Kosovo. La situation n'est-elle pas réglée ? Au contraire ! Ce que j'y ai vu, ce sont des attentats à la bombe, des assassinats, des destructions de maisons ou des expulsions, des enlèvements et l'angoisse des familles, des menaces permanentes… Le constat est accablant : une véritable purification ethnique a chassé du Kosovo la plupart des non Albanais et terrorise ceux qui restent »…

Quatre ans après le début de l’occupation du Kosovo par les troupes de l’OTAN et son administration directe par l’ONU, les violences anti-serbes se multiplient en effet dans la province.

Alors que la MINUK avait conclu triomphalement au début de l’été, statistiques à l'appui, à la quasi-disparition des « meurtres ethniques » censés caractériser « l’ancien régime », plusieurs assassinats, perpétrés cet été contre des civils serbes, sont venus rappeler aux bureaucrates onusiens les dures réalités balkaniques, et plus particulièrement la persistance de l’agitation entretenue par les militants de la « Grande Albanie », qui tentent quotidiennement de remettre en cause l’impossible statu quo imposé en 1999.

L'ONU et l'OTAN sont en effet conjointement responsables de la sécurité au Kosovo depuis l'adoption, en juin 1999, de la résolution 1244 du Conseil de sécurité de l'ONU. Cette résolution, qui avait permis la fin des bombardements de l'OTAN lancés pour mettre fin aux combats entre les forces de Belgrade et la guérilla séparatiste albanaise, reposait sur un pari : contraindre Slobodan Milosevic, alors président de la Yougoslavie, à retirer la police et l'armée du Kosovo, en échange de la reconnaissance, certes de l’autonomie, mais au sein de l’ensemble « yougoslave », de ce qui fut le berceau de la nation serbe. Depuis, conformément à la résolution 1244, le Kosovo reste officiellement une province de la Serbie, mais est de fait un protectorat de l'ONU, et une force multinationale de paix dirigée par l'OTAN (la KFOR) y est déployée.

La première erreur de la « communauté internationale » américano-onusienne tient à cette ambiguïté initiale : avoir violé sciemment la souveraineté d’un Etat pour lui arracher le contrôle d’une province tout en refusant toute modification de frontières qui justifierait a posteriori cette agression ; et avoir brisé le nationalisme serbe pour finalement favoriser le panisme albanophone, dont les représentants politiques remettent aujourd’hui en cause la fameuse résolution 1244, et qui constitue un facteur de déstabilisation beaucoup plus dangereux pour toute la région.

La deuxième erreur est plus classique : c’est d’avoir cru pouvoir imposer un « modèle de démocratie » pluri-ethnique et multiconfessionnel, sur des bases juridiques occidentales, à des peuples dont ce n’est ni la culture, ni la simple volonté. Ne serait-ce qu’en raison du facteur musulman, l’ex-Yougoslavie est plus proche de la « libanisation » que du modèle suisse !
La troisième erreur, qui découle des précédentes, est tout simplement de ne pouvoir remplir la modeste mission qu’elle s’était fixée : avec 21 000 soldats et plus de 5 000 policiers, la Kfor et la Minuc sont incapables d’assurer l’ordre sur un territoire à peine plus grand qu’un département français et comptant 2 millions d’habitants ; incapables surtout de protéger les « minorités » d’aujourd’hui : plus de 200 000 Serbes ont déjà fui le Kosovo et ceux qui sont restés (entre 80 000 et 120 000) vivent pour la plupart dans des enclaves « protégées », avec une liberté de mouvement des plus réduites et une sécurité des plus aléatoires.

C’est dans ce contexte où l’exaspération s’est installée qu’ont repris avec une intensité rare les meurtres ethniques perpétrés par les terroristes albanais.

Dès le mois de juin est commis le triple meurtre d’une famille serbe à Obilic. Il ouvre une série d’actes terroristes : le 11 août, Dragan Tonic, 45 ans, est mortellement blessé par une balle dans la gorge alors qu'il pêchait dans la rivière Sitnica ; le 17 août, des enfants du village de Gorazdevac essuient le feu d’une arme automatique tirant depuis un village albanais voisin ; le 7 septembre, une attaque à l'explosif fait un mort et quatre blessés à Cernica, dans l'est du Kosovo : ce village est situé dans un « secteur de mixité ethnique », contrôlé par le contingent américain, mais toutes les victimes sont serbes…
Le meurtre ethnique qui provoque la plus vive émotion, jusque dans les chancelleries occidentales qui finissent par condamner ces attaques, a lieu le 13 août lorsque des adolescents originaires de l’enclave serbe de Gorazdevac sont pris pour cible alors qu’ils nageaient dans une rivière. L’attaque fait quatre blessés graves et deux morts : Pantelije Dakic, 11 ans, et Ivan Jovovic, 19 ans. Leurs funérailles, le 15 août, décrété « jour de deuil » en Serbie, est l’occasion pour la minorité serbe de la province de laisser éclater sa colère autant que son désarroi. À Kosovska Mitrovica, où se rassemblent 3 000 personnes, les manifestants brandissent banderoles et pancartes avec pour slogans « Serbie, réveille-toi » mais aussi « Europe, ouvre tes yeux ! ». Oliver Ivanovic, un leader des Serbes locaux, déclare à cette occasion à l’AFP : « Nous sommes tous absolument déprimés. Nous ne savons plus où nous tourner pour demander de la protection »…

