Déclin français et « argentinisation » : et si l’on parlait de la responsabilité des institutions de la Ve République !

mardi 30 septembre 2003
À partir du livre de Nicolas Baverez, un débat s’est ouvert sur le déclin français. Notion à la fois discutable (la France reste compétitive sur les marchés extérieurs et forte dans les industries de puissance comme l’aéronautique, l’espace ou le nucléaire) et incontestable au vu de l’état de ses finances publiques. L’ampleur des déficits, l’absence de maîtrise des dépenses publiques, l’incapacité à réformer l’Etat font en effet de la France l’homme malade de l’Europe, voire un pays en voie d’ « argentinisation ».

Or l’explication par la « médiocrité » ou la « lâcheté » de la classe politique est un peu courte, car les hommes politiques sont choisis par les électeurs dans le cadre d’une sélection organisée par les institutions : c’est donc à l’analyse critique de celles-ci qu’il faut s’attacher. Élaborées dans le souci de remédier à l’instabilité des régimes parlementaires telle qu’elle ressortait des expériences des 3ème et 4ème Républiques et de la République de Weimar, les institutions de la Vème République furent construites en 1958/1962 autour de 3 piliers :
L’élection au suffrage universel direct du président de la République pour rendre le chef de l’exécutif indépendant des parlementaires ;
Le scrutin majoritaire pour dégager des majorités claires et monolithiques ;
L’abaissement du Parlement ;

Un demi-siècle plus tard les inconvénients d’un tel système sont patents.

1 – Le chef de l’exécutif – et les candidats à cette fonction - sont certes relativement indépendants des parlementaires et des partis ; mais ils sont placés sous une tutelle infiniment plus sévère et moins démocratique : celle des journaux et des télévisions ; et ce sont ces organes qui décident de qui est « présidentiable » ou non. Bien entendu cela conduit les hommes politiques à se formater pour plaire aux médias, or ceux-ci, à la différence des parlementaires ne sont pas représentatifs des électeurs. Il y a là une différence majeure avec les systèmes britannique ou allemand où le chef de chaque camp est choisi par les siens selon des voies démocratiques.

2 – Malgré l’éclatement de l’opinion - la montée du Front National d’un côté, de l’extrême gauche de l’autre ainsi que la progression de l’abstention - le système électoral dégage des larges majorités tantôt à dominante socialiste, tantôt à dominante RPR ou UMP mais ce sont des majorités parlementaires… très minoritaires dans l’opinion : il n’en va pas de même dans la quasi-totalité des autres pays européens où le système électoral proportionnel rend nécessaire des coalitions complexes ; avec un inconvénient bien sûr – des marchandages pas toujours clairs – mais aussi un fort avantage : des gouvernements bénéficiant d’une large assise dans l’opinion et où des forces concurrentes, sinon opposées, peuvent s’entendre pour effectuer les réformes nécessaires ; ce n’est donc pas un hasard si tous les autres pays européens ont pu engager des réformes de leurs systèmes de retraite plus tôt et plus profondément que la France.

3 – L’abaissement du Parlement français où la minorité ne pèse pas et où la majorité soutient le gouvernement, l’a privé de sa fonction de contrôle et notamment de contrôle des dépenses. Résultat les politiques ministérielles ne sont plus surveillées par les élus mais par les représentants des syndicats des administrations adeptes du « toujours plus » d’où l’explosion des charges et des déficits.

Il y a là aussi une différence majeure avec les autres grandes démocraties européennes mais aussi américaine : le Congrès des Etats-Unis jouant lui un rôle majeur dans le contrôle des dépenses publiques.

Il est donc clair que le système institutionnel français est un élément explicatif du déclin. Or ce qui est paradoxal c’est que la mise en cause des institutions françaises est jugée « tabou » : les constitutionnalistes et les politologues restent en effet dans leur immense majorité attachés aux dogmes fondateurs des institutions de 1958 faites pour régler les problèmes des années 50, voire des années 30, et conçues à une époque où la pouvoir médiatique n’existait pas. « L’ « argentinisation » de la France est donc la double conséquence de l’archaïsme et du conformisme.


Jean-Yves Ménébrez
30/09/2003
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