Paul Gottfried, un auteur incontournable pour comprendre le conservatisme américain

samedi 3 novembre 2012

Professeur de Lettres classiques et modernes à l’Elizabethtown College, président du Henry Louis Mencken Club, co-fondateur de l’Académie de Philosophie et de Lettres, collaborateur du Ludwig von Mises Institute et de l’Intercollegiate Studies Institute, Paul Edward Gottfried est une figure éminente du conservatisme américain et auteur de nombreux livres et articles consacrés au paléo et néoconservatisme.
Son livre, Le Conservatisme en Amérique / Comprendre la droite américaine, vient d’être publié en français par les Editions de l’Œuvre. Présenté par Arnaud Imatz, l’ouvrage retrace l'histoire de ce mouvement des années 1950 à nos jours. Pour les Européens, le conservatisme est représenté par le Parti républicain. Or, semble-t-il, le courant conservateur balaie un spectre politique et social plus large que celui couvert par ce parti. Son auteur est en particulier très critique à l'égard des « néoconservateurs » ou « néocons » qui sont pour lui étrangers au conservatisme. A la veille des élections présidentielles américaines, Arnaud Imatz éclaire le lecteur sur les véritables enjeux de la politique outre-atlantique
Polémia

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Au cours des dernières décennies, plusieurs livres de qualité ont été publiés sur le conservatisme américain, un mouvement que les journalistes et les politologues de tout bord s’accordent à considérer comme l’une des principales forces des Etats-Unis du tournant du XXIe siècle. Ces travaux, parfois excellents, sont malheureusement tous en anglais. On se doit de rappeler ici l’enquête de George H. Nash, The Conservative Intellectual Movement in America Since 1945 (1976, révisé en 1996), l’encyclopédie publiée par l’Intercollegiate Studies Institute, American Conservatism (2006), ou encore l’essai des journalistes britanniques de The Economist, John Micklethwait (2005) et Adrian Woolridge The Right Nation : Conservative Power in America, qui, en dépit d’un regrettable amalgame entre mouvement conservateur et parti républicain, constitue une assez bonne introduction au sujet. Cependant, un seul livre domine vraiment toute la production des années 2000 en raison de la rigueur, de la solidité et de la profondeur de ses analyses : Conservatism in America. Making Sense of the American Right (2007, rééd. 2009), du professeur d’histoire des idées, Paul Gottfried.

Jusqu’à ce jour, en français, rien, ou presque rien. Rien qui ne méritait d’être cité, à l’exclusion peut-être du livre collectif, de facture très inégale, dirigé par Charles-Philippe David et Julien Tourelle : Le Conservatisme américain (Québec, 2007). Mais voilà que, «Oh divine surprise ! », comme aurait dit Jean Moréas, les éditions de l’Œuvre nous offrent enfin la traduction du livre de référence de Paul Gottfried, Le Conservatisme en Amérique. Comprendre la droite américaine, assortie d’une postface de l’auteur, qui a été écrite à l’occasion des imminentes élections présidentielles opposant Barack Obama à Mitt Romney.

Il y a déjà un peu plus d’un an, j’avais eu le plaisir de présenter les travaux du professeur Gottfried au public français. Celui-ci m’avait alors accordé un long et passionnant entretien dont les versions abrégées et complètes avaient été publiées, presque simultanément, dans la Nouvelle Revue d’histoire (nº 56) et dans Polémia (*) (5 septembre 2011). Je me réjouis aujourd’hui de l’initiative des éditions de l’Œuvre et je ne puis que recommander avec insistance la lecture du beau livre de Gottfried appelé sans nul doute à devenir un classique du thème. Esprit indépendant et honnête, l’auteur sait poser les bonnes questions et apporter les réponses solides et argumentées du véritable spécialiste.

Pourquoi les disciples d’Edmund Burke, ceux des conservateurs du XIXe siècle, de l’entre-deux-guerres et de la Guerre froide (Russell Kirk, Buckley et tant d’autres) ont-ils laissé la place aux adeptes des abstractions universelles, des idéaux rationalistes, aux partisans de la croisade démocratique mondiale ? Pourquoi le conservatisme, qui refusait la politique étrangère interventionniste néo-Wilsonienne et qui était soucieux de limiter la croissance du gouvernement central, a-t-il été marginalisé ? Pourquoi l’alliance des anti-New Dealers, des anticommunistes, des traditionalistes catholiques et des évangélistes a-t-elle monopolisé le label « conservateur » aux dépens des libéraux classiques, des constitutionnalistes stricts et des Jeffersoniens ? Pourquoi l’union des conservateurs se fait-elle aujourd’hui autour de l’idéalisation du Welfare State démocratique, de la croyance aux valeurs universelles et aux droits de l’homme, alors que ces « idéaux sacrés » ont été écornés par les conservateurs et traditionalistes d’antan et le sont désormais par les tenants d’une gauche qui se déclare postmoderne ?

Pourquoi la droite américaine est-elle tombée dans les mains d’anciens gauchistes désenchantés qui haïssaient les Soviétiques pour avoir, selon eux, trahi l’idéal d’une humanité réformée ? Pourquoi les néoconservateurs sont-ils idéologiquement et sociologiquement si proches du centre-gauche ? Pourquoi, enfin, en dehors de quelques rares dissidents, le mouvement conservateur (y compris la droite religieuse et la droite populaire antiélitiste) en est-il venu à accepter le leadership des néoconservateurs, depuis le début des années 1980 ?

Autant de questions capitales auxquelles Paul Gottfried répond sans détours. Renouvelant l’approche de son objet d’étude, il a l’immense mérite de nous donner la grille de lecture essentielle, les clefs indispensables pour comprendre l’évolution historique, les ruptures d’hier et les métamorphoses récentes d’un courant méconnu en France. Un dernier conseil : amateurs de visions simplistes et stéréotypées, laudateurs camouflés et honteux de la pensée unique, passez votre chemin !

Arnaud Imatz
2/11/2012

(*) Voir aussi du même auteur :

Entretiens avec Paul Gottfried : les étranges métamorphoses du conservatisme

Paul Gottfried, Le conservatisme américain / Comprendre la droite américaine, éditions de l’Œuvre, novembre 2012, 304 pages.

Correspondance Polémia – 3/11/2012

Image : 1re de couverture

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