Mais l’agitation albanaise ne vise pas le seul Kosovo : l’objectif est bien de déstabiliser toute la région.
Ainsi au sud de la Serbie, la région de Presevo, Medvedja et Bujanovac, adossée au Kosovo et également peuplée en majorité d'Albanais, après avoir été le théâtre d'affrontements entre les forces de Belgrade et une guérilla albanaise en 2000/2001, est régulièrement la cible d’attaques terroristes. Le 10 août, une base de l'armée de Serbie et Monténégro y a subi une attaque au mortier. Le 12 août, un groupe d'Albanais - des "bûcherons clandestins" selon l'ONU - ouvrait le feu contre une patrouille de l'armée sur la route qui relie la ville de Kursumlija (Serbie centrale) à la ville de Podujevo (Kosovo). Et le 15, un autre groupe extrémiste albanais attaquait la police serbe près du village de Konculj.

En Macédoine voisine, qui est la seule ex-république yougoslave a avoir proclamé son indépendance pacifiquement après un référendum le 8 septembre 1991, la situation est tout aussi tendue. Des représentants de la Force militaire européenne (Eufor), de l'Union européenne et de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) supervisent les opérations des forces de l’ordre locales. Celles-ci, régulièrement harcelées par des groupes albanais, sont notamment intervenues au début du mois de septembre dans la région du village de Brest, proche de la frontière avec le Kosovo, où une patrouille de police avait essuyé des coups de feu, et dans les secteurs de Vaksince et Lojane, où deux policiers avaient été enlevés. La riposte militaire a fait deux morts et un blessé dans les rangs des rebelles armés. Le ministère de l'Intérieur macédonien a indiqué à cette occasion que les forces de sécurité avaient saisi une importante quantité d'armes et de munitions lors du ratissage des villages de cette région. La situation est d’autant plus explosive que les relations inter-ethniques sont des plus conflictuelles dans le pays, qui avait connu pendant sept mois, en 2001, des affrontements meurtriers (entre 70 et 150 morts selon les sources) entre les éléments de l’UCK, aujourd’hui dissoute, et les forces de sécurité.

Toutes ces actions, en Macédoine, au Kosovo ou en Serbie même, sont régulièrement revendiquées par « l’Armée nationale albanaise » (ANA ou AKSH en albanais). Encore peu connue, l'ANA, qui serait basée dans le nord de l’Albanie, a été déclarée « organisation terroriste » par la Minuk. Disposant d’une branche politique, le « Front d'unité nationale albanais » (Funa), elle revendique la création d'un « Etat ethnique albanais » qui engloberait le Kosovo, le sud de la Serbie et l'ouest de la Macédoine au sein de la « Grande Albanie ».

L’agitation entretenue autour de ce « panisme » est d’autant plus dangereuse qu’elle s’adresse à une population non seulement surchauffée, mais également surarmée.
En effet, dans la seule province du Kosovo, un récent rapport intitulé « Le Kosovo et les armes » effectué par le Programme de développement de l'Onu (UNDP) et par l'organisation suisse « Recherches sur les armes à poing » estime à environ 460.000 le nombre d’armes à feu, généralement des revolvers et fusils d’assaut, entre les mains de la population civile. Ce qui signifie, en admettant que l’ensemble de la population serbe (femmes en enfants compris) dispose d’une arme, que tous les Albanais de sexe masculin sont armés… Alors qu’il s’agissait d’une priorité du mandant donné à la Kfor, rappelons que depuis juin 1999, c’est-à-dire la fin officielle d conflit au Kosovo, seules 18.000 armes ont été saisies et détruites, dont 4.500 au cours des deux dernières années…

Aucun observateur ne peut prédire l’avenir politique de la région. Mais l’évolution actuelle de la situation, au bout de quatre ans d’efforts et d’investissements financiers, marque un double échec :
1 - L’échec des solutions militaires extérieures à vocation « humaniste », qui provoquent le chaos en remettant en cause des équilibres issus de l’histoire et de la culture locales.
2 - L’échec du modèle unique et imposé de la « démocratie occidentale » : la nature ayant horreur du vide, une autre puissance tend toujours à remplacer, par la force s’il le faut, celle qui a été contestée. Surtout si, comme c’est le cas du nationalisme albanais, elle a été encouragée à des fins d’instrumentalisation. On ne réveille pas impunément les vieilles forces archaïques : plus fortes que les dérisoires constructions juridiques et morales « modernes », elles finissent toujours pas s’imposer !

Ce double échec augure mal d’une sortie de crise satisfaisante dans les autres pays ayant subi l’agression puis l’occupation militaire américaine (Afghanistan, Irak…). Avec ou sans intervention ultérieure de l’ONU.


E.D.
27/09/2003
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