« Homo comicus ou l'intégrisme de la rigolade » de François L'Yvonnet

jeudi 12 juillet 2012

Pourri ou non, l’été a l’immense avantage de débarrasser les matinales de France Inter de la smala de comiques qui, intervenant entre un édito et une interview, polluent et rabaissent un débat politique déjà peu relevé. Et cela, semble-t-il, à la grande jubilation des journalistes qui ponctuent chaque vanne de rires complaisants, surtout, évidemment, quand elle vise la droite nationale. Ce qui est souvent le cas.

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Depuis saint Coluche, les comiques autorebaptisés humoristes, voire satiristes et moralistes alors même que la plupart d’entre eux se vautrent dans la scatologie, sont les nouveaux oracles, les nouveaux maîtres à penser, célébrés, fêtés… et payés en tant que tels.

Un ramassis d’animalcules gondolants

Aussi le court pamphlet, Homo comicus ou l’intégrisme de la rigolade, du professeur François L’Yvonnet, est-il fort bien venu. Très proche de Jean Baudrillard, ce philosophe et éditeur qui dirige la collection « Via Latina » chez Albin Michel et codirige la série « Philosophie » des Carnets de L'Herne, ne partage probablement pas la ligne de Polémia. On appréciera néanmoins sa charge souvent très drôle contre « la République du rire » qui nous est imposée par ceux qui s’estiment, ô combien abusivement, « les héritiers de Voltaire et de Zola, les derniers surgeons d’une lignée d’impertinence », « l’actuelle incarnation » de la « sacro-sainte liberté d’expression ».

Or, souligne à juste titre François L’Yvonnet, « le Voltaire d’aujourd’hui est chroniqueur salarié d’une grande radio publique ou privée. Il fait l’âne sur les planches d’un théâtre plus souvent privé que public. Il pavane dans la subvention. » En effet, vivant aux antipodes d’un Léon Bloy dont « l’esprit caustique se payait d’inconfort, de marginalité, voire d’exclusion », « l’animalcule gondolant » qui occupe les ondes « fait son trou dans le conformisme et l’assurance tous risques ». « On épargne les vrais puissants » pour « caresser dans le sens du poil les valeurs consensuelles ». Ainsi les Stéphane Guillon, Didier Porte, Alevêque, Bigard, Baffie, Aram, Youn, Debbouze et tutti quanti sont-ils unanimement « anti-racistes, anti-fascistes, anti-antisémites, anti-méchants. Ils célèbrent le Bien et luttent contre le Mal. Ils épargnent en surface pour mieux acquiescer à la doxa. »

Certes, on pourra accuser le professeur d’adhérer lui-même à cette doxa. Pourquoi se croit-il ainsi obligé d’égratigner (assez légèrement, il est vrai puisqu’il lui reproche surtout de s’être acoquiné avec de « vieilles ganaches d’extrême droite ») Dieudonné qui, lui, s’attaquant justement aux puissants, a accepté de passer du statut d’ultramédiatisé adulé à celui de pariatisé, au point qu’il est désormais interdit de spectacles non seulement en France mais aussi chez nos voisins ? Pourquoi ne rappelle-t-il pas à propos de la Maghrébine Sophia Aram, l’une des vaches sacrées « moralistes » de France Inter, que sa mère Khadija, ancienne adjointe socialiste au maire de Trappes (Yvelines), fut condamnée le 26 avril 2011 par le Tribunal de grande instance de Versailles à deux ans de prison, dont 18 mois avec sursis pour trafic d'influence et abus de confiance ?

Une civilisation en déclin

N’importe, il sera beaucoup pardonné à François L’Yvonnet pour avoir dénoncé dans l’ « intégrisme de la rigolade » un aspect délétère de la « société du spectacle » que nous subissons et une consternante régression de ce que l’on appela pendant des siècles l’ « esprit français ». Disparus l’ironie, puis l’humour, sous une chape de vulgarité, voire d’obscénité, satisfaite, ne restent que les basses attaques ad personam et des esclaffements mécaniques d’ailleurs déclenchés par des rires pré-enregistrés. Succédant à l’Homo festivus (*) si cruellement brocardé par le regretté Philippe Muray, l’Homo comicus est, comme ceux qui le promeuvent pour mieux nous décérébrer, un acteur essentiel du déclin de notre civilisation.

Claude Lorne
10/07/2012

François L’Yvonnet, L’Homo comicus ou l’intégrisme de la rigolade, Fayard/Mille et une Nuits, 2012, 80 pages, 9 €.

Note :

(*) Philippe Muray, Festivus Festivus : Conversations avec Elisabeth Lévy, Fayard, coll. Litt. Gene., 2005, 485 pages.

Correspondance Polémia -  12/07/2012

Image : 1re de couverture

